Il est partenaire des Rencontres internationales de la classe dehors organisées à Poitiers du 31 mai au 4 juin. Le réseau Profs en transition, qui compte plus de 30 000 membres, élabore et diffuse des ressources pédagogiques en lien avec la transition écologique et sociale, pour construire une école plus écoresponsable et solidaire. École hors les murs, matériel durable, plantation d’arbres… les initiatives accompagnées sont nombreuses et visent également à retrouver du sens et du bien-être en milieu scolaire. Interview de Frédérick Heissat, enseignant et co-fondateur du réseau.
En quoi consiste le réseau Profs en transition ?
Ce réseau réunit les acteurs francophones de l’éducation qui souhaitent agir ensemble au niveau pédagogique, pour faire vivre la transition écologique et sociale dans l’apprentissage et les établissements scolaires. Concrètement, nous échangeons des idées de projets, d’activités et de séances à réaliser avec les élèves autour de ces enjeux, puis partageons nos retours d’expérience. L’objectif, c’est d’adosser ces savoirs aux disciplines classiques – comme les mathématiques, le français, l’économie ou encore la philosophie – afin que le ou la professeur·e de SVT ne soit pas l’unique personne chargée d’aborder les notions de climat et la biodiversité. Cela n’a rien d’excentrique : un vademecum du Ministère de l’Éducation nationale encourage déjà les enseignant·es de toutes les disciplines à intégrer le développement durable à leur programme.
Concernant la composition du réseau, il fédère un grand nombre de profils différents. S’il fallait cependant identifier un membre-type, je dirais qu’il s’agit d’un·e citoyen·ne qui s’engage déjà dans son quotidien – en produisant ses légumes ou tendant vers le zéro-déchet, par exemple – mais qui souhaite étendre cette implication à sa vie professionnelle. Et on peut dire que la démarche suscite un certain engouement, puisque cinq à dix enseignant·es rejoignent le groupe chaque jour.
Qu’est-ce qui vous a incité à co-fonder ce réseau ?
Le réseau est né de l’impulsion de deux enseignants et pères de famille, mon ami Antoine Maldonado et moi-même. Conscients de l’urgence à agir pour le climat et la biodiversité, nous nous sommes demandé comment nous pourrions préparer les enfants aux défis qui attendent leur génération. En tant qu’éducateurs, nous avons réalisé que c’était dans notre champ professionnel que nous avions le pouvoir d’œuvrer. Notre objectif, c’est donc de faire en sorte que l’écologie ne soit pas considérée comme un sujet de niche, mais soit intégrée à toutes les disciplines. En effet, je ne crois pas que notre réseau mette en avant des pratiques pédagogiques “alternatives”. Nous incarnons plutôt un mouvement allant vers des pratiques qui vont s’imposer d’elles-mêmes, avec la réalité décrite dans les rapports scientifiques. Idem, ce n’est pas la passion qui m’a conduit à co-fonder Profs en transition, mais un sentiment de nécessité. C’est un mode d’action qui s’impose à moi en tant que père de famille et citoyen de ce monde, et non un véritable choix.
Pourquoi Profs en transition encourage-t-il la pratique de la classe dehors ?
L’école dehors, cela peut d’abord être une fin en soi, puisqu’il est très agréable de donner un cours ou d’y assister en extérieur. C’est aussi un moyen de faire classe de manière encore plus efficace et bénéfique. Pourquoi ? Cela permet d’apprendre en situation, de rendre les savoirs concrets, visualisables et expérimentables. C’est particulièrement utile pour les élèves qui ont des difficultés à manipuler des concepts abstraits. En effet, on a souvent tendance à oublier à quel point une salle de classe est artificielle. Nous avons condensé le savoir sur des polycopiés parce que cela était plus facile, plus pratique ; mais le savoir, il se trouve avant tout sur le terrain !
Outre la classe dehors, l’objectif du réseau est aussi d’agir directement sur la biodiversité ?
Tout à fait. À ce sujet, je m’aligne complètement avec l’enseignant-chercheur en philosophie Baptiste Morizot. Pour lui, la crise écologique est avant tout une crise de la sensibilité, dans le sens où ce qui nous entoure nous laisse de plus en plus indifférent. Il me semble donc que les activités en extérieur permettent de retrouver une certaine sensibilité vis-à-vis de son territoire, des gens qui l’occupent et de sa biodiversité. Et si cette biodiversité n’est pas présente, cela nous encourage justement à favoriser son retour !
Une autre initiative forte du réseau, dans cet ordre d’idée, c’est “Arborecole”. Le principe, c’est de renouer le lien avec le végétal en le faisant revenir dans les espaces scolaires pour des raisons de santé, de bien-être et de cohérence. Grâce à des associations partenaires, nous réunissons également des enfants, des agriculteur·ices et des expert·es en agroforesterie pour effectuer des plantations d’arbres en parcelles agricoles. Cela permet de créer du dialogue autour de l’agriculture durable, d’interroger la place de la biodiversité dans les cultures, mais aussi de l’observer et de la manipuler dans une démarche de sciences participatives.
La biodiversité est d’ailleurs un sujet plus facile à traiter que le climat, qui est moins concrètement observable par les élèves. Pourtant, il est essentiel qu’ils en comprennent les enjeux. Si d’autres réseaux militent pour l’inclusion d’un parcours biodiversité-climat à la faculté, nous aimerions que cela concerne aussi les enfants, puisque tous n’iront pas à l’université. Nous défendons donc la création d’un “parcours climat” qui, comme une spécialisation en sport ou en arts plastiques, permettrait à un élève d’acquérir des bases tout au long de son cursus. Concrètement, nous mettons à disposition des ressources pédagogiques pour aider les enseignant·es à aborder ces enjeux tout en restant en conformité avec les programmes scolaires ; et ce dès la maternelle, avec la lecture de certains albums jeunesse. Au collège ou au lycée, on monte en puissance : ce parcours peut, par exemple, consister à organiser un calcul de l’empreinte écologique de l’établissement scolaire, avec les éco-délégué·es à la manœuvre.
