Elle n’a ni majuscule ni apostrophe : lépicerie est un commerce coopératif créé à Airvault, dans les Deux-Sèvres, par un groupe d’habitants qui voulaient donner un coup de frein à la désertification du centre-bourg. En rayon, des produits locaux pour dynamiser l’économie du territoire, mais aussi des produits bio et conventionnels afin d’être une épicerie pour tous. Après à peine un an d’existence, elle a prouvé pendant la crise du Covid-19 que les commerces de proximité sont essentiels à la vie d’une commune… et que l’espoir de quelques-uns peut servir à l’ensemble de la communauté.
Un centre bourg qui meurt et des habitants rêveurs
Comme nombre de petites villes et grands villages de France, Airvault, commune de 2500 habitants dans le nord des Deux-Sèvres, n’a pas échappé à la désertification de son centre-bourg : le supermarché déménage en périphérie, puis c’est la librairie qui ferme, ensuite la pharmacie. En juin 2017, c’est au tour de la Coop, en plein centre, de baisser le rideau. Delphine Cotilleau, Airvaudaise de naissance, ne se laisse pas longtemps attrister par ces fermetures en chaîne. Qu’à cela ne tienne ! Sur le marché qui se tient sous les halles le samedi matin, la jeune femme de 40 ans pose la première pierre de ce qui deviendra lépicerie en s’improvisant conteuse : vous connaissez l’histoire de La soupe aux cailloux ? Ou comment, à partir d’une simple idée lancée sur une place déserte, on crée une soupe à partager avec les ingrédients que chacun rapporte de chez soi.
Son idée interpelle et petit à petit lépicerie trouve ses épiciers : Claudy, l’ancien tenant de la Coop, désormais au chômage, est partant. Puis Philippe qui trouve l’idée sympa, puis Sylvie qui met un point d’honneur à s’alimenter sainement, puis Béatrice, mère de famille qui vit dans le village d’à côté, puis Jean, commercial à la retraite amoureux d’Airvault … C’est une dizaine d’habitants du territoire qui finissent par se réunir régulièrement pour construire ensemble le projet. Delphine Cotilleau se souvient :
Au début, ça a pris beaucoup de temps parce qu’on voulait que tout le monde se comprenne et que tout le monde soit d’accord … et on ne va pas se mentir, ça ne se fait pas du jour au lendemain ! Mais ça fait des bases bien solides, et c’est grâce à toutes les compétences bien différentes de chacun et chacune que le projet est aussi riche.
Delphine Cotilleau, Airvaudaise, a posé la première pierre de ce qui deviendra lépicerie
Il aura fallu plus d’un an et demi de réflexion pour dessiner les contours d’un commerce redonnant vie au centre-bourg d’Airvault, et plus largement au territoire en recréant du lien entre les producteurs locaux et les consommateurs. En mars 2019, l’association créée pour porter le projet est transformée en Société Coopérative d’Intérêt Collectif (SCIC), pour que les futurs salariés puissent participer aux prises de décision et pour que les bénéfices réalisés par lépicerie soient réinjectés dans des projets servant à l’intérêt de la communauté. Le commerce ouvre ses portes le 2 juillet 2019 dans les locaux de l’ancienne librairie. Il compte deux salariés.
