JESS, pour Jean de l’Economie Sociale et Solidaire, c’est le nom de la marque du premier jean fabriqué à Bressuire par des personnes en situation de handicap. Une fibre écologique, sociale et locale pour ce vêtement 100% français et 100% recyclable. Reportage à l’ESAT les Ateliers Bressuirais.
« Au départ, les professionnels de la confection industrielle nous ont vu arriver d’un drôle d’œil » se rappelle Philippe Lionet, directeur de l’ESAT (Établissement et service d’accompagnement par le travail) des Ateliers Bressuirais. Deux ans plus tard, après avoir décortiqué le process pour le rendre accessible aux personnes en situation de handicap et pour limiter son impact environnemental, les Ateliers Bressuirais sont devenus de vrais experts. « Nous avons un réel savoir-faire technique, les personnes en situation de handicap peuvent faire de la haute couture » s’enthousiasme Thomas Couvet, qui a coordonné le projet. « Ce produit, c’est notre image, il nous permet d’ouvrir les portes de l’ESAT et de proposer une autre vision du handicap ». Sur le site bressuirais, l’ADAPEI (Association départementale de parents et d’amis de personnes handicapées) accueille 244 personnes atteintes de déficience intellectuelle, de traits autistiques légers ou de maladies psychiques stabilisées. Pour atteindre l’atelier de confection rempli de machines à coudre flambant neuves, on passe devant des équipes affairées à assembler des sommiers en bois ou à façonner des câbles électriques, autres prestations proposées par l’ESAT, ouvert en 1976.
Un process adapté
Honorine est à l’entrée, elle change une bobine avant de nous expliquer son poste : « Je fixe l’entrée de la poche ». Elle prend le temps de bien lisser le tissu d’un geste sûr, puis la machine s’élance. Les jeans arrivent en kit : 26 pièces découpées dans des ateliers de confection situés à 15 km autour de Bressuire, dans du tissu en provenance des Vosges. Pour les assembler, le process a été divisé en 46 postes précis. Honorine a terminé son point, elle le vérifie d’un œil expert et dépose ce qui sera bientôt l’avant de la jambe droite d’un pantalon sur un chariot où l’attendent d’autres morceaux de tissu. Une fois ce lot terminé, elle fait rouler le chariot jusqu’à Patrick, qui positionne avec précaution des petits morceaux de tissu à l’entrée d’une autre machine chargée des coutures en haut de poche.
En fonction de ses compétences et de son handicap, chaque personne peut trouver un poste adapté. Mais pas question de rester figé, l’objectif est de développer la polyvalence : « Notre but est d’accompagner les personnes à développer leurs compétences par le travail » explique Thomas Couvet. Elles peuvent commencer par des postes très automatisés et peu à peu passer à des missions qui demandent plus de formation. Certaines personnes maîtrisent jusqu’à une vingtaine de postes sur la ligne de production et peuvent ainsi former les autres. « On peut imaginer tout un parcours de vie professionnelle au sein de l’atelier » avance Thomas.
Dominique, hilare, nous montre une couture noire ébène sur une poche blanche comme neige : « Je lance une nouvelle mode ! » avant de se débattre, paire de ciseaux en main, avec ce fil bien cousu. « Je vais le refaire, mais ça va, des bêtises on en fait moins qu’au début ». Les responsables d’ateliers confirment l’impressionnante progression de la vingtaine de personnes qui travaille ici. « Chaque mois on avance dans la fluidité de la ligne. Nous sommes aujourd’hui capables de sortir 50 jeans par jour, notre objectif est de monter à 100 ».
Travail d’équipe et bienveillance
Un peu plus loin, on retrouve Annick aux manettes d’une machine à bras déporté. C’est le poste de l’atelier le plus difficile à prendre en main, mais Annick assure. Elle avait déjà travaillé en confection : « Ce n’était pas la même ambiance, ici il n’y a pas de pression, pas de cadence. Je suis bien là, les journées passent vite ».
Magali Cornuaud est l’une des responsables de l’atelier. Après 30 ans d’expérience en confection, elle a découvert l’accompagnement social. « Ce qui est agréable, c’est le vrai travail d’équipe que l’on retrouve ici. Si des chariots s’entassent à la sortie d’un poste, on est assez vigilant pour s’entraider et faire avancer la chaîne. Tout le monde se sent responsable de la qualité du produit fini et contrôle les pièces à chaque étape. Il est possible d’alerter ou de réagir s’il y a une erreur, sans être dans le jugement ». En ESAT, on travaille dans la bienveillance pour chercher collectivement des solutions et faire avancer la production. Rendre les salariés polyvalents, être à leur écoute et sortir un produit de qualité… de quoi inspirer les entreprises classiques.
Rédaction : Marie Gazeau
Photos : Marie Queinec