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La coloc drag : art queer et engagement écologique

par | 4 janvier 2022


Khalo, Luna Light et Luna Sangre forment à iels trois La coloc drag. Ce collectif d’artistes queer LGBT+ a participé à l’automne au défi lancé aux 18-30 ans par la municipalité de Poitiers : rallier la commune allemande de Marbourg uniquement via des mobilités douces. Cette action était proposée dans le cadre des 60 ans de jumelage entre les deux villes. De son road-trip, La coloc drag a réalisé un documentaire, « Les Divas font vibrer l’Europe », mêlant art queer, questions de visibilité et écologie. Il sort à la fin du mois de janvier.


Pourquoi avoir décidé de participer à ce défi ?

Khalo : Le fait de célébrer l’amitié franco-allemande d’une façon différente, en mobilisant la jeunesse de Poitiers sur la base d’un propos écologique, m’a immédiatement séduit. Ensuite, je me suis dit qu’on pouvait ajouter nos valeurs, celles de cette colocation, de notre amitié et de notre art queer – le drag – à cet engagement écologique. Nous sommes une coloc entièrement végan, et souhaitions logiquement que ce voyage le soit aussi.

Luna Sangre : De mon côté, je n’avais du jumelage qu’une image très officielle où, pour simplifier, on se déplace dans un autre pays pour signer un papier. C’est donc l’aspect « aventure » de ce road-trip qui m’a énormément plu. Je savais aussi que l’Allemagne était vraiment en avance sur la France au niveau du véganisme, et Marbourg est connue en particulier pour réserver un bon accueil aux personnes de la communauté LGBT+.

Ce défi avait pour but de favoriser l’emploi des mobilités douces. Quels moyens de transport avez-vous utilisés pour voyager jusqu’en Allemagne ? Comment vous êtes-vous organisé.es ?

Luna Light : Le but, c’était d’éviter tout moyen de transport polluant ou qui ne soit pas éco-responsable, comme avoir recours à une voiture personnelle ou à l’avion. Nous nous sommes limité.es au bus, au covoiturage, au stop et à la marche. Ce n’était pas toujours l’idéal au niveau du confort et de la planification : nous n’avions parfois notre transport calé que la veille pour le lendemain !

Khalo : Logistiquement parlant, nous avons effectué une dizaine d’étapes, dont deux ou trois en Allemagne, toutes les autres ayant eu lieu en France. On voulait montrer que le covid n’avait pas complètement tué le voyage. Côté pratique, nous voyagions avec le strict minimum. Si le covid et la barrière de la langue ne nous ont pas trop posé problème, faire tenir tout notre équipement de drag dans un sac, ça, c’était un vrai défi !

Luna Sangre : Pour nos étapes, nous avons eu la chance d’être hébergé.es chez des artistes. Cela nous a permis de passer des moments privilégiés avec elleux, mais également de les interviewer. Il nous a semblé nécessaire de prendre le temps de faire leur connaissance, de s’imprégner de leurs lieux de vie, c’est pourquoi nous sommes resté.es entre deux et quatre jours dans les villes que nous visitions. Je ne pense pas que nous aurions pu créer les conditions d’interview que nous cherchions, calmes et intimistes, sans cela. Nous avons aussi eu recours à des auberges de jeunesse, parfois des Airbnb, lorsque nous étions très restreint.es au niveau du temps.

C’est plus difficile de voyager en Europe quand on est queer ?

Luna Sangre : Nous avons été confronté.es à tous types de réaction. La plupart du temps, nous avons rencontré des personnes ouvertes à notre projet, mais aussi d’autres auprès desquelles nous préférions ne pas révéler notre métier d’artiste drag. Nous sentions parfois qu’il valait mieux éviter d’évoquer le projet en détail.

Luna Light : Nous n’avons rencontré ni homophobie ni d’LGBT-phobie, aucun problème de cet ordre-là.

