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Greenfib, un matériau biosourcé, durable et recyclable

par | 13 février 2020


A Vivonne dans la Vienne, un opticien lunetier a créé en 2018 la société LM Innotech et développé Greenfib. Il s’agit d’un plastique conçu à partir de poudres minérales, de farines végétales et d’huile de ricin. La particularité de ce matériau biosourcé c’est sa résistance mécanique, chimique et thermique, mais aussi sa recyclabilité. Fabrication de lunettes, plateaux repas, contenants alimentaires, brosses à dents, filaments pour l’impression 3D… Greenfib permet de fabriquer une large gamme d’objets pour répondre aux problèmes de pollution générés par l’usage de plastique pétrosourcé et jetable. Interview de Luc Ménétrey, co-dirigeant de LM Innotech.


Vous êtes opticien lunetier, qu’est-ce qui vous a incité à développer Greenfib ?

Il y a une quinzaine d’années, je suis allé plusieurs fois en Afrique et j’emmenais les anciennes lunettes de mes clients dans un dispensaire, en brousse. Je trouvais intéressant que les lunettes puissent resservir plutôt que de traîner dans des fonds de tiroir. Mais il y avait une limite, car même si une monture peut être réutilisée, elle termine forcément sa vie cassée ou abîmée, et reste donc un déchet. Je me suis demandé pourquoi rien n’était pensé pour un objet qui finalement est planétaire et concerne absolument tout le monde puisque, a priori, on a tous deux yeux ! Sur un vol retour Dakar-Paris j’ai écrit un projet et arrivé en France j’ai regardé ce qui existait. Différents essais avaient été faits, mais rien ne correspondait totalement à ce que j’imaginais : un produit strictement biosourcé, qui n’entre pas en concurrence avec l’alimentation humaine ou animale, qui soit réalisé dans un écosystème local et enfin, je voulais que la matière puisse être recyclable. Je suis allé voir le laboratoire Valagro à Poitiers avec mon projet et ils ont accepté de travailler sur le sujet. Nous avons mis deux ans et demi pour élaborer la matière, trouver l’ensemble des ingrédients, des dosages, des granulométries, et intégrer des paramètres qui me permettaient d’obtenir la certification “conformité en lunetterie” pour Greenfib. J’ai fini par déposer le brevet en 2011.

Vous présentez Greenfib comme un matériau 100% biosourcé. De quoi est-il composé exactement ?

Ce sont des poudres minérales et des farines végétales qui sont agglomérées sur le Rilsan, une huile de ricin. Nous avons créé trois gammes : une bois-talc, une roseau-talc et une roseau-poudre de coquille d’huître. Toutes ont les mêmes propriétés mécaniques. Pourquoi le roseau ? Dans notre démarche nous essayons d’être les plus vertueux possible, pour l’intérêt de la planète et pour faire fonctionner un écosystème local. Or le roseau a rôle central dans la préservation des zones humides, qui elles-mêmes sont essentielles pour maîtriser la température à la surface de la planète. C’est une plante qui pousse toute seule, mais si vous ne la coupez pas elle étouffe. De petites superficies sont suffisantes pour produire énormément, et à très faible coût. Le roseau que nous utilisons vient du centre de la France, à côté de Châteauroux. Quant à l’huile de ricin qui sert de liant entre les différents végétaux et minéraux, c’est un produit qui a des propriétés mécaniques très élevées. La plante pousse sur des terres sèches et arides. Le plus gros de la production se trouve en Inde, mais on en trouve aussi dans le sud de la France, à côté de Marseille.

L’idée de départ était de concevoir des lunettes biosourcées, et vous avez depuis imaginé bien d’autres objets. Comment s’est opéré cet élargissement ?

