Jean-Pierre Scherer est formateur intervenant en agronomie et en botanique. Salarié de la Maison familiale rurale (MFR) de Chauvigny, ce spécialiste des sols intervient également dans toute la France et à l’international pour enseigner la mise en culture et la transformation de plantes aromatiques et médicinales (PAM). Une pratique qui connaît un réel engouement. Reportage à l’occasion d’une formation en distillation et extraction d’huile essentielle, au lycée agricole de Venours (86).
« Chaque plante a une durée de distillation précise, indique Jean-Pierre Scherer, formateur spécialisé en botanique et en agronomie. La règle, c’est un kilo de plante pour un litre d’hydrolat. » Le regard vif, le sexagénaire met en place les outils nécessaires à la distillation d’huiles essentielles dans une salle du lycée agricole de Venours. Des effluves de romarin – la plante qu’il s’apprête à distiller en guise de démonstration – embaument la pièce. Venus des quatre coins de la France, 19 adultes s’y retrouvent pour compléter leur formation en « production et transformation des PAM ». Un cursus de 9 mois, mêlant cours en présentiel et en ligne, censé leur conférer toutes les clés pour démarrer leur exploitation… ou simplement satisfaire leur curiosité.
Un intérêt grandissant pour les PAM
« J’ai toujours adoré les plantes, maintenant j’ai envie de travailler avec elles, » raconte Estelle, salariée dans une imprimerie, en reconversion professionnelle. Elle n’est pas la seule à envisager d’ouvrir une exploitation. Annabelle, ancienne professeure des écoles, hésite quant au statut à adopter : « Je ne sais pas si mon amour des PAM va se traduire par un projet indépendant ou par un poste de salariée. »
Si toutes deux habitent aux alentours de Châtellerault, les participant·es sont venu·es de toute la France. Rowland, ancien gérant de théâtre à la retraite, a notamment fait le déplacement depuis Caen « pour le plaisir de s’émerveiller des propriétés des PAM » et de « se reconnecter à la nature. » D’autres apprenant·es, à l’instar de Shiela, bordelaise directrice d’un centre social, considèrent cette formation comme une manière de préparer la retraite, en générant un revenu d’une façon plaisante : « J’arrive en fin de carrière, alors pourquoi ne pas commercialiser des PAM ? C’est un domaine qui m’intéresse beaucoup. »
Cet engouement pour les PAM ne date pas d’hier. D’après Jean-Pierre Scherer, les premiers frémissements ont commencé il y a 30 ans environ en France, et les équipements sont encore récents :
Il y a 15 ans, il n’y avait pas un seul hydrodistillateur dans la région ! Aujourd’hui, la production de PAM est le seul secteur d’activité agricole où la surface augmente en France. Il y a une demande accrue de la part de la filière agroalimentaire, du secteur des cosmétiques naturels ainsi qu’une multiplication des PAM pour des usages vétérinaires.
La demande de formation est en tous cas si forte que la MFR de Chauvigny, dont Jean-Pierre Scherer est salarié, a fait le choix de lui permettre d’exercer de façon détachée entre deux et trois jours par semaine, en France comme à l’international. « J’interviens en chambres d’agricultures, auprès des CIVAM, pour les agences de l’eau, chez des particuliers… Je réalise également des conférences, des ciné-débats et des sorties botaniques. »
Un vaste champ d’intervention, et pourtant il est « le seul formateur, à [sa] connaissance. » Pourquoi si peu d’experts, dans un domaine sujet à une telle croissance ? « Il y a une grosse carence d’informations techniques, quasiment aucune documentation, » expose-t-il. Une absence de ressources qui l’a incité à apprendre en autodidacte et créer ses propres fiches techniques, tout au long de sa carrière. Après un BTS en production végétale, qui l’a amené à enseigner l’agriculture biologique dans une ferme-école en Rhône-Alpes, il a rejoint la MFR chauvinoise, où il exerce depuis 25 ans. Il continue d’y agréger des connaissances et de les actualiser, toujours en concertation avec les producteurs locaux.
Allier santé, récup’ et créativité
Les raisons de s’intéresser aux PAM sont nombreuses. L’efficacité curative est un premier critère : « Une huile essentielle contient au bas mot entre 80 et 115 molécules différentes, alors qu’un médicament qu’on trouve en pharmacie excède rarement cinq molécules, compare Jean-Pierre Scherer. Les bactéries ne parviennent pas à s’adapter aux huiles essentielles, étant donné la complexité de leur formule chimique. »
Outre les propriétés médicinales des PAM, leur distillation invite à adopter une attitude écologique. « Quand vous commencez à distiller, vous ne voulez plus rien jeter ! » plaisante le formateur. Feuilles, écorces, épluchures… la distillation offre une seconde vie à des éléments susceptibles de finir à la poubelle – « même les aiguilles du sapin de Noël y passent ! » s’amuse le formateur, avant de préciser que « dans le matériel de distillation, il n’y a pas de pièces d’usure. Une fois qu’on l’a, on le garde à vie. » Dans la cuve, tout peut être optimisé : les PAM peuvent « fournir un excellent paillage, à présent que la distillation leur a ôté leurs propriétés antiseptiques. » Il est également possible de récupérer un jus de tisane concentré : « on rajoute l’équivalent en sucre pour en faire du sirop. Tout est valorisable ! »
Transformer des PAM, c’est aussi faire la part belle à la créativité. Un parfum d’agrume se répand dans l’air alors que le spécialiste fait circuler un flacon d’huile essentielle de thym et d’orange. « Ça, vous ne le trouverez nulle part dans le système solaire ! » s’esclaffe-t-il, soulignant l’originalité des expérimentations possibles. En effet, il n’existe pas deux huiles essentielles strictement identiques : « Leur composition dépend du lieu où la plante a poussé, du climat, des contrastes thermiques et hydriques, des populations végétales voisines… La distillation n’est pas linéaire, c’est sa subtilité, sa magie ! » détaille-t-il, avant de conclure : « On a pas affaire à un produit standard, mais à un produit sensible, vivant. Finalement, ce qu’on obtient, c’est l’âme de la plante. »
Propos recueillis par : Hildegard Leloué
Photos : Hildegard Leloué