Des produits locaux et des produits bio … mais pas que
Fromages, miel, chocolat, vin, bière, biscuits … aujourd’hui on trouve à lépicerie les produits de 52 producteurs locaux travaillant dans un rayon de 50 km, de Mazières-en-Gâtine à Cerzay, de Mauléon à Marnes, mais aussi du local pur et dur avec des yaourts airvaudais ou des légumes lupéens. « Pour moi c’est comme un marché en plus, la démarche économique est importante, mais c’est aussi une manière d’être acteur du territoire en tant que producteur local » explique Guillaume Thué, maraîcher bio à St Loup sur Thouet, très investi dans le projet et la vie du commerce. Mais lépicerie reste un commerce de proximité qui tient à répondre à tous les besoins et à tous les portefeuilles. Dans les rayons, on peut voir du ketchup conventionnel juste à côté du ketchup local, et comme dans toutes les épiceries, des produits de première nécessité. « Dans les consommateurs, il y a de tout ! De tous les âges, des Airvaudais ou des habitants des alentours, des touristes ou des cyclistes de passage… Il y a ceux qui font toutes leurs courses ici, ceux qui viennent juste acheter en dépannage, ceux qui viennent juste pour la bière, juste pour la truite, pour le vrac, ou pour trouver des petits cadeaux à offrir » décrit Clémence Depois, salariée à mi-temps de lépicerie. Ce choix d’une offre diversifiée, qui s’adapte à tous, n’a pas toujours été simple à gérer. Certains fournisseurs de produits bio refusaient d’approvisionner une épicerie qui n’était pas 100% biologique ! C’était pourtant l’une des conditions non négociables pour les fondateurs du projet. Ils avaient en effet à cœur de mettre des produits conventionnels, biologiques et locaux dans un seul et même espace pour que chacun puisse choisir ce qui lui convient, mais puisse aussi réfléchir à son mode de consommation. Et pourquoi pas changer ses habitudes.
Une épicerie pour et par les gens, plus que pour l’argent
Aujourd’hui, 210 coopérateurs ont pris des parts sociales dans la SCIC. Mais le principe de coopération prend surtout sens dans le fonctionnement quotidien du commerce, et répond à l’envie originelle du collectif porteur du projet d’adopter un mode de gouvernance non hiérarchique : lépicerie a fait le choix de l’holacratie, ou le pouvoir donné à tous. Six collèges de coopérateurs ont été constitués : consommacteurs, salariés, entreprises, associations, collectivités et producteurs. Chacun de ces groupes a élu la moitié de ses représentants, l’autre moitié a été tirée au sort. Ils forment le comité hola et se réunissent tous les mercredis soir pour discuter et décider de tout ce qui touche à lépicerie de près ou de loin : choix des produits, lien avec les producteurs, organisation des plannings, finances, communication, animation etc. Parmi les membres du comité hola, le maraîcher Guillaume Thué :
Je me suis investi dans lépicerie pour sensibiliser mes concitoyens, dans une démarche d’éducation populaire et de valorisation des circuits courts, et parce que la création de la coopération était un beau challenge. C’est ce qui m’intéressait : entretenir la bonne entente entre tous. Et en plus de ça je me suis fait des copains ! Donc je suis content.
Le Covid-19 l’a confirmé : quand il s’agit d’aider, ce n’est pas l’envie qui manque!
Au-delà des prises de décisions, lépicerie a été pensée pour que chaque coopérateur puisse, s’il le souhaite, participer bénévolement à la vie de son commerce de proximité en fonction du temps qu’il veut lui accorder. Plus de vingt-cinq bénévoles sont aujourd’hui parties prenantes de cette aventure humaine et économique. Et pendant toute la période de confinement liée au Covid-19, ils ont joué un rôle majeur. Ce sont eux qui composaient les paniers des clients pour limiter les risques sanitaires dans la boutique. Ils ont aussi assuré un service de livraison à domicile à destination des personnes les plus fragiles, notamment les personnes âgées. L’idée était dans les tuyaux depuis le début du projet d’épicerie, la crise sanitaire n’a fait qu’accélérer sa mise en oeuvre. “Avec le confinement il y avait beaucoup de boulot, j’y faisais tout sauf les commandes ! se souvient Aline Mabit, bénévole ces derniers mois. L’épicerie c’est un chouette projet et un sacré accélérateur de lien social, il faut que ça vive » . Conséquence de cette période de crise où l’entraide était particulièrement nécessaire : le panier moyen a augmenté, les bénéfices se sont envolés et lépicerie est plus ancrée dans l’Airvaudais que jamais ! Elle fêtera son premier anniversaire le 2 juillet, fière de démontrer, à son échelle, qu’un territoire peut revivre par et pour ses habitants.
Rédaction et photo : Elia Melis