L’obtention du certificat de conformité pour l’utilisation de Greenfib en lunetterie passait par une série de tests de propriétés mécaniques, rigidité, torsion etc., mais aussi de résistance au pH et aux UV. Le matériau devait aussi être anallergique, inoxydable et ininflammable. Le matériau répondant à toutes ces exigences, je me suis dit que cela valait le coup de pousser un peu plus loin les recherches. Après les lunettes, nous avons voulu explorer le domaine de l’alimentaire : lunch box, plateaux-repas, brosses à dents, gobelets et nous avons eu la certification “contact alimentaire” en 2019. Biocoop est actuellement en train de lister tous les objets pouvant potentiellement être fabriqués avec la Greenfib. Le matériau étant inerte au feu, nous nous sommes aussi rapprochés de l’entreprise Legrand à Limoges, spécialiste des infrastructures électriques. Ils ont fait des tests concluants à 850 et 960 degrés. Ça veut dire que des prises électriques peuvent aussi être conçues en Greenfib.

Vous avez aussi choisi d’investir la filière de l’impression 3D avec la fabrication de bobines de filament. D’où vient cet intérêt ?

Déjà, je crois énormément dans le devenir de l’impression 3D, à mon sens c’est une révolution absolue. Et l’avantage c’est qu’il n’y a pas de perte de matière. Si je prends l’exemple des lunettes, je vais découper ma monture dans une plaque de plastique et j’aurai près de 85% de chute. Avec l’impression 3D et le principe de dépôt de matière, ce problème n’existe pas. Un fablab dans le sud de la France travaille actuellement sur la fabrication de drones en impression 3D et nous a commandé du filament pour faire des essais.

Avec Greenfib vous avez fait le choix de développer un matériau qui ne soit pas biodégradable* mais durable et recyclable…

Oui, l’idée c’est qu’une paire de lunettes puisse devenir demain une poignée de porte et après-demain une brosse à dents ou un interrupteur et que la matière, lorsque l’objet est cassé ou abîmé, ne soit jamais considérée comme un déchet mais comme une ressource. Nous avons fait des tests avec Valagro et nous sommes arrivés à neuf cycles sans ajout de matière vierge. Lorsque nous vendons Greenfib aujourd’hui, nous annonçons le chiffre de trois cycles pour être super larges. La matière est garantie en stabilité 30 ans – 10 ans pour l’alimentaire -, alors si l’on fait trois cycles cela fait tout de même une durée de vie de 90 ans ! Pour le recyclage il y a deux orientations possibles : pour les petits volumes on travaille avec les partenaires des produits. Par exemple, les opticiens qui vont développer la gamme Greenfib qui est en train de se mettre en place, s’engagent à être points de collecte. L’opticien nous les renvoie et on les refait broyer. Pour les gros volumes, on renverra tout à Arkema, le fournisseur de Rilsan, qui rebroiera la matière.

Pour produire Greenfib, vous avez fait le choix du local, avec un écosystème de production dans la Vienne et un autre en Bretagne. Quels sont les acteurs engagés dans la fabrication du matériau ?

Nous, nous ne produisons rien à proprement parler. Nous avons réuni l’ensemble des parties prenantes nécessaires à la fabrication de granulés, de plaques ou de filament, selon la demande du client. On a des chimistes, experts-coloristes, injecteurs, moulistes, spécialistes du broyage etc. Dans la Vienne, l’entreprise Futuramat crée la matière, les granulés. Et s’il y a besoin de transformer ces granulés en plaques, nous les envoyons au plasturgiste CDA-Développement à Châtellerault. Pour la fabrication de filament, la matière est transformée chez Rescoll dans le sud de la Nouvelle-Aquitaine. Mon associé, Cyr Dioré, se trouve en Bretagne et nous avons créé un deuxième écosystème autour de Vannes, où nous trouvons les mêmes partenaires qu’ici. Nous nous sommes dits qu’on aurait tout intérêt à modéliser un écosystème que nous pourrions dupliquer.


Propos recueillis par Philippe Quintard
Photo : Noémie Pinganaud

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