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Réduction des déchets : focus sur la tarification incitative dans le nord de la Nouvelle-Aquitaine

par | 26 novembre 2020


Comment inciter les habitants à moins jeter, mieux recycler et composter ? Dans le nord de la Nouvelle-Aquitaine, cinq communautés de communes ont mis en place la tarification incitative, et d’autres leur emboîtent le pas. Le principe : chaque foyer paye en fonction du volume de déchets qu’il a généré. Un outil de rupture pour inciter les usagers à changer leurs comportements… et leur permettre de maîtriser leur facture. Etat des lieux et explications.


“L’enjeu est environnemental avant tout”

Dans l’île d’Oléron, depuis cet été, l’heure est à la communication et à la sensibilisation. Vingt-cinq agents sont sur le terrain pour rencontrer les habitants et les informer sur le fonctionnement de la tarification incitative. Ils commencent aussi à équiper les poubelles de puces qui permettront aux camions bennes de comptabiliser à l’année les levées de bacs d’ordures ménagères résiduelles (OMR) de chaque foyer. Puisque l’enjeu est bien là : inviter les habitants à réduire leur volume d’OMR. La facture variera en fonction du nombre de levées. « L’enjeu est environnemental avant tout, souligne Marie-Josée Villautreix, Vice-Présidente en charge de la gestion des déchets et du développement durable. Il faut encourager tout le monde à faire mieux, pour la maîtrise des déchets et pour payer moins. » La mise en œuvre de la tarification incitative sera effective à partir de 2022, mais dès 2021 ce sera une année blanche et chaque habitant recevra un document qui lui présentera ce qu’il aurait à payer si la tarification incitative était effective. Il pourra ainsi comparer avec sa facture actuelle. « On espère 20% de réduction des déchets, chiffre Marianne Girard, en charge du service Régie Oléron Déchets. Ces dix dernières années, nous avons déjà connu une baisse de 20%, car nous sommes déjà très engagés. Mais nous savons que nous avons encore une marge de manœuvre. » De l’autre côté du pont, dans la communauté de communes du Bassin de Marennes, la tarification incitative est entrée en vigueur dès 2015, sous la forme de redevance d’enlèvement des ordures ménagères incitative, ou REOMI (voir encadré). Le travail de communication auprès des habitants avait été initié dès 2013 et l’année test menée en 2014. Plus équitable, la facture est proportionnelle à l’utilisation réelle du service, comme l’explique Frédéric Thiebaux, responsable du pôle déchets :

“C’est un peu comme une facture d’eau ou d’électricité. Vous avez une partie abonnement fixe, en fonction de la taille de la poubelle grise qui dépend elle-même de la taille du foyer. Et une partie variable qui correspond au nombre de fois où on aura sorti son bac dans l’année. Nous facturons d’office huit passages. Au-delà, une tarification va s’appliquer : 2,31 euros pour la levée d’un bac standard de 120 litres. Avec ce système on incite les usagers à sortir leur bac plein, donc forcément pour retarder le remplissage ils vont mieux trier.”

Même chose pour les professionnels. Les habitats collectifs sont quant à eux équipés de conteneurs enterrés. Chaque foyer détient un badge portant un identifiant individuel qu’il utilise pour ouvrir le conteneur partagé. Le nombre d’ouvertures est comptabilisé pour établir la facturation.

TEOMI / REOMI : quelle différence ?
La tarification incitative a deux déclinaisons : la TEOMI et la REOMI.
* TEOMI : Taxe d’Enlèvement des Ordures Ménagères Incitative. Cette taxe est un impôt assis sur le foncier bâti. Elle apparaît sur la taxe foncière. L’usager est un contribuable. Le montant de la part fixe varie en fonction de la valeur du logement. La part variable est calculée en fonction de la quantité de déchets produits, dès la première levée.
* REOMI : Redevance d’Enlèvement des Ordures Ménagères Incitative. C’est une facturation envoyée par la collectivité à chaque foyer, en fonction du service rendu. L’usager est un client. La part fixe comprend l’abonnement au service et dépend du nombre de personnes dans le foyer. La part variable est calculée en fonction de la quantité de déchets produits, mais pas forcément dès la première levée.

