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“On voulait, avec une simple peinture, contribuer à la lutte contre le dérèglement climatique”

par | 22 juillet 2020


Comment limiter le recours à la climatisation, qui pourrait représenter 40% de la facture énergétique mondiale dans les prochaines décennies ? Fruit de trois ans de recherche et développement au sein de l’entreprise Prima Coating à Périgny (17), PrimaTherm est une peinture intelligente qui a la particularité de réduire significativement l’échauffement d’une toiture sous le rayonnement du soleil… et donc la température à l’intérieur d’un bâtiment. Une innovation pensée pour son impact positif sur l’environnement. Interview de Patrick Pillet, ingénieur-chimiste et co-dirigeant de Prima Coating.


Comment une peinture peut-elle limiter significativement les transferts de chaleur de l’extérieur vers l’intérieur d’un bâtiment ? Quelle est l’innovation développée avec PrimaTherm?

Si l’on regarde ce qui se passe dans les pays méditerranéens comme la Grèce, depuis l’Antiquité les maisons sont blanches, car comme on le sait une surface blanche reste plus fraîche qu’une surface sombre. Le blanc réfléchit la partie visible du rayonnement solaire quand au contraire, le noir va l’absorber. On s’est rendu compte qu’aux Etats-Unis s’était développée une pratique inspirée des cultures ancestrales et consistant tout simplement à peindre les toits en blanc. C’est une très bonne idée car effectivement, on constate que les toitures des bâtiments sont souvent de couleurs très sombres et absorbent énormément la chaleur. Pour nous l’idée était d’aller plus loin. L’innovation dans PrimaTherm c’est d’être capable d’aller chercher au-delà de la partie visible du spectre solaire et de traiter le rayonnement infrarouge. Celui-ci est invisible, mais il a aussi a une interaction avec la matière qu’il rencontre. Une simple peinture blanche va absorber ce rayonnement infrarouge et emmagasiner une bonne quantité de calories envoyées par le soleil, alors qu’avec PrimaTherm on va pouvoir le renvoyer en grande partie. On parle de propriétés isolantes thermo-réflectives. Pour donner une échelle de comparaison : il existe un indice, le SRI (Solar Reflectance Index), qui permet de qualifier la capacité d’une peinture à réfléchir le rayonnement solaire. PrimaTherm est à 117 quand une excellente peinture blanche classique va avoir un indice maximum de 100. Cela signifie qu’on a un gain de l’ordre de 15 à 20% en termes de blocage du rayonnement solaire. La conséquence directe c’est l’abaissement de la température, sur la surface peinte et à l’intérieur du bâtiment.

De combien de degrés réussissez-vous à faire baisser la température d’une toiture et de l’intérieur d’un bâtiment ?

Si on prend le cas de figure d’une toiture classique en étanchéité bitumineuse ou en bac acier, sous nos latitudes en été le support monte à 60 ou 70°C. Avec le revêtement PrimaTherm on va monter à 30°C, 40°C maximum. On divise donc quasiment par deux la température de surface de la toiture. Après, cela se répercute de manières différentes à l’intérieur d’un bâtiment selon sa géométrie, l’isolant mis en place et la surface impactée par le soleil. En moyenne, dans un bâtiment correctement isolé, on a un gain de 3 à 8°C. S’il est de type industriel avec une isolation sommaire, on peut obtenir à l’intérieur un gain de 10 à 20°C.

Les économies d’énergie générées par l’application de PrimaTherm ont-elles déjà été mesurées ?

Oui, après trois ans de recherche et développement en labo, nous avons réalisé l’été dernier une expérimentation grandeur nature près de La Rochelle. Nous avons peint la toiture de 2000m2 d’une usine agroalimentaire comportant des zones de production où la température est maintenue entre 5 et 15°C toute l’année, avec évidemment de grosses consommations en froid. Lissé sur un an, on est à 30% d’économie d’énergie. La facture d’électricité a baissé d’autant.

Quand vous lancez la recherche et développement pour la formulation de cette peinture innovante il y a trois ans, c’est avec quelle motivation ?

