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La Ferme de l’Air Libre : cultiver la terre, contrer la récidive

par | 21 avril 2022

Ferme de l'air libre

À Maisoncelle, lieu-dit de la commune de Lusignan (86), quatre hectares de ferme accueilleront une dizaine de détenus en fin de peine à partir de janvier prochain. L’objectif de La Ferme de l’Air Libre est de favoriser le retour des résidents à la société via un cadre de vie et de travail associant maraîchage bio en circuit court et vie en communauté. Par ailleurs, la ferme servira de chantier de réinsertion pour des personnes éloignées de l’emploi. Rencontre et explications avec Bruno Vautherin, initiateur du projet et directeur de la ferme en devenir.


En quoi consiste La Ferme de l’Air Libre ?

Ferme de l'air libre Bruno Vautherin

La Ferme de l’Air Libre est pensée comme un espace de transition entre la prison et le retour à la liberté. Elle devrait permettre aux résidents de retrouver leur place dans la société après en avoir été écartés, de s’ancrer à nouveau dans un rapport à l’espace et au temps ; deux notions que la prison destructure. Concrètement, cela passera par la culture de la terre, avec une activité de maraîchage bio en circuit court. Nous accueillerons dans un premier temps huit détenus à partir de janvier 2023, avec pour projet de passer à 12 par la suite.
Concernant leurs profils, ce seront tous des hommes ayant écopé de peines relativement longues – trois ans minimum – âgés d’une quarantaine d’années et ne nécessitant pas de suivi psychiatrique lourd. Leur séjour à la ferme est prévu pour durer de 6 à 18 mois, sachant que la levée d’écrou (c’est-à-dire leur libération) ne signe pas obligatoirement leur départ de la ferme : ils auront la possibilité de rester quelques mois de plus pour continuer leur travail de réinsertion, s’ils le souhaitent.
Outre l’accueil des détenus en fin de peine, La Ferme de l’Air Libre sera un chantier d’insertion pour les personnes éloignées de l’emploi, proches de la retraite ou touchant les minimas sociaux. Nous prévoyons de créer entre trois et cinq postes de salariés en insertion pour participer au maraîchage ou à la vie collective du lieu, à hauteur de 26h de travail par semaine.

Par quel processus de recrutement passent les détenus pour intégrer la ferme ?

Leur sélection est similaire à une procédure de recrutement classique : on évalue leur motivation, leur projet, leur volonté de travailler et de s’intégrer. Cela peut partir d’un courrier à l’initiative du détenu, ou d’un CPIP – un conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation – qui fait remonter leur profil car il le trouve en adéquation avec le projet. S’ensuit une période de vérification nécessaire avec le professionnel en question, pour s’assurer que tout convient sur le plan administratif. Un membre de l’équipe vient ensuite rencontrer le candidat. Si l’entretien est concluant, le détenu peut venir effectuer une immersion-test de 24h à la ferme. En cas de retour positif, le CPIP formule alors une demande de placement en extérieur au juge d’application des peines dont dépend le détenu. Le recrutement s’effectue en majorité à l’échelle des établissements pénitentiaires de la Nouvelle-Aquitaine mais peut avoir lieu au-delà, en fonction des demandes.

En quoi est-ce un enjeu, d’accompagner les détenus dans leur réinsertion ?

La réinsertion, c’est d’abord un enjeu individuel. Tout le monde doit pouvoir trouver sa place dans la société, or le système judiciaire ne le permet pas, dans l’état actuel des choses. La Ferme de l’Air Libre souhaite ainsi offrir un accompagnement à 360° pour que des personnes qui ont payé leur dette puissent se lancer dans de nouveaux projets de vie.
Il s’agit également d’un enjeu de société. Nous incarcérons des gens, mais pour quel résultat ? Un taux élevé de récidive, des situations sociales en sortie de prison très difficiles à rattraper, peu voire aucun travail effectué sur les causes profondes ayant mené à la détention.
Dans l’imaginaire collectif, on ne se projette pas dans « l’après » de la prison. On s’imagine qu’y envoyer une personne ayant commis un délit ou un crime suffit à régler la situation, sans regarder plus loin. Pourtant, 99,9% des détenus sortent de prison et sont donc amenés à réintégrer la société. Le problème, c’est que la France affiche, pour tous types de peines confondus, un taux de 61% de récidive dans les cinq ans suivant la sortie de prison. C’est énorme, il s’agit de l’un des taux les plus élevés d’Europe. Or, on sait aussi que les modalités d’aménagements de peine permettent de réduire ce taux. C’est donc dans l’intérêt de la société tout entière de faire en sorte que la réinsertion des détenus se passe de la meilleure façon possible.

Dans quelles conditions les résidents seront-ils hébergés ?

Le projet est basé sur quatre piliers principaux. Le premier, c’est l’hébergement, le fait de disposer d’un chez soi. Les résidents se verront attribuer une chambre individuelle, fermant à clé, qui leur permettra de reconstruire leur intimité. A leur arrivée, ils seront logés dans la maison principale, qui comporte toutes les pièces de vie commune : cuisine, bibliothèque, salle informatique, etc. Avec le temps, ils bénéficieront d’une chambre dans un autre bâtiment, situé un peu plus loin, qui leur permettra de gagner en autonomie. Toujours dans cette idée d’autonomisation, les résidents participeront financièrement à la vie du lieu en s’acquittant d’un loyer, une dépense que leur permettra le SMIC qu’ils gagneront grâce à leur statut de salarié au sein de la ferme.

Quelle place occupe le travail dans cette organisation ?