Khalo : ll me semble important de préciser que si nous n’avons pas subi d’agressions durant notre voyage, ce n’est pas dû à la chance, c’est surtout parce qu’avec la Mairie, nous avons pensé le projet pour nous y exposer le moins possible. En tant qu’artistes drag et queer, nous avons l’habitude de subir des agressions, des oppressions et des violences de toutes sortes, que ce soit en sortant de chez nous, en voyageant ou en visitant d’autres villes. C’est à force d’être confronté.es à ces violences que l’on apprend aussi comment s’en protéger. On sait qu’aujourd’hui, dans le monde, quand on appartient à une minorité, que ce soit à celle des artistes queer, des femmes, des trans, des personnes racisées, il y aura forcément un moment ou on subira une discrimination ou un rejet. Par exemple, nous étions conscient.es que notre présence n’était pas la bienvenue dans certains monuments religieux, que nous avons donc préféré éviter.

Luna Sangre : L’insécurité et les discriminations existent, évidemment, mais nous avons justement pris nos précautions, avec la Mairie, pour éviter au maximum de les vivre et voyager en sécurité. C’est tout de même énormément d’énergie, de temps à investir et d’appréhensions à gérer en plus de la logistique classique.

Khalo : C’est une charge mentale énorme, il faut penser à tout : aux BlaBlaCars que l’on choisit, à la façon dont nous serons habillé.es, à l’accueil que nous pourrons avoir dans chaque ville, si son ambiance nous permettra de sortir librement dans la rue ou s’il sera préférable de se déplacer en taxi… Cela impliquait de prendre des renseignements au préalable avec les artistes que nous prévoyions de rencontrer dans chaque ville. Notre travail de planification devait même aller au-delà : nous avions réfléchi à un protocole en cas d’agression, établi si cela mettrait, ou non, un terme à notre voyage. Pour des personnes en dehors de notre milieu, cette charge mentale est difficile à percevoir. Au terme d’un voyage, j’aimerais ne pas avoir à dire « j’ai eu la chance qu’il se passe bien, » mais « j’ai passé un bon voyage, point à la ligne. » La Mairie s’est également rendu compte des dispositifs à mettre en place pour rassurer et protéger les participant.es du voyage – pas que notre coloc. L’autre groupe sélectionné pour ce projet étant composé de trois femmes, elles devaient également être protégées de certaines agressions, de sexisme.

Vous avez réalisé des interviews d’artistes pendant le voyage, avec quelle intention ?

Khalo : Le projet, c’était de réaliser un documentaire avec les artistes interviewé.es. Il s’intitule « Les Divas font vibrer l’Europe » et sort fin janvier. Il a pour but de donner à voir les perspectives d’artistes queer en France et en Europe, d’explorer leurs conditions de vie en tant que personne, artiste queer, végan ou encore habitant.e de ville de taille modeste, où il n’y a pas forcément beaucoup de visibilité. Notre but, c’était vraiment de braquer le projecteur sur ces artistes pour interroger à la fois leurs conditions de vie et d’exercice de leur art, mais également de questionner la façon dont iels se sentent représenté.es – ou non – à l’heure d’aujourd’hui ; que ce soit à l’échelle des médias ou de leurs villes… C’est un peu le « Guide du Routard » , mais version « drag queen 2021 » !

Luna Sangre : Nous avons rencontré entre deux et cinq artistes par ville, notre objectif étant de multiplier les entretiens et les échanges. Cette quinzaine d’interviews, d’une dizaine de minutes chacune, sont dans notre documentaire, mais également sur notre compte Instagram House queer from Poitiers.

Khalo : A Paris, la drag-queen Ophélia des lupins nous a accueilli.es chez elle. Du côté de Nancy, c’est Moonlight Del Saphir qui nous a hébergé.es, et Nöxïmä Marley Dragqueen à Strasbourg. Ce sont les trois artistes avec lesquel.les nous avons pu échanger le plus. Je précise que notre but était de rencontrer des artistes queer, pas nécessairement qui se définissent comme artistes drags. A Strasbourg, nous avons par exemple eu la très bonne surprise d’organiser l’interview d’une artiste burlesque, rencontrée grâce au bouche à oreille.

