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“En Charente-Maritime, la production de masse de bateaux doit être interrogée”

par | 24 octobre 2023


Penser les territoires au futur. Les Shifters Charente-Maritime ont organisé le 27 septembre à La Rochelle une conférence sur la fin de l’abondance et son impact sur le département. L’événement a affiché complet, avec 190 décideurs locaux dans la salle. Au micro, Matthieu Auzanneau, directeur de The Shift Project, et Corentin Riet, spécialisé dans les territoires littoraux et chef de projet du même organisme. Leur « think tank » prône l’atténuation du changement climatique et la réduction de la dépendance de l’économie aux énergies fossiles. Les spécialistes sont venus notamment évoquer les risques menaçant les activités emblématiques du territoire. Éclairage avec Matthieu Auzanneau.


Quelles données vous ont permis de quantifier l’impact de la fin de l’abondance sur l’économie en Charente-Maritime ?

Je tiens à préciser que The Shift Project n’a pas produit de données spécifiques à la Charente-Maritime pour cette conférence. Nous nous sommes basés sur notre plateforme, Territoires au futur, qui compile une multitude de données publiques, pour la plupart issues de l’Insee. Elle est accessible à tous, il suffit de taper dans notre moteur de recherche le nom de votre ville, communauté de communes ou département. Cette plateforme donne un aperçu des vulnérabilités et des opportunités d’un territoire, à travers quatre grandes rubriques : agriculture et alimentation, économie et emploi, mobilité et vie quotidienne, logement et habitat. Cette plateforme permet d’obtenir des données concrètes dans le but de nourrir le débat et de convaincre des élus.

© Territoires au futur – données pour la Charente-Maritime

Nous avons dans notre département des activités phare, comme l’ostréiculture, le nautisme et le tourisme. Par quels risques sont-elles menacées ?

L’ostréiculture est directement touchée par le réchauffement climatique. L’acidification des océans est très mauvaise pour les huîtres, qui vont devenir plus petites et plus fragiles. Le nautisme, lui, implique pour la fabrication des bateaux des dérivés de pétrole flottant, même quand bien même ce sont des voiliers. Or nous sommes dans un contexte où le pétrole va devenir rare et contraint. Les matériaux alternatifs sont rares et plus chers. Et si un bateau est construit en bois tropicaux, le remède n’est-il pas pire que le mal ? La production de masse de bateaux doit être interrogée. Surtout quand on sait que le taux d’utilisation d’un bateau est, en moyenne, de quinze jours par an. Il faut initier des réflexions à ce sujet. Pour le tourisme, comme pour le nautisme, il s’agit d’une question de masse. Et il doit devenir de proximité relative. Aujourd’hui il est plus facile d’aller à Djerba (île de la Tunisie, NDLR), notamment en termes d’accès et de budget, que de se rendre dans l’île de Ré. C’est un problème. Il faut se poser la question de la politique de recrutement des vacanciers par les offices de tourisme. Faut-il organiser des campagnes de publicité aux États-Unis ? En Chine ? Ou en Franche-Comté ? Les décideurs doivent se poser ces questions. Il faut pouvoir proposer un tourisme bas carbone, que les gens partent moins loin et plus longtemps. Il est urgent et nécessaire d’avoir un ralentissement.

Concrètement, de quelle manière les décideurs locaux peuvent-ils se préparer à la fin de l’abondance ?

Il faut pouvoir se projeter dans le monde de nos enfants, dans lequel il va faire plus chaud, avec moins de disponibilités énergétiques. Les décideurs sont dans une boule à neige qui commence à être secouée et qui va l’être de plus en plus fort. Corentin Riet a évoqué pendant la conférence les spécificités des territoires littoraux comme en Charente-Maritime. Notamment le fait qu’ils connaissent une contrainte foncière importante, avec une moyenne de 17% du territoire artificialisé. C’est dû, entre autres, à la présence importante de résidents secondaires et de touristes. Parmi les pistes d’actions concrètes, nous proposons aux élus d’établir une réserve foncière, qui pourra être utile quand une partie du littoral sera touchée par la montée des eaux. Autre exemple donné par Corentin avec l’agriculture, la Charente-Maritime produit la moitié de ce dont elle a besoin en fruits et légumes. Or il peut être relativement facile de passer à 100%, ce qui permettrait d’éviter le transport de denrées depuis d’autres régions. Ces productions ne prennent pas énormément de place, par contre il y a le problème d’attrait de la main-d’œuvre sur lequel il faudrait travailler. Ces données locales permettent de positionner des enjeux globaux.

© Territoires au futur – données pour la Charente-Maritime

A si petite échelle, est-il encore possible de changer la donne ?

Je pense que oui. Nous avons passé un quart de siècle à procrastiner, il est encore temps d’agir. Nous avons trente ans devant nous pour réussir à sortir de notre dépendance au pétrole. Dans cet intervalle, il est estimé que trois années sur quatre seront aussi chaudes que celle de 2022. Il n’y a pas de recette miracle, mais une méthodologie à suivre pour les pouvoirs publics et les territoires permettant de s’adapter. Heureusement, il y a des issues heureuses. Je peux citer l’évolution de la mobilité quotidienne, avec le développement du vélo. C’est une bonne chose, mais il est possible qu’il n’y ait pas assez d’électricité dans dix ans, alors préférez un vélo classique à un électrique. Au Shift Project, nous ne prédisons pas l’avenir. Nous prévenons.


Propos recueillis par : Amélia Blanchot
Photos : haut de page : Amélia Blanchot ; portrait : Laurent Bourgras

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