Le deuxième pilier du projet, c’est justement le travail. Le but est de permettre aux résidents de retrouver des repères nécessaires à l’exercice d’une activité professionnelle : travailler en équipe, se montrer ponctuel, appliquer des consignes, analyser une situation et y apporter des solutions. Ici, en l’occurrence, le travail correspondra dans un premier temps à des activités de maraîchage mais j’aimerais beaucoup que la ferme se développe au fil du temps, en se dotant d’un poulailler ou d’une boulangerie, par exemple.

Pourquoi passer par des travaux manuels dans un cadre de vie rural pour favoriser cette réinsertion ?

Il me semble que le travail de la terre permet de se reconnecter au vivant. Quand tu es en prison, tu ne peux plus constater le passage des saisons autrement que par des changements de température ou dans la teinte du ciel. Travailler avec la nature permet ainsi de retrouver la notion du temps qui passe. Le support végétal est parfait pour cela : il pousse à vivre au rythme des saisons, à observer et s’ancrer dans leur cycle. Cela implique aussi une grande diversité de tâches possibles qui demandent un effort physique, mais ont l’avantage de s’exercer au grand air. Concernant le maraîchage en particulier, nous cherchons à atteindre un minimum d’autonomie alimentaire, de façon à ce que les résidents puissent se nourrir le plus possible du fruit de leur travail. Le projet a également tout un aspect environnemental : nous allons utiliser l’agroécologie ou planter des haies par exemple. On ne peut pas être dans le soin des gens tout en détruisant l’environnement.

De quel accompagnement bénéficieront les résidents ?

L’accompagnement social constitue le troisième axe principal de la ferme. Il englobe tout le travail de l’équipe encadrante, qui va se pencher sur les problèmes rencontrés par les résidents avant, pendant et après la détention. L’enjeu sera notamment de préparer leur sortie en les aidant à trouver un logement, un emploi, à reprendre un parcours de soin (certains, comme les soins dentaires, étant quasiment inaccessibles en prison). Il y a aussi tout un travail d’accompagnement sur la mobilité qui pourra consister, par exemple, à aider au passage ou au repassage des épreuves du permis de conduire. Ce suivi pourra aussi signifier aider les résidents à retisser du lien social avec leurs proches d’avant la détention. La ferme pourra ainsi servir d’espace, à mi-chemin entre la prison et le retour à la vie normale, pour se retrouver et reconstruire un socle social le plus solide possible.

Quelle équipe encadrera ce projet ?

L’équipe encadrante sera composée de cinq salariés : une assistante sociale et professionnelle, un chef de culture maraîcher, un encadrant technique, un chargé de vie collective et moi-même, en tant que directeur de la structure. Nous envisageons également de recruter un psychologue à temps-partiel. A noter qu’aucun membre de cette équipe n’habitera sur place, mais que chacun d’entre nous effectuera, tour à tour, une semaine d’astreinte, c’est-à-dire en se montrant disponible 24h/24 pour intervenir en cas de problème. Un espace sera également proposé à la location, pour un couple ou une colocation, permettant à deux personnes travaillant hors de la ferme d’y résider tout en assurant une présence. Des bénévoles pourront aussi se joindre en support aux différents aspects du projet.

Comment vous est venue l’envie de monter ce projet ?

Je me suis inspiré d’expériences similaires comme la Ferme de Moyembrie, en Picardie ; un lieu de vie et de travail qui associe la dimension agricole au mode de vie communautaire. C’est un certain revirement professionnel pour moi, puisque j’ai commencé par être ingénieur en aéronautique pendant trois ans. Je me sentais cependant en décalage avec cette profession, intellectuellement stimulante mais pauvre sur le plan humain. Alors, après un Volontariat de Solidarité Internationale d’un an au Cambodge, j’ai intégré pendant cinq ans les Ateliers du Bocage, une structure en chantier d’insertion spécialisée dans le reconditionnement de matériel électronique du réseau Emmaüs. C’est au travers de ce mouvement que j’ai été de plus en plus sensibilisé aux différents enjeux de la réinsertion.

Comment se positionne La Ferme de l’Air Libre, par rapport aux communes alentour et à leurs riverains ?

La quatrième pilier du lieu, c’est l’ouverture vers l’extérieur. Il doit permettre aux résidents de s’ouvrir vers de nouveaux horizons à la fois culturels et citoyens. Nous ne cherchons pas l’autarcie ou à créer une « petite prison bucolique à la campagne », mais à s’ancrer dans le territoire, à aller à la rencontre de l’extérieur. Cela se fera notamment au travers d’actions solidaires, les résidents pourront par exemple aider bénévolement à l’organisation d’une fête, rendre toutes sortes de services sur le territoire.
L’objectif est aussi que les riverains aient accès à la ferme. Il y aura notamment un point de vente de légumes à l’intérieur pour inciter les gens de l’extérieur à venir. Le but, c’est que les résidents puissent valoriser leur travail jusqu’au bout, via la commercialisation, mais c’est également de favoriser la rencontre, tisser des liens avec la clientèle. Cela pourra permettre de faire tomber certains préjugés, l’image d’Epinal que l’on a tendance à se faire du prisonnier.
Pour le moment, je n’ai pas perçu de réaction négative des communes alentour ou des riverains. Il faut dire que le site a l’avantage d’être à environ 4km du centre-ville de Lusignan, sans voisinage direct. Notre objectif est en tout cas de créer du lien avec les territoires. Je pense que pour permettre l’insertion des personnes, il faut avant tout que le projet soit lui-même inséré dans le territoire. Cet ancrage, c’est la clé de la réussite du projet dans la durée.


Propos recueillis par : Hildegard Leloué
Photographie : Hildegard Leloué


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