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Crise du bio : les petites enseignes s’adaptent

par | 15 novembre 2022

Crise du bio

C’était trop bio pour être vrai. Après des années de croissance à deux chiffres, la filière biologique connaît un décrochage important depuis le second trimestre de 2021. En cause : le bouleversement des habitudes de consommation post-covid et une inflation galopante. Comment redresser la barre, face à la crise du bio ? Quelles perspectives sont à prévoir, pour les commerces engagés ?

Pistes de réponses avec Lucile Richard, déléguée régionale à l’Union régionale des Scop de Nouvelle-Aquitaine (URSCOP)


Lucile Richard accompagne différentes Sociétés coopératives de production (Scop) et Sociétés coopératives d’intérêt collectif (Scic) :

  • trois commerces alimentaires bio en Scop : Regain à Lagord (17), Biocoop Le Pois Tout Vert à Poitiers (86) et Biocoop Cognac (16)
  • quatre épiceries alimentaires bio en Scop ou en Scic : La loco Bio à Chalais (16), lépicerie à Airvault (79), Les Drôles d’Oiseaux à Angoulême (16) et L’Effet Bocal à Poitiers

Quelle tendance identifiez-vous, sur l’ensemble de la filière ?

On observe une tendance nationale : une baisse d’environ 12 à 15% du chiffre d’affaires. Cet impact se ressent particulièrement au niveau des plus petites structures, qui reviennent à des recettes pré-covid. À l’URSCOP, nous l’expliquons du fait que le télétravail et les confinements répétés ont incité les gens à adopter d’autres habitudes, mais à présent ils reviennent à leur façon de consommer d’avant 2019. Or, pour répondre à la hausse du chiffre d’affaires connue pendant la pandémie – lorsque la nourriture bio et locale avait le vent en poupe – les structures ont recruté, on a fait évoluer leur masse salariale ; raison pour laquelle certaines commencent à souffrir à présent que les ventes ne suivent plus.

Cette baisse généralisée du chiffre d’affaires menace-t-elle la survie de ces commerces en bio ?

Nous n’identifions pas de faillite à venir à court terme, les Scop étant des modèles assez résilients, dotés de fonds propres. Dans ce type de structure, le partage du bénéfice est réglementé : une part importante des recettes (45% en moyenne) est mise en réserve chaque année. Les jeunes Scop ne bénéficient cependant pas de la même résilience que les plus ancrées, comme elles ont eu moins de temps pour constituer ces fonds propres.

Quelles solutions peuvent-être envisagées pour atténuer les effets de cette crise du bio ?

À l’URSCOP, nous misons sur l’anticipation : nous avons mis en place des outils prévisionnels tels que des tableaux de bord pour déterminer si dans six mois, un an, deux ans, la trésorerie va se creuser, si nous allons faire face à des pertes et si, le cas échéant, les fonds seront suffisamment solides pour y faire face. En somme, nous cherchons à déterminer si cette baisse de chiffre d’affaires est conjoncturelle, ou si elle est destinée à durer dans le temps.

Concrètement, pour retrouver une santé financière à court terme, certaines structures vont être contraintes d’alléger leur masse salariale, soit en licenciant, soit en ne renouvelant pas certains contrats. D’autres enseignes font le choix de modifier leurs formules : l’Effet Bocal à Poitiers a développé La Soupière, une partie restauration, de même que La Loco Bio à Chalais envisage de créer un petit coin café. Elles peuvent également être incitées à passer au digital. Néanmoins, créer une plateforme en ligne n’est pas le premier réflexe des commerçants, qui s’inscrivent plutôt dans une recherche du contact humain.