Des volumes d’ordures ménagères résiduelles divisés par trois

Dans le bassin de Marennes l’impact a été immédiat. Dès la période test, les habitants ont changé leur comportement : entre 2013 et 2015 la quantité d’OMR a baissé de 33%. Même constat dans la communauté de communes Airvaudais-Val du Thouet (79) où la tarification incitative est effective depuis l’an dernier. Entre 2018 et 2019 les OMR ont diminué de 28%. « Nous avons encore une petite marge de progression, constate Sandrine Ganné, responsable du service déchets. Nous tablons sur 6 à 8% de baisse supplémentaire. Nous allons procéder prochainement à une caractérisation des ordures ménagères. On entend encore qu’il y a du verre qui tombe dans les trémis. Ça nécessite encore de la pédagogie et des réflexions sur l’évolution du service. » Dans l’Airvaudais, un quart de la population continue de présenter son bac toutes les semaines, mais la moyenne c’est une levée toutes les trois semaines ou tous les mois. Pour certains, c’est trois ou quatre fois dans l’année ! Dans l’agglomération du Bocage Bressuirais, la tarification incitative s’est déployée entre 2014 et 2019. En six ans l’agglomération est passée de 175 kg d’OMR par an par habitant à 100 kg environ en 2020. Parallèlement, la part de déchets recyclés a fortement augmenté : + 30% pour les multimatériaux (papier et emballages), +15% pour le verre. Dans cette intercommunalité, très étendue et à dominante rurale, le ramassage individuel au porte-à-porte à été complètement supprimé dans les zones en-dessous de 2000 habitants agglomérés. On apporte ses poubelles dans des conteneurs collectifs. Le ramassage individuel ne représente plus que 40%.

Dans le centre-ville de Bressuire, une carte permet aux habitants d’ouvrir les conteneurs partagés

Prendre le temps de l’étude et de la mise en œuvre

Dans toutes les collectivités concernées, on s’accorde à dire que le consensus politique est une clé essentielle pour la réussite de la tarification incitative. Selon Yves Chouteau, élu en charge de la direction Prévention des déchets dans le Bocage Bressuirais, « il est aussi indispensable de ne pas aller trop vite, parce que le changement est assez lourd à mettre en place, mais aussi parce que 90% des usagers ne savaient même pas ce qu’ils payaient avant, ils n’avaient pas forcément vu qu’il y avait une taxe d’enlèvement des ordures ménagères sur leur taxe foncière. Nous avons communiqué tous azimuts et organisé des formations pour les élus, conseillers municipaux, maires, conseillers communautaires, afin de les préparer et leur donner les clés pour répondre aux habitants. Car évidemment, faire bouger les choses ça génère des réactions ! » En ex-Poitou Charentes, cinq intercommunalités ont mis en place la tarification incitative. Certaines sont en cours de mise en œuvre, dans le Thouarsais comme dans le sud et l’est de la Vienne. D’autres en sont à la phase d’étude ou s’apprêtent à le faire, accompagnées par l’ADEME. « A l’échelle de la Nouvelle-Aquitaine, 70% de la population est couverte par une étude préalable, précise Laurent Jarry, ingénieur au pôle économie circulaire de la direction régionale de l’ADEME et référent pour le coût et le financement des déchets. Nous travaillons dans ce sens-là, pour bien faire comprendre que si la tarification incitative n’est pas une obligation, elle est l’outil qui permet la plus grande rupture dans le changement de comportement des usagers. »

La tarification incitative effective dans 5 collectivités d’ex Poitou-Charentes
Collectivité Nb de communes Nb d’hab. Système
Bassin de Marennes (17) 7 15400 REOMI depuis 2015
Agglomération de Saintes (17) 36 60000 REOMI depuis 2014 (sauf la rive droite du centre-ville de Saintes)
Bocage Bressuirais (79) 33 75000 TEOMI depuis 2017
Airvaudais – Val du Thouet (79) 9 7000 TEOMI depuis 2019
Val de Gâtine (79) 31 21500 TEOMI partielle (20 communes) depuis 2019

Bienfaits environnementaux… et maîtrise des coûts

Moins on sort sa poubelle, moins on paye, et dans le Bassin de Marennes les économies sont notables : « La facture a baissé de 20 à 30% pour les particuliers, du fait de la redevance incitative et plus généralement de l’optimisation globale du service » , précise Frédéric Thiebaux. Il est plus simple de calculer les économies réalisées pour les intercommunalités appliquant la REOMI que pour celles fonctionnant avec la TEOMI, « moins transparente » selon Laurent Jarry à l ‘ADEME. Dans l’Île d’Oléron, Marianne Girard ne manque pas de rappeler que l’enjeu financier se situe aussi à un autre niveau : actuellement, plus que de réduire les coûts pour les usagers il faut les maîtriser. « Si nous nous sommes lancés dans l’aventure, c’est pour ne pas laisser aller les hausses de tarifs liées à l’augmentation de la TGAP, la taxe générale sur les activités polluantes. Il faut que nous soyons proactifs. » Même approche pour Sandrine Ganné dans l’Airvaudais-Val du Thouet, qui explique : « La TGAP, appliquée sur l’ensemble du tonnage des déchets enfouis, incinérés et des produits dangereux, va connaître une très forte augmentation. En 2020 nous sommes à 25 euros la tonne. En 2025, nous serons à 65 euros la tonne, soit un bond de 40 euros ! »