Luna Light : J’ajoute que chaque étape était également l’occasion pour nous de visiter un restaurant 100% végan, afin d’incorporer cette découverte dans notre documentaire.

En tant qu’artistes queer, vous êtes-vous produit.es à Marbourg ?

Luna Sangre : Oui, nous avons présenté un spectacle d’une heure un quart devant environ 200 personnes, dans le cadre du festival de commémoration interculturelle et de réunification de l’Allemagne. C’était le premier show drag pour la plupart du public, qui était d’ailleurs assez émerveillé ! Même si nous nous trouvions au début face à un public de non-connaisseurs, qui ne possédaient pas les codes, nous avons reçu un très bon accueil… et ce malgré la pluie battante !

Luna Light : Cet évènement était aussi l’occasion pour nous de rencontrer une photographe qui tenait une exposition sur le même site. Nous avons eu la chance de rencontrer l’une des modèles qui nous a, non sans émotion, présenté les clichés et son histoire.

Khalo : Pour moi, c’était la rencontre la plus marquante de Marbourg !

D’autres moments marquants pendant ce voyage ?

Luna Sangre : Pour ma part, j’ai apprécié la spontanéité de notre rencontre avec deux artistes de cosplay dans une rue de Marbourg, qui portaient des costumes et des maquillages magnifiques. Elles sont venues à notre show et nous sommes toujours en contact avec elles.

Luna Light : J’ai beaucoup apprécié les rencontres d’artistes en général, le fait de rencontrer en vrai des personnalités que je suivais sur les réseaux, et les échanges inspirants qui ont suivi.

Khalo : Ce que je retiendrai le plus de ce voyage, c’est sans doute mon mal de pieds ! Je m’étais lancé le défi d’effectuer tout le voyage sur des talons de 10 cm : c’était ma seule paire de chaussure pour le voyage. J’ai donc fait tout mon road-trip sur talons, de l’aller au retour – je trouve ça assez iconique. Sur une note plus sérieuse, j’ai aussi été marqué par la façon dont ce voyage nous a rapproché.es en tant que colocation. Vivre ensemble, c’est apprendre à se connaître, se respecter et communiquer en harmonie et nous avons réussi à le faire dans un autre pays, cela a donc renforcé notre lien.

Vous êtes retourné.es à Marbourg à la mi-novembre, à quelle occasion ?

Khalo : Nous sommes reparti.es en Allemagne à l’occasion du premier festival queer organisé à Marbourg, pour lequel nous avons été convié.es à nous produire en tant qu’artistes drag. En voyant que le public était au rendez-vous à notre premier show, la ville de Marbourg s’est rendu compte qu’un large public était réceptif à l’art queer, et c’est sans doute cela qui a en partie motivé l’organisation de ce nouveau festival.

Luna Light : Effectivement, nous créons un lien qui va au-delà de la signature d’un traité accompagné d’élu.es, on « vit » vraiment ce jumelage en renforçant les liens entre les villes. C’est très gratifiant de voir les effets concrets de notre voyage, qui représente au final bien plus qu’un road-trip. Nous avons déjà reçu une invitation pour effectuer une nouvelle performance à l’occasion des 800 ans de la ville, l’année prochaine.


Note : Cet article utilise parfois l’écriture inclusive, parfois non. Luna Sangre se reconnaît dans une alternance des pronoms il, elle et iel, Luna Light a préféré être genré au masculin le temps de l’interview et, enfin, Khalo n’a pas spécifié de préférence – raison pour laquelle les pronoms utilisés varient.

Propos recueillis par Hildegard Leloué
Photos : La coloc drag

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