Faire de l’odorat un support d’échanges autour des souvenirs et des émotions, c’est le pari d’Elise Magré. En parallèle de ses études à l’université de Poitiers, cette élève parfumeuse a développé PifOuNez, un kit d’éducation olfactive éco-conçu à destination des scolaires. L’objectif : redonner sa place à un sens trop souvent négligé pour stimuler l’intelligence émotionnelle. Un concept qui lui a notamment valu de remporter le prix Pépite des étudiants entrepreneurs en Nouvelle-Aquitaine. Rencontre dans son atelier à Châtellerault.
Fraise, rose, menthe, cumin… les odeurs se bousculent dans les kits d’éducation olfactive de PifOuNez, des capsules destinées à éveiller l’odorat des enfants. Dans son atelier situé à Châtellerault, Elise Magré, qui jongle entre l’école supérieure des parfums de Paris et l’université de Poitiers – dans le cadre d’un DU étudiant·e entrepreneur·e – confectionne les capsules appelées à servir de support d’échange dans les établissements scolaires. « Le kit est constitué de 10 capsules, accompagnées d’un livret destiné aux enseignants, qui leur permet d’instaurer un échange dans le calme et la confiance pour guider l’élève dans sa découverte de l’olfaction, grâce à des fiches consacrées à chaque odeur, » détaille-t-elle. Concrètement, les enfants disposent de plusieurs minutes pour sentir chaque capsule avant de s’essayer à placer des mots dessus, tout en rapportant les souvenirs que leur évoquent ces parfums. Le but : développer l’odorat et l’intelligence émotionnelle de concert, tout en favorisant la création de lien social entre les élèves.
L’odorat comme support d’échange émotionnel
« Le concept, c’est d’amener les enfants à diversifier leur vocabulaire, à être capable de parler des odeurs, plus que de s’entraîner à leur reconnaissance, » développe Elise Magré, appuyée contre la paillasse de son laboratoire où deux orgues à parfums trônent en maîtres.
Les odeurs ont beaucoup de bienfaits : elles permettent aux enfants de s’éveiller, de développer une curiosité toujours plus grande pour le monde qui les entoure. Dans une société saturée par l’image et qui va à 100 à l’heure, l’odorat permet de s’ancrer dans le réel et le moment présent
Elise Magré
Pour l’apprentie-parfumeuse, l’éducation olfactive constitue ainsi une pédagogie à part entière. Et une éducation positive, puisqu’il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises réponses. Le but est surtout d’encourager la libre expression.
Le parfum du souvenir
Cette libre expression est intimement liée à l’émotion. D’un point de vue neurologique, la jeune femme explique que « sentir permet d’activer les zones de l’émotion et de la mémoire de notre cerveau, raison pour laquelle nous avons tendance à lier les odeurs à des souvenirs, des souvenirs qui sont eux-mêmes chargés en émotions. » Elle poursuit la description biologique avec davantage de précision : « Lorsque l’on sent un parfum, les molécules odorantes sont captées par des récepteurs olfactifs situés dans la muqueuse nasale. Ces récepteurs se terminent au niveau d’une région du cerveau appelée le bulbe olfactif. Ce bulbe communique en lien étroit avec l’hippocampe, une structure très impliquée dans la mémoire. » De fait, « si le bulbe olfactif est atteint, cela risque d’entraîner des déficits émotionnels. » C’est cette intrication méconnue entre odeurs, souvenirs et émotion qui a incité la jeune femme à lancer son projet, constatant à quel point « l’éducation olfactive était manquante à l’école. »
Les dix parfums composant les kits ont été choisis de manière à parler à tous les enfants. « Le cumin et la menthe sont, par exemple, des éléments très utilisés, ou au contraire pas du tout, selon les cultures. De même, l’herbe sera sans doute moins connue dans les écoles situées en zones urbaines, comparé à celles qui se trouvent en campagne, » éclaircit-elle, avant de synthétiser : « Le but, c’est vraiment que chacun puisse se reconnaître dans ces odeurs, avoir des souvenirs, des choses à partager avec les autres. »
Un kit made in France et éco-responsable
L’écologie constitue une valeur cardinale du projet PifOuNez. Dans la vaste salle de production attenante à son laboratoire, Elise Magré donne vie à un kit éco-conçu, dont la quasi-totalité des pièces sont d’origine française, sinon européenne. « L’éco-responsabilité est une notion qui me tient à cœur, » déclare-t-elle auprès des deux imprimantes 3D qui lui permettent de produire de son atelier les boîtes et ses composants. « Toutes les capsules sont produites à partir de PLA biosourcé et de coquilles de noix de Saint-Jacques broyées, issues des déchets de la restauration en Normandie. » Si les odeurs sont conçues pour embaumer les capsules entre une et deux années, elles sont totalement rechargeables : « Il suffit de me les rapporter pour que je change l’intérieur, cela permet d’éviter de refabriquer du matériel. » Elise Magré se concentre à présent sur la diffusion de son kit à un maximum d’établissements scolaires pour permettre au plus d’enfants possibles de « se mettre au parfum. »
Rédaction et photos : Hildegard Leloué