La crise du bio en chiffres

  • Le premier semestre de 2021 a été particulièrement dynamique pour les magasins bio, contrairement au second, où la réouverture des structures de la restauration, du loisir et de la culture ont entraîné une baisse d’activité. Après avoir été privés de ces divertissements pendant la pandémie, les consommateur·ices ont tendance à préférer rogner sur leur budget alimentaire (en privilégiant le conventionnel au bio, par exemple) plutôt que de se priver de sorties.
  • Au premier semestre 2022, l’ensemble de la filière bio française a subi une baisse de 15% de marché, ce qui a entraîné la fermeture de 123 magasins à l’échelle nationale. Prévisions pour le second semestre : une légère amélioration, avec un atterrissage entre -7% et -10%, et la fermeture de “seulement” 75 établissements environ. 
  • Si les chiffres d’affaires de 2022 diminuent pour devenir comparables à ceux de l’avant-covid, les frais fixes des magasins sont aujourd’hui beaucoup plus importants qu’en 2019. Pourquoi ? Les surfaces de vente ont augmenté : 180 000 m² ont été créés en trois ans pour ce type de magasins (90 000 m² ayant déjà fermés depuis). De même, les magasins ne bénéficient pas du bouclier tarifaire pour absorber la hausse des prix de l’énergie.
  • Le bio a été moins touché par l’inflation que le conventionnel (deux points d’écart), de sorte que si le bio demeure un peu plus cher, la différence de prix entre les deux s’est considérablement réduite.

Chiffres et analyses rapportés par Maxime Cois, responsable administratif et commercial d’Accord-Bio, premier groupe de magasins bios indépendants de France, avec un réseau de 190 commerces.

Des commerces plus ou moins optimistes

France Berlioz, co-gérante et chargée de communication de La Loco Bio, épicerie à Chalais (16)

« Pendant les confinements, les consommateurs ont privilégié le local, ce qui a amené davantage de personnes à se tourner également vers le bio. Nous avons ainsi enregistré une hausse de 30% de notre chiffre d’affaires sur cette période, sans doute également due à la fermeture de l’Intermarché de la commune pendant plusieurs mois. Actuellement, nous enregistrons une baisse de 15% de notre chiffre d’affaires. Cela pèse sur notre masse salariale : nous ne pouvons pas nous permettre de créer un poste supplémentaire alors que nous en aurions besoin, au regard de notre charge de travail importante.

Les petits magasins comme le nôtre ont une force, c’est leur réactivité. Parce que nous travaillons avec des producteurs locaux et en circuit court, avec beaucoup moins d’intermédiaires que les grands magasins, nous sommes capables de nous adapter davantage aux évolutions du marché. Ce système nous semble être une solution pour répondre à la crise de l’inflation. De même, l’avantage d’être situé en zone rurale, c’est qu’on subit moins la concurrence d’autres magasins bio. La situation est préoccupante, mais nous nous considérons plutôt dans une période de fragilité plutôt que de crise. »

Crise du bio

Maryse Baloge, co-gérante de l’Effet Bocal et de La Soupière, épicerie zéro déchet et espace de restauration à Poitiers

« Nous accusons une perte de 25% de notre chiffre d’affaires depuis la crise du covid. Nous ne nous en remettrons pas, si cela continue ainsi. De façon générale, nous avons du mal à discerner si c’est le local ou le bio qui bat de l’aile. Pendant le premier confinement, nous avions énormément de commandes, mais cette habitude de se déplacer en magasin a fini par se perdre, de sorte que nous n’avons jamais retrouvé notre situation économique d’avant la pandémie.

La tranche d’âge la plus concernée par cette désertion me semble être les jeunes couples : c’est la catégorie de personnes que nous avons le moins revue, peut-être parce qu’ils sont les plus sensibles à l’inflation. Nous réfléchissons donc à développer un site marchand pour faire un pas vers le consommateur, mais ce n’est pas tout à fait dans la philosophie du magasin, qui est basée sur la convivialité de l’accueil en présentiel. Au niveau de La Soupière, notre partie restauration créée pendant le covid, nous avons senti une reprise au mois de juin, mais cette tendance demande à être confirmée. »


Rédaction et photos : Hildegard Leloué

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