Quelles autres initiatives porte le réseau, en faveur de la transition écologique et sociale ?
“Cartable Vert” est l’une des initiatives les plus importantes que nous déployons. Le principe, c’est d’interroger ensemble notre utilisation du matériel scolaire, en employant la démarche des cinq R (Refuser, Réduire, Réutiliser, Recycler, Rendre à la terre). J’ai par exemple des collègues qui ont totalement arrêté d’utiliser la colle en classe, pour tout ce qui ne relève pas du projet artistique ; estimant aberrant de coller du papier sur du papier. Et ce qui est génial, c’est que les élèves sont pleinement intégrés à ce dispositif ! Nous invitons les collègues à faire en sorte que ce soient eux qui choisissent quelles fournitures commander, à partir d’un véritable catalogue. Les enfants utilisent des tableurs mathématiques pour comparer les produits en fonction de leur provenance géographique, de leur composition et de leur prix, avant de prendre la décision en groupe, travaillant ainsi le langage oral. “Cartable vert” a ainsi une action par ricochets : les élèves sont responsabilisés, puisque ce sont eux qui passent commande, vérifient les éléments à sa réception, et sont garants du maintien dans le temps de ces équipements. Pédagogiquement parlant, ils travaillent aussi les mathématiques, le français et la géographie. De même, l’action permet de limiter ses déchets et de réduire les produits nocifs en salle de classe. Les parents et le service public y gagnent également sur le plan financier, puisque mutualiser les équipements, les réparer et opter pour des choix plus durables permet de réaliser des économies. Il y a enfin toute une dimension symbolique : le crayon ou le stylo incarne le professeur au tableau, face aux élèves. Ne pas utiliser des feutres emplis de produits chimiques, qui détériorent la qualité de l’air et qui sont fabriqués dans des conditions peu éthiques, cela envoie un message fort. On établit une cohérence entre le savoir transmis en classe et le matériel.
Dans cet ordre d’idée, nous promouvons le principe “d’école zéro-déchet”. L’idée, c’est de maintenir une cohérence entre les enjeux écologiques étudiés pendant l’année et l’organisation des événements ponctuels, comme la kermesse, les fêtes de fin d’année ou les sorties scolaires. On s’efforce de faire en sorte que ces événements soient en adéquation avec les valeurs mises en avant en cours, par exemple à l’occasion d’un pique-nique zéro-déchet.
Pour finir, notre initiative “école aventure” consiste à inviter des éco-aventurier·es à partager leur vécu et défi sportif aux élèves. Ces rencontres peuvent constituer une entrée en matière inspirante, pour inciter les élèves à agir.
Quel rôle peut endosser l’éducation, dans la lutte contre le dérèglement climatique ?
L’école, c’est une fabrique d’avenir. Qu’est-ce qu’un établissement scolaire finalement, sinon une micro-société ? Un espace dans lequel on peut imaginer et construire le futur ? Le principe du métier d’éducateur·ice, c’est justement d’aider les enfants à bâtir cet avenir. Nous avons une forme d’impératif moral, éthique, à accompagner la jeune génération vers les défis qui les attendent. C’est pourquoi il est nécessaire de défendre et de favoriser la biodiversité autour de son école, de diminuer l’empreinte carbone de son établissement, de gérer efficacement ses déchets, de questionner l’acte de consommation, etc. Toutefois, j’insiste sur le fait qu’il n’est pas question de faire peser toute la responsabilité du changement sur la jeune génération. À partir de l’entrée d’un enfant à l’école, il faut compter une quinzaine d’années avant qu’il n’obtienne le droit de vote. Même si les urnes ne sont évidemment pas l’unique moyen de faire changer la société, la formation d’un·e citoyen·e averti·e prend du temps. C’est pourquoi, d’après Antoine et moi, l’éducation ne peut répondre à l’urgence, puisqu’elle s’effectue dans le temps long. Il revient aux adultes de gérer les problématiques actuelles.
Outre son impact sur l’environnement, la transition écologique à l’école a-t-elle des effets sur la santé mentale et physique des enseignant·es et des élèves ?
Tout à fait. L’ensemble de ces pédagogies permettent de recréer du lien avec le vivant, le territoire et ses acteurs. Et il y a toute une notion de bien-être qui entre en jeu. Le bruit, par exemple : alors qu’il peut être pénible en salle de classe, il se diffuse une fois dehors. En extérieur, les corps se libèrent également : on peut s’installer comme on veut, du moment que l’on participe et que l’on est attentif. Écouter son camarade qui récite une poésie en étant allongé, s’asseoir sur l’herbe, à une table de pique-nique… Les déplacements sont plus libres, et l’activité physique encouragée. C’est d’autant plus crucial qu’une étude annonçait récemment qu’entre le moment où les petits enfants se lèvent, vont à l’école et se couchent, ils font à peine 50 pas dans leur journée ! Associé à un temps d’écran en augmentation, on voit se dessiner un enjeu de santé publique majeur.
Les méthodes d’enseignement que nous défendons permettent de retrouver du plaisir, du sens, et même une forme de fierté au travail – un atout essentiel, pour une profession qui a fait l’objet d’un rabaissement continuel depuis quinzaine d’années, au point qu’elle peine à présent à recruter, quand bien même il s’agit d’un métier magnifique.
Propos recueillis par : Hildegard Leloué
Photos : Profs en transition / Frédérick Heissat