Au départ il y a une volonté d’entreprendre dans notre métier, qu’on pratique depuis 20 ans, tout en sachant qu’on est capables aujourd’hui d’apporter des fonctionnalités très intéressantes aux peintures, qui ne servent plus seulement à décorer ou protéger un support. C’est ce qu’on appelle les peintures intelligentes, capables d’interagir avec ce qui les entoure. Et nous on voulait, avec une simple peinture, contribuer à la lutte contre le dérèglement climatique, modestement – et redorer par la même occasion le blason de la chimie. Aujourd’hui on arrive à formuler des peintures de plus en plus propres et écologiques, on n’utilise quasiment plus de produits toxiques et nocifs, mais l’idée c’est d’aller au-delà et d’avoir un impact positif sur notre environnement. L’enjeu avec PrimaTherm c’est de limiter l’usage de la climatisation, qui est 20% plus énergivore que le chauffage et génère plus de gaz à effet de serre. Aujourd’hui la clim représente autour de 10% du volume de consommation énergétique mondiale, un chiffre qui devrait atteindre les 40% d’ici 30 ou 40 ans. Ca veut dire que la consommation d’électricité dans le monde sera presque pour moitié liée à la climatisation ! Sachant en plus qu’elle-même génère de la chaleur, c’est l’effet boule de neige. Cela nous a beaucoup interpellés. On a découvert que le GIEC, qui travaille au niveau international sur la problématique du climat et du réchauffement climatique, a identifié cette pratique du cool roofing (toit frais) comme étant un des leviers intéressants pour limiter le réchauffement climatique si elle était généralisée à l’échelle mondiale. Cela permettrait de réduire de 20 à 30% cette explosion de l’usage de la climatisation.

Ce revêtement innovant peut répondre aux problématiques de quels secteurs d’activités ou de quels types de bâtiment ?

On en découvre tous les jours ! A l’origine PrimaTherm est plutôt destinée à être appliquée sur de grandes surfaces de toiture plate ou à faible pente, qui représentent 30 à 50% des apports de chaleur l’été. La cible ce sont les bâtiments industriels, commerciaux, tertiaires, habitats collectifs, dès qu’il y a une problématique de confort et de recours à la climatisation. Et dès qu’il y a à l’intérieur des process qui font appel à du froid, comme dans l’agroalimentaire. Mais on réalise que c’est en fait beaucoup plus vaste ! La semaine dernière, j’étais sur la toiture d’une crèche construite il y a une quinzaine d’années et où le l’inconfort thermique est colossal. Selon les données que nous a fournies l’exploitant, la climatisation y est enclenchée dès la fin du mois d’avril et elle est coupée au mois d’octobre. On était loin de penser qu’on pourrait apporter quelque chose à ce type de bâtiment, car de manière assez crédule on se disait qu’il n’était pas très vieux et avait une bonne isolation. Mais l’isolant, une fois chargé en calories, rayonne de la chaleur qui se retrouve piégée dans les espaces intérieurs, justement parce que l’isolation est bonne ! Il y a des systèmes de ventilation qui améliorent un peu les choses mais ça n’est pas suffisant. Voilà un exemple qui est loin de notre cible de démarrage.

Cette peinture a-t-elle été pensée pour avoir une performance durable ?

C’est l’essence même de l’entreprise Prima Coating. Notre objectif est de formuler et proposer des produits les plus durables possible. Cela passe par la dimension écologique des composants, mais surtout par leur performance dans le temps. On vise une durabilité de l’ordre de 15 à 20 ans, grâce à une résine de finition qu’on vient appliquer en dernière couche de notre système et qui a une résistance incroyable face aux agressions extérieures que subit naturellement une peinture. On a fait le choix d’utiliser un polymère qui est assez unique, c’est une résine fluorée qui vient de la chimie du minéral, et non de la chimie du pétrole. Elle a aussi la capacité d’être autonettoyante. Le revêtement va donc rester blanc et garder une efficacité optimale.

Et pour la peinture en elle-même, quels matériaux entrent dans sa formulation ?

On ne peut pas entrer dans les détails, c’est secret, c’est notre recette ! Ce qu’on peut dire, c’est qu’il s’agit d’une peinture à l’eau à laquelle on intègre une combinaison de matériaux minéraux capables de réfléchir le rayonnement infrarouge.

Peut-on au moins savoir d’où ils viennent ?

Nos matières premières viennent exclusivement de France et d’Europe. Cela fait aussi partie de l’identité de l’entreprise. On achète au plus proche, même si on doit payer plus cher. Il y a derrière cela un souci de qualité, mais aussi un enjeu environnemental. Hors de question d’aller acheter en Chine ou ailleurs en Asie une matière qu’on peut trouver en France, en Allemagne ou en Italie. Nous n’avons pas attendu les prises de conscience récentes pour raccourcir les circuits et travailler de manière raisonnée.


Propos recueillis par Hélène Bannier
Photo : Annabelle Avril

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