Avec son programme « Sous le bitume, l’océan », Bleu Versant cherche à désimperméabiliser et renaturer les sols. Cette ONG rochelaise mène des actions notamment dans les écoles autour de La Rochelle et dans l’île de Ré. Reportage à Puilboreau avec une classe de CP.
« Est-ce que je garde le goudron autour de la mare? »
Sur une grande table blanche, des morceaux de bois représentent les bâtiments de l’école. Des arbres miniatures sont incrustés de-ci de-là, offrant des tonalités colorées à la maquette. A la demande d’élèves de CP, un homme crayonne au marqueur effaçable un rond bleu rempli de poissons. « Est-ce que je garde le goudron autour de la mare ? », lance-t-il à son assemblée. « Non, on met de l’herbe ! », répondent du tac au tac plusieurs petites voix.
Bleu Versant a investi la cour de l’école élémentaire Jack Proust de Puilboreau, dans l’agglomération de La Rochelle. Sous un grand tivoli blanc, les idées fusent malgré le vent glacial. Pendant une semaine, Nathan Belarbre et Mathieu Duvignaud, deux intervenants de cette ONG rochelaise fondée en 2013, viennent faire réfléchir les enfants sur la cour d’école de demain. A travers différents ateliers, les élèves doivent imaginer des espaces plus verts, avec des sols désimperméabilisés et renaturés. C’est le cœur de cette initiative baptisée « Sous le bitume, l’océan ». Ce programme d’actions s’échelonne entre 2020 et 2024 dans l’agglomération de La Rochelle et de l’île de Ré. L’école de Puilboreau est la sixième à accueillir l’ONG entre ses murs, après un établissement à La Rochelle, Vérines, Dompierre-sur-Mer, Rivedoux-Plage et Périgny. Au terme de chaque semaine d’intervention, un projet d’aménagement végétalisé est proposé. Libre ensuite à l’école – plus précisément à la municipalité et à l’État – de le mettre en application ou non, d’y apporter des modifications.
Les élèves « concernés et investis »
Après l’atelier maquette, les plantations rythment la semaine des écoliers. A l’école Jack Proust, un parvis de terre végétale a été disposé à côté du tivoli. C’est un jardin de pluie, qui favorise une meilleure gestion des eaux pluviales. L’association locale Graines de Troc, qui agit pour la biodiversité cultivée, a concocté ici tout un programme autour des fruits et des légumes. Les enfants ont mis en terre des plants de fraisiers, disséminé les minuscules graines de mâche dans de petits pots. Leur enseignante, Delphine Cheigneau, assiste à la scène d’un air ravi : « Ce qui est rare, c’est que tous les élèves participent, ce projet fédère tout le monde, du CP au CM2. Les CP seront là pendant cinq ans et on leur demande d’imaginer la cour du futur, ils se sentent concernés et investis. Pour une fois, ils peuvent dire ce qu’ils veulent faire. »
Réduire les îlots de chaleur
« Notre programme est fondé sur la co-conception. Il ne s’agit pas d’arriver avec des actions clé en main. Les enfants sont à la fois acteurs et spectateurs », complète Nathan Belarbre. Et ces semaines ont bien évidemment des objectifs pédagogiques liés au développement durable. En cet avant-dernier jour, l’intervenant de Bleu Versant teste les connaissances des CP. « Au fait, à quoi servent les arbres ? » « À transformer le CO2 en oxygène », rétorque un petit, sûr de lui. Sourire de satisfaction chez l’intervenant. Nathan Belarbre est designer d’espace éco-responsable. Avec son collègue Mathieu Duvignaud, architecte-paysagiste de métier et artiste plasticien, ils sont membres actifs de cette ONG. Leur ambition ? Aider les territoires à réduire leur vulnérabilité liée à l’eau et à s’adapter au changement climatique. Bleu Versant a été lauréate de l’appel à initiatives « Gestion des eaux pluviales intégrée à l’aménagement urbain », proposée par l’Agence de l’eau Loire-Bretagne. « Sous le bitume, l’océan » peut ainsi bénéficier d’aides financières de cette agence jusqu’à 50 % du montant du projet. Ce qui facilite sa mise en place.
« Il y a beaucoup à faire sur l’imperméabilisation des sols. Nous pensons que chaque mètre carré contribue à la réduction des îlots de chaleur et améliore la qualité de l’eau des rivières et des océans. Cela passe par décroûter de l’enrobé, déconnecter les eaux pluviales des bâtiments publics, créer des jardins de pluie… pour retrouver un sol plus naturel et davantage de biodiversité. »
Mathieu Duvignaud, intervenant de Bleu Versant.
« Acupuncteurs du territoire »
Pour incarner ces problématiques complexes, l’ONG arrive dans les écoles avec le « petit géant bleu », une sculpture que les enfants doivent aider à sortir de terre. Notamment en débitumant autour de lui pour qu’il respire mieux. « C’est une allégorie sur le territoire. Nous expliquons que la terre a le même fonctionnement que le corps humain. Avec les élèves, nous devenons acupuncteurs de ce territoire, des docteurs du paysage qui cherchent les points névralgiques de tension. Pour cela, nous travaillons sur le chemin de l’eau, sur son cycle et sur la notion de bassin versant. Bien souvent, l’eau crée des inondations quand elle n’est pas pensée à l’échelle du bassin versant », poursuit le spécialiste. Soucieuse du devoir de mémoire, Bleu Versant avait peint en 2014 des arbres en bleu – au lait de chaux pigmenté – à La Rochelle pour que les passants se remémorent les crues de la tempête Xynthia. Cependant, l’ONG ne s’arrête pas aux frontières de la Charente-Maritime. Elle s’est illustrée au Mexique, avec le développement d’une Maison de l’eau à Cambeche, ou encore dans le Rhône pour des « expéditions renversantes », autour de la sensibilisation aux risques d’inondations et de pollution. Mais le prochain projet sera rochelais : recevoir du public dans une « Maison bleue » dédiée à ces thématiques, sous l’impulsion de l’association locale Escal’Océan et avec le Musée de l’homme à Paris. Jusqu’en 2024, « Sous le bitume, l’océan » se poursuit dans les établissements scolaires mais aussi au sein des entreprises et des collectivités.
Rédaction : Amélia Blanchot
Photos : Hildegard Leloué