C’est un spectacle qui se joue sur les plages, à marée montante. A La Rochelle, le collectif La Fugue a présenté avec humour une pièce sur un sujet rude, celui d’une violente montée des eaux. Qui mérite d’être sauvé ? Qui survivra ? Que faire des responsables de cette catastrophe climatique ? « Quand viendra la vague » va entamer une tournée estivale.
Montée des eaux : un spectacle in situ
Une fin d’après-midi sur la plage des Minimes à La Rochelle. Un groupe d’étudiant·es entame un match de volley, des enfants s’amusent avec des coquillages, les parents sortent de quoi prendre l’apéritif. Et tout près du rivage, une centaine de personnes sont assises, regroupées sous la belle lumière d’un soleil en train de plonger dans l’Atlantique. « C’est fou qu’il y ait autant de monde pour venir voir la mer monter ! » lance, tout sourire, Bruno de Beaufort à l’assemblée. Le directeur du Centre national des arts de la rue et de l’espace public (CNAREP) Sur le pont, basé à La Rochelle, est ravi qu’autant de curieux et curieuses soient au rendez-vous pour la sortie de résidence du Collectif La Fugue. Pendant une semaine, Irène Le Goué et Pierre-Alexandre Culo, deux comédien·nes de ce collectif breton – basé à Ploemeur, dans le Morbihan – ont planché sur la création de « Quand viendra la vague » avec Fiona Harmonic à la mise en scène. C’est une adaptation du livre d’Alice Zeniter, une pièce dont ils ont conservé l’intégralité du texte. « Rien n’a été coupé, tout est là » affirme l’équipe.
Qui mérite d’être sauvé ?
L’œuvre s’attaque à la thématique de la montée des eaux, en l’occurrence particulièrement violente. Sur le ton de l’humour, deux jeunes amant·es isolé·es sur une île s’amusent à une sorte de jeu de rôle sur la sélection des survivant·es. En soulevant des questions presque immorales : qui mérite d’être sauvé dans une telle situation ? qui survivra ? que faire des responsables de cette catastrophe climatique ? Pour incarner cette pièce, le Collectif La Fugue a choisi de jouer sur un rocher spécialement conçu. Le spectacle se déroule sur les plages, à marée montante, à proximité des vagues. Un lieu assez inédit, avec son lot de complications pour avoir une mise en scène idéale. Dans le meilleur des cas, l’océan vient lécher le bas du rocher. A condition que les horaires des marées et le site soient propices. La pente doit être douce, le courant faible. Un espace naturel donc, pour se plonger dans l’ambiance de la montée des eaux. Perchés sur le plus haut sommet de leur île natale, les deux personnages, Mateo et Letizia, attendent la submersion. Ils savent qu’en habitant sur une zone littorale, ils seront les premiers touchés.
Cette comédie aborde la problématique de la montée des eaux sous un angle plus poétique que celui véhiculé par la plupart des médias. L’idée est de provoquer des émotions, notamment en voyant, physiquement, la mer monter car nous sommes dans son élément. A travers ce jeu de rôle, il y a aussi d’autres questions qui sont abordées : celles du pardon, d’une histoire d’amour qui s’abîme.
Irène Le Goué, comédienne
« Un angle plus poétique »
Dans ce duo de choc, la femme a tendance à relativiser, l’homme à dramatiser. Tous deux épluchent des lettres de motivation, se demandant l’un et l’autre qui ils vont accueillir sur leur petite île. En d’autres termes, qui sont les heureux élus au statut de réfugiés ? Letizia, plus tolérante, est prête à oublier ses fantômes du passé. Même son premier patron sadique. Mais pas le président de la Russie, elle tique sur une lettre signée Vladimir Poutine. « C’est compliqué, car lui, il me fait vraiment peur. » Rires dans le public. Elle interroge ensuite Mateo : « Tu envoies le promoteur immobilier à la mort et ça ne te cause pas le moindre pincement moral ? Une infime, minuscule, microscopique seconde d’hésitation ? » « Tu voulais noyer toutes les vaches, » lui retorque-t-il. S’ensuit un débat sur la valeur de la vie, à savoir si celle d’un animal est moins précieuse que celle d’un homme.
Dans cet espace restreint, on se demande si vivre à deux suffit. A-t-on besoin des autres dans ce genre de situation ? C’est une façon d’évoquer aussi la question des réfugiés climatiques.
Pierre-Alexandre Culo, comédien
Questions existentielles
« C’est une pièce assez bavarde, durant laquelle les comédiens parlent beaucoup. L’arrivée d’une catastrophe déclenche des rancœurs, fait remonter des non-dits. Comment réussir à pardonner dans un tel niveau de gravité ? C’est une interrogation centrale, » confie Fiona Harmonic, la metteuse en scène. Toutes ces questions existentielles, abordées sous forme de jugement dernier volontairement cynique, amènent à faire « rire, rêver, grogner » le spectateur. Chaque représentation de ce spectacle sera suivie d’un moment de discussion avec le public, face à l’océan. « C’est parfois étonnant de voir les émotions que cela suscite chez chacun. Nous avons eu par exemple l’occasion d’échanger avec des enfants autour d’ateliers de médiation sur la montée des eaux. Certains peuvent être terrorisés, d’autres très enthousiastes. Cela peut être vu comme une occasion de repartir à zéro, de faire un tri, d’éliminer les mauvaises choses, » témoigne Irène Le Goué. « Quand viendra la vague » sera joué par le Collectif La Fugue cet été dans le Morbihan (dates à confirmer) et à La Rochelle en octobre prochain pour deux représentations.
Rédaction : Amélia Blanchot
Photos : Hildegard Leloué