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Face au surtourisme, l’île d’Aix élabore une stratégie de “démarketing”

par | 28 février 2023

Surtourisme île d'aix

Face à l’afflux de visiteur·euses en saison estivale, l’île d’Aix (17) veut mettre en place une stratégie de “démarketing touristique”. L’objectif est d’alerter sur la fragilité de l’île, dont les infrastructures et la biodiversité sont mises à mal par la surfréquentation. Repenser la communication opérée autour de l’île serait l’un des leviers d’action possibles, pour mettre en place un tourisme plus raisonné. Interview de Patrick Denaud, maire de la commune à l’origine de cette initiative.


En quoi consiste cette stratégie de “démarketing touristique” ?

L’objectif de cette stratégie est d’alerter les politiques publiques sur les conditions d’accueil dégradées des touristes et des saisonniers. En effet, l’île mesure seulement trois kilomètres de long sur à peine 600 mètres de large. Or, l’été, elle fait face à des pics de fréquentation pouvant aller jusqu’à 8 000 visiteurs par jour ! Sur l’année, ce sont près de 450 000 touristes qui viennent visiter l’île – c’est énorme, par rapport à l’envergure du territoire. Sans compter que ces chiffres augmentent d’année en année. Cette surfréquentation touristique, particulièrement intense au mois d’août, est notamment due à la présence du Fort Boyard sur la commune.

Face à cet afflux de touristes, nous ne souhaitons pas mettre en place des quotas, mais plutôt nous doter d’infrastructures aptes à les recevoir dans de bonnes conditions. Nous réfléchissons donc à des façons de mieux répartir l’affluence, potentiellement en indiquant les jours et les horaires les moins fréquentés pour inciter les visiteurs à se reporter sur ces créneaux, comme le fait La Poste. L’idée serait aussi d’inciter les visiteurs à venir découvrir l’île en hiver, lorsqu’il y a beaucoup moins de touristes. Il s’agirait également de travailler sur la communication autour de l’île, et les imaginaires parfois idéalisés qu’elle suscite au travers de la publicité. C’est ce que j’entends par “démarketing”.

Quelles sont les répercussions concrètes du surtourisme, sur l’île d’Aix ?

Par sa configuration d’île, Aix rencontre des difficultés que l’on ne retrouve pas sur le continent, la surfréquentation touristique impliquant des problèmes d’ordre à la fois logistique et écologique. Tout d’abord, le nombre insuffisant de sanitaires a conduit certains endroits à devenir des toilettes à ciel ouvert. La gestion des déchets en elle-même pose aussi problème, puisque nous dépendons du bateau pour évacuer ceux que les visiteurs laissent chaque jour. Au sujet du transport, nous ne sommes plus en mesure d’assurer la sécurité sur le port, les personnes se bousculant pour monter ou descendre des bacs transbordeurs qui effectuent une liaison quotidienne. Nous ne disposons pas non plus d’assez de moyens pour accueillir dignement les saisonniers.

Le réseau d’eau est également sous tension. L’été dernier, certaines canalisations vétustes ont rompu, privant l’île d’eau potable pendant près de 24 heures en pleine canicule, et ceci à deux reprises ! Le délabrement des infrastructures engendre beaucoup de complications. Le camping a justement fermé l’année dernière, à cause de problèmes au niveau des sanitaires et des douches. La surfréquentation peut aussi être difficile à gérer pour certains commerçants, et désagréable pour les touristes : un restaurant prévu pour accueillir 300 couverts ne peut pas passer à 700. Il y a donc souvent beaucoup de files d’attente. Côté environnement, le piétinement des terrains sensibles et des dunes est aussi un problème, la nature peinant à se régénérer entre deux saisons ; de même que le coût nécessaire à l’entretien des espaces naturels et des routes, qui sont sursollicités.

Pour engager ce “démarketing”, il faudrait également travailler sur la communication publicitaire qui entoure l’île ?

On pourrait effectivement imaginer qu’une publicité plus réaliste soit faite de l’archipel. J’échange parfois avec des touristes qui s’expriment déçus, après avoir été exposés à une communication trop idéalisée de l’île. Présentée comme “la perle de l’estuaire” ou “le joyau de la Charente-Maritime” dans les brochures touristiques, l’île d’Aix renvoie l’image d’un havre de nature préservé, qui suscite des imaginaires à la Robinson Crusoé. Or, s’y rendre et s’y restaurer a un certain coût qui, cumulé à la surfréquentation, peut engendrer une certaine désillusion. La commune d’Île-de-Bréhat, dans les Côtes-d’Armor, a par exemple commandité une analyse auprès de ses touristes. Résultat : 30% d’entre eux ont déclaré qu’ils ne reviendraient plus à cause de la surfréquentation rencontrée au moment de leur séjour. Cela les a notamment conduits à instaurer des quotas de touristes, mesure à laquelle nous aimerions vraiment éviter d’avoir à recourir.

Comment s’articule cette stratégie, avec les politiques publiques ?

Un groupe de travail et d’observation, composé d’élus et de techniciens, a été mis en place à l’initiative de la Communauté d’Agglomération Rochefort Océan. À partir de fin février, nous allons nous réunir régulièrement pour aborder ces thématiques et déterminer comment nous pouvons améliorer la situation. Un point important, c’est que le tourisme fait partie des piliers de l’économie de l’île, il permet de faire vivre tout un réseau de commerçants. L’enjeu n’est donc pas d’y renoncer mais plutôt de trouver les moyens de l’adapter, pour mieux prendre en compte la fragilité de l’île.



Propos recueillis par : Hildegard Leloué
Montage photo : Hildegard Leloué / Freepik (@Teksomolika)
Photo portrait : Wikipédia

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