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A La Rochelle, Venfret décarbone le transport maritime

par | 29 octobre 2020


Déguster du café livré par voilier pour une empreinte carbone minimale ? C’est possible, à condition d’anticiper et prendre son temps. Les membres de Venfret proposent de commander des produits acheminés à la force du vent depuis le bout du monde, que les clients récupèrent sur les quais rochelais.


Elle a passé sa commande en quelques clics, à la mi-juillet. De l’huile d’olive et des amandes du Portugal, du chocolat de Trinidad-et-Tobago. Fanny, 47 ans, est venue récupérer ses produits le 5 octobre, sur un ponton du Vieux Port de La Rochelle, entre deux averses. Trois mois de délai, comment est-ce possible en l’an 2020 ? Cette habitante de Luçon (Vendée) a opté pour un achat de marchandises livrées à la voile avec l’association Venfret, qui milite pour un transport maritime le plus propre possible : « J’achète en plus grande quantité des produits de très bonne qualité. Ça me bouscule dans ma manière de consommer et dans mon rapport au temps, dans le bon sens du terme. Mes achats sont associés à un moyen de transport respectueux de l’environnement. » Aucune denrée périssable, bien sûr, ne se trouve dans les cales des bateaux. Et il vaut mieux, car la météo leur a joué des tours. La livraison du 5 octobre était prévue le 15 septembre. Ce jour-là, il y avait « pétole » : pas un souffle de vent pour faire voguer le navire. Le déchargement a été reporté. Une première fois. Puis une seconde, en raison de la tempête Alex, trop violente pour s’aventurer sur l’océan. Les 450 kilos de marchandises ont fini par arriver à bon port à La Rochelle, après un long voyage depuis l’autre bout du monde.

Edwin Séjourné et Sylvain Le Bihanic, co-fondateurs de Venfret

Un réseau économique international

Pour arriver jusqu’en Charente-Maritime, les produits ont été transportés sur le Gallant, un voilier de 36 mètres de long capable d’acheminer 35 tonnes de marchandises. Il appartient à la Blue Schooner Company, un transporteur professionnel spécialisé dans le fret à la voile, amarré à Douarnenez (Finistère). L’hiver dernier, l’équipage du Gallant s’est rendu aux Antilles chercher du chocolat et du café bruts avant de mettre le cap vers l’Angleterre où les denrées ont été transformées. C’est en effet dans ce pays que se trouve l’affréteur New Dawn Traders, une entreprise dédiée au transport à la voile qui travaille avec des producteurs dans une démarche équitable. Au printemps, le Gallant a ensuite fendu les flots vers le Portugal pour charger les olives, l’huile et les amandes. Venfret est le dernier maillon de ce réseau économique international qui mène à bien ces « campagnes maritimes ». Ces voyages sont toujours coopératifs, ce sont des commandes groupées avec d’autres acteurs du fret à la voile. Comme Les Caboteurs de Lune, à Noirmoutier. Afin d’éviter les escales trop coûteuses, un débarquement unique s’est déroulé à Noirmoutier. Les Rochelais de Venfret ont mis les voiles vers l’île vendéenne pour chercher leur dû. L’association répartit ses recettes ainsi : 64 % pour les producteurs, 16,5 % pour l’affréteur, 4 % pour le transporteur et 15,5 % pour Venfret. « Avec notre système de commande à l’avance, on réduit le risque financier », affirme Sylvain Le Bihanic, marin professionnel et président de l’association fondée avec Edwin Séjourné en 2015.

Un déchargement en chaîne humaine

Venfret ne possède pas de bateau, elle fait appel à la solidarité des gens de mer pour aller récupérer ses marchandises. Antoine Gonnet a ainsi fait l’aller-retour La Rochelle/Noirmoutier à bord du Setis, une pièce unique de 1938 dont il est copropriétaire. Ce skipper professionnel a fait le voyage gratuitement : « Leur initiative m’intéresse. Pourquoi ne pas travailler dans ce secteur demain ? Même si aujourd’hui il y a plein de freins, c’est une démarche qui, je pense, a de l’avenir. » En effet, le fret à la voile a le vent en poupe. Mais il est une goutte d’eau dans un océan de porte-conteneurs, reconnus comme massifs et polluants. Cependant, l’ambition de Venfret n’est pas là. « On n’est pas une concurrence au transport en cargo. On veut surtout proposer une démarche dans laquelle les gens sont acteurs, achètent des produits sains, où les producteurs sont rémunérés correctement, tout en respectant l’environnement », souligne le président. Les clients de Venfret mettent la main à la pâte. Le débarquement des denrées s’organise sous forme de chaîne humaine, du bateau jusqu’au quai, avec les marins et les volontaires de passage. Pour un moment « festif et de partage ».

Créer un comptoir à La Rochelle

Les produits acheminés sont aussi vendus sur le quai aux curieux

Ce 5 octobre, une petite dizaine de personnes a fait le déplacement. « Nous avons eu 25 commandes pour cette campagne, contre 35 sur celle du mois de juin, qui avait été très bonne. Cela reste positif pour nous car nous avons de nouveaux clients », assure Edwin Séjourné, le co-fondateur. Notamment le supermarché coopératif en projet à La Rochelle, Ma Coop, qui a acheté 33 kilos d’amandes. « C’est super car cela prend une autre dimension, on devient des intermédiaires », complète le bénévole. Sur le quai en contrehaut du Setis, un tivoli est installé pour abriter les produits transportés : olives en vrac dans des bocaux, tablettes de chocolat, café, noix de muscade… vendus en direct, pour les curieux qui s’arrêtent. A l’image de ce « cyclo entrepreneur » qui se fait appeler Traffik, venu accompagner un ami : « Je suis déjà sensibilisé aux livraisons décarbonées et je veux suivre leur aventure avec grand intérêt. Ce sont des petites quantités, c’est symbolique mais si je peux être un modeste maillon de cette chaîne, c’est déjà bien ». Il repart avec une tablette de chocolat et une bouteille de Poiré, une boisson alcoolisée à la poire rapportée avec la cargaison de Noirmoutier. L’hiver arrivant à grands pas, l’association n’organisera pas de nouvelles campagnes avant le printemps 2021. Venfret a plusieurs projets pour cette nouvelle année : « On veut créer un comptoir à La Rochelle, faire venir le Gallant ici et exporter des produits locaux à la voile dans d’autres villes côtières de la façade Atlantique. On a beaucoup de demandes en ce sens. Pour cela, on souhaite créer une entreprise, tout en conservant notre volet associatif. On aimerait continuer à inventer de nouvelles choses avec ce qui existe déjà. Par exemple, faire du vieillissement dynamique d’alcool en mer, comme cela se faisait avec le porto, qui était un vin resté longtemps en cale », explique Sylvain Le Bihanic. Cap sur de nouveaux objectifs, avec un vent portant qui dope ces initiatives.


Rédaction : Amélia Blanchot
Photo : Bastien Guinard

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