Des outils pour améliorer les performances de tri

Le compostage, une solution efficace pour réduire le volume des poubelles

Pour aider à la réduction des ordures ménagères vouées à l’enfouissement ou à l’incinération, il faut bien sûr se doter d’outils permettant d’augmenter les performances de tri. L’ensemble des communautés de communes engagées dans la tarification incitative a instauré l’extension des consignes de tri afin que tous les emballages puissent être recyclés. Deuxième outil essentiel : le développement du compostage. En effet « les biodéchets c’est ce qui pèse le plus lourd, ils représentent 30% de nos poubelles, en milieu rural comme en milieu urbain«  rappelle Laurent Jarry à l’ADEME. C’est dans ce sens que des collectivités proposent une aide à l’achat de composteurs pour les particuliers. L’Île d’Oléron et le Bocage Bressuirais ont même opté pour la gratuité totale. Un choix qui montre son efficacité : dans le Bocage, 35% des foyers sont équipés. Dans l’île charentaise, « depuis le passage à la gratuité en 2019, nous avons distribué 4000 composteurs. Et en un an nous en avons distribué autant qu’en 10 ans, quand nous proposions le composteur à 15 euros ! » raconte Marianne Girard. Parallèlement, toutes les agglomérations installent des composteurs partagés pour ceux qui n’ont pas de jardin, au pied des habitats collectifs, dans les écoles, maisons de retraite, hôpitaux etc.

S’adapter aux spécificités d’un territoire

« Mais tout n’est pas rose, souligne-t-on à Bressuire. Aujourd’hui ce qui peut poser problème, ce sont les récalcitrants qui refusent de passer la carte pour déposer leurs poubelles dans les conteneurs partagés et qui déposent leur poubelles au sol » explique Nathalie Bucher Sourisseau, responsable du service gestion des déchets. Pour gérer ces dépôts sauvages, la collectivité s’est dotée d’un règlement de collecte et de deux agents de Brigade Verte qui ouvrent les sacs afin de retrouver leurs propriétaires et facturer les frais de nettoyage : 110 euros les 100 litres. « L’habitat collectif, c’est le plus difficile. » De manière générale, il apparaît moins évident de mettre en œuvre la tarification incitative en ville qu’en milieu rural. Parce qu’il est plus compliqué d’individualiser les conteneurs, mais aussi parce que dans un centre-ville il y a plus de déménagements, le turnover est plus important. « C’est toute la difficulté de la taxe incitative, où l’on paye la part variable de l’année n-1. » En effet, le locataire peut avoir changé et ce dernier paiera en fonction des déchets résiduels générés par l’occupant de l’année précédente. « En France, Besançon est la seule ville de plus de 200 000 habitants à l’avoir mis en place, remarque Laurent Jarry. Il faut s’adapter aux contraintes et spécificités des territoires. » Du côté de l’Île d’Oléron la particularité est celle du tourisme : « Les usagers en résidence secondaire sont peu présents, il est compliqué de communiquer avec eux pendant cette période de mise en œuvre, observe Marianne Girard. Or ils vont devoir s’impliquer dans le tri et le compostage, même si ça n’est pas toujours naturel de se dire qu’on composte quand on on est sur son lieu de vacances. » Sur l’île, la redevance incitative est déjà appliquée dans les campings depuis 2012 et depuis cette année dans les grandes surfaces. Dans le Bassin de Marennes, comme l’explique Frédéric Thiebaux, « pour les touristes et résidents secondaires les modes de dotation ont été multipliés : ils peuvent avoir un bac, ou un badge qui leur donne accès aux conteneurs des habitats collectifs. Troisième possibilité, ils peuvent se munir de sacs prépayés qui eux aussi seront ramassés par le camion. C’est le choix que nous avons fait pour répondre aux différents cas de figure, à la carte. »
A l’échelle de la Nouvelle-Aquitaine, 10% de la population sera concernée par la tarification incitative au 1er janvier 2021. Au regard du nombre d’études et de dossiers en cours, ce chiffre devrait s’élever à 20% en 2023. L’objectif national est d’un tiers de la population couverte en 2025.

Vous vous demandez comment on fait pour éviter qu’une personne dépose son sac poubelle dans le bac d’ordures ménagères du voisin, afin de moins payer ? « Pour ceux qui ne peuvent pas rentrer leur bac, on propose la mise en place d’un cadenas, explique Camille Roy, responsable du service déchets de la communauté de communes Val de Gâtine. Seuls l’occupant et le service ont la clé.”


Rédaction : Hélène Bannier
Photos : Annabelle Avril et Dominique Piétri
Affiche : Communauté de Communes Ile d’Oléron

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