C’est une année record. Le Centre d’études et de soins pour les tortues marines (CESTM) de l’Aquarium de La Rochelle a recueilli 130 de ces reptiles cet hiver, contre 15 tout au plus habituellement. Elles ont pu rejoindre le large depuis une plage de l’île de Ré.
Balise bleue solidement collée sur la carapace, Oum remonte en direction de la dune. Vedette du jour dans un décor idyllique, la tortue verte de 3,8 kilos est scrutée par plusieurs centaines de personnes. Dans la foule, les téléphones immortalisent le moment, les rires fusent. « Elle part dans le mauvais sens ! », s’exclame une voix enfantine. Tee-shirt rouge vif sur le dos, Florence Dell’Amico la remet sur la bonne voie, cap sur l’océan Atlantique. La responsable du Centre d’études et de soins pour les tortues marines (CESTM) de l’Aquarium de La Rochelle déplace sa protégée avec précaution. Quelques instants plus tard, la marée descendante embarque le reptile vers le large, sous un tonnerre d’applaudissements.
Le mardi 28 mai, Oum a retrouvé l’océan depuis la plage de la Conche, à Saint-Clément-des-Baleines, sur la pointe nord de l’île de Ré. 64 autres tortues – toutes des caouannes, appelées aussi « caretta caretta » – lui ont emboîté le pas, sorties de leurs cartons par les équipes de l’Aquarium. Une grande chaîne humaine s’est formée pour les acheminer sur le chemin de la liberté. Ces animaux se sont échoués sur l’intégralité du littoral Manche-Atlantique français, entre octobre 2023 et avril 2024, avant d’être recueillis par le CESTM. 65 tortues marines remises à l’eau en une matinée, c’est du jamais vu pour le centre, qui organise pourtant cette opération chaque année depuis 2009. D’ordinaire, elles sont 15 par an, au maximum. En 2023, elles étaient 20, et cet afflux était déjà considéré comme exceptionnel.
Plus nombreuses, plus petites
« En trente ans, nous avons trouvé deux tortues marines vivantes échouées dans l’île de Ré. Cet hiver, en l’espace de quatre mois, il y en a eu cinq », certifie Jean-Roch Meslin, un membre de l’association Ré nature environnement venu assister à l’événement. Lui-même a ramené une caouanne au CESTM, après un coup de fil adéquat 1. « Ce sont parfois des promeneurs qui les trouvent. Ce n’est pas évident car lorsqu’elles sont échouées, elles sont généralement assommées et paralysées par le froid. Cette année nous avons eu beaucoup de jeunes, très petites. On peut les confondre avec des cailloux ou penser qu’elles sont mortes », détaille Florence Dell’Amico, saluant « l’efficacité des 120 correspondants du Réseau tortues marines Atlantique Est, qui permettent une prise en charge rapide. »
Au total, plus de 150 tortues marines ont été soignées cette saison au CESTM. Une cinquantaine va regagner le large lors d’un second lâcher organisé le mardi 11 juin. Prises de sang, analyses bactériologiques, radios, scanners, réhydratation, séances UV… tout est organisé pour les remettre sur pattes. Malgré ces bonnes attentions, vingt-cinq n’ont pas survécu, à l’image de Pirate, 162 grammes, la plus petite tortue jamais recueillie sur le littoral atlantique européen. Pour la première fois également, une tortue hybride, c’est-à-dire un croisement de deux espèces différentes, a été recueillie. Elle est décédée, comme trois tortues de Kemp. La grande majorité des survivantes sont des caouannes, Oum est l’unique représentante des tortues vertes.
Trois grandes hypothèses
Pour quelles raisons y a-t-il eu autant d’échouages cette année ? Trois grandes hypothèses se dégagent. Les sites de nidification des tortues marines se situant principalement dans les zones tropicales, les grands courants marins peuvent les entraîner vers nos côtes. « Dans l’est du bassin Atlantique nord, les courants ont été particulièrement forts cette année, surtout d’ouest en est. Il se peut qu’un nombre plus important que d’habitude de jeunes individus ait été emporté vers le golfe de Gascogne et le nord de l’Europe plutôt que vers le sud », suppose Tony Candela, océanographe et doctorant soutenu par l’Aquarium. Autre élément d’explication, la température de l’eau, qui, « malgré son réchauffement, ‘‘assomme’’ les tortues évoluant dans le Golfe pendant l’hiver », ajoute le spécialiste. Enfin, l’abondance des pontes dans l’est de la Floride ou au Cap-Vert aurait également son importance.
Cette augmentation spectaculaire rend le phénomène « inquiétant », reconnaît Ambre Benier, la directrice de l’Aquarium rochelais. Cette passionnée est d’autant plus fière de ses équipes d’avoir « réussi à sauver énormément de tortues dans ces circonstances. Cela fait partie de nos missions mais ces derniers mois ont été particulièrement intenses, nous avons dû recruter un vétérinaire supplémentaire pour aider Florence (la responsable du CESTM, NDLR) », complète-t-elle. Ce retour à l’océan 2024 avait donc une saveur particulière dans les rangs de l’assistance. Personne n’est resté indifférent à la disparition des reptiles dans le creux des vagues, même sans être impliqué directement dans le projet.
Un suivi de leurs voyages
« J’adore les voir partir ! J’étais déjà venue l’année dernière. Je suis passionnée par l’océan, j’habite dans l’île de Ré, je me sens forcément concernée. Je pratique le surf et la planche à voile, on est très soucieux de la biodiversité », témoigne Océane Dardeau, 18 ans. La jeune fille accompagne ses deux petites sœurs, en sortie scolaire pour la matinée. 250 élèves rétais et rochelais ont fait le déplacement avec leurs enseignant·es. « Nous sensibilisons énormément les enfants à la protection des océans. C’est une grosse problématique, ce n’est pas normal qu’il y ait autant de tortues échouées. Même si c’était un peu long pour eux, c’est très pédagogique de venir ici », estime Isabelle Martineau, institutrice d’une classe de CM1/CM2 à La Flotte-en-Ré.
Il aura fallu deux bonnes heures aux 65 animaux pour regagner tranquillement les flots par groupes de huit, à leur rythme. « Il y avait une tortue caouanne qui allait méga vite par rapport aux autres, c’était rigolo », s’exclame Victor, Rochelais de « 6 ans et demi ». Cet as de la vitesse a été baptisé Oxygène. C’est l’une des tortues – avec Oum – équipée d’un émetteur satellitaire, permettant de suivre leur localisation sur le site de l’Aquarium. Les autres, trop petites, sont simplement pucées, « ce qui permet, en cas de nouvel échouage, à d’autres centres de soins de savoir qu’elles ont été recueillies chez nous », précise Ambre Benier. « On espère qu’elles vont vivre un beau et long voyage », confiait Martine, 63 ans, une spectatrice rétaise sous le charme.
Rédaction et photos : Amélia Blanchot
- Si vous observez une tortue marine, morte ou vivante, signalez sa présence à l’Aquarium de La Rochelle en téléphonant au 05 46 34 00 00 ↩︎