Elle a remporté le trophée régional 2019 de la bioéconomie organisé par le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation. L’entreprise Chanvre Mellois dans les Deux-Sèvres est composée d’une douzaine d’agriculteurs. Depuis près de 15 ans ils cultivent, transforment le chanvre et le commercialisent en circuit court, essentiellement pour l’écoconstruction. Des précurseurs qui n’ont pas fini d’expérimenter.
La fibre du chanvre
Le chanvre a bien des intérêts. « D’abord pour les agriculteurs, s’amuse Hubert Rinaldi, l’un des fondateurs de Chanvre Mellois. C’est une plante qui ne demande aucune attention particulière, elle n’a pas besoin d’intrant et se désherbe toute seule.” Ensuite pour les artisans et les particuliers qui pratiquent l’auto-construction : “Autrefois elle était utilisée pour fabriquer des voiles et des cordages car on savait qu’elle était ultra résistante, notamment à l’humidité et aux rongeurs. La tige du chanvre est constituée d’une multitude de micro-tuyaux remplis d’air, ce qui en fait un isolant par excellence, tant du point de vue thermique que phonique.” Les chènevottes, qui correspondent à la moelle centrale de la plante, sont utilisées pour pour fabriquer des enduits, des briques et des banchages. La laine de chanvre est employée pour isoler les combles et remplace ainsi la laine de verre. À Chanvre Mellois l’exploitation des vertus de la plante est totale : l’entreprise commercialise aussi les poussières les moins volatiles générées par le broyage. “Elles peuvent absorber cinq fois leur volume en eau, elles sont utilisées notamment dans les logettes de stabulation à vaches dans les camions bétaillères.” Une filière qui n’est pas si anodine puisqu’elle génère pour l’entreprise 8000 euros de chiffre d’affaires par an. Enfin, les graines du chanvre, appelées chènevis, sont aussi pressées pour en faire de l’huile alimentaire. “Les premières années on ne les récoltait pas, mais on a très vite compris qu’elles avaient une valeur. En bio, on les vend 2500 euros la tonne, 550 euros en conventionnel.” La SARL transforme en tout une dizaine de produits.
Contrôler toute la chaîne de production
Les agriculteurs de Chanvre Mellois travaillent essentiellement dans l’élevage et la polyculture. Deux d’entre eux sont céréaliers. La culture et la transformation du chanvre est pour tous un complément d’activité. Avec la grande différence qu’avec cette filière ce sont eux qui fixent les prix de vente. Tous les ans au mois de décembre, ils se réunissent pour définir les besoins de l’entreprise et le nombre d’hectares à exploiter selon l’évolution du marché, sachant qu’un hectare permet de produire 4,5 tonnes. “A partir de là on répartit entre nous les surfaces de culture, selon l’assolement de chacun” explique Hubert Rinaldi. Chaque agriculteur est responsable de ses semis et de la culture de son champ, en bio ou conventionnel. Puis à la mi-septembre vient l’heure de la récolte. Tout d’abord des graines, récupérées directement dans les champs à la moissonneuse batteuse. Après quoi les plantes sont broyées sur place et conduites sur le site de transformation à Melleran.
Pour séparer les chènevottes, la poussière et la laine du chanvre, les agriculteurs ont créé leurs propres machines. “On peut trouver des procédés industriels mais qui pour nous étaient beaucoup trop chers, explique Emmanuel Ingrand, autre membre historique de Chanvre Mellois. Et comme on est tous agriculteurs on a cherché à récupérer et transformer des machines existantes, principalement des moissonneuses batteuses.”
VIVANT LA RADIO / Visite du site de transformation de Chanvre Mellois avec Emmanuel Ingrand
Circuit court depuis toujours
Les clients de Chanvre Mellois sont des artisans et particuliers à 100 km à la ronde. La vente en circuit court fait partie des valeurs de l’entreprise depuis sa création il y a 14 ans. Et c’est cette même intention de développement de la vente directe et locale qui a conduit le groupe d’agriculteurs à créer au niveau national l’association Chanvre en Circuit Court, afin de dynamiser la filière et faire évoluer la réglementation. Quand l’aventure de Chanvre Mellois débute en 2005, la transformation du chanvre en produits pour l’écoconstruction est encore marginale en France. C’est un agriculteur des environs de Melle qui a découvert le potentiel de la plante lors d’un chantier et qui en a parlé à d’autres exploitants du secteur. “Il y avait tout à faire, à inventer, et au-delà de l’intérêt économique c’était ça qui nous intéressait” raconte Emmanuel Ingrand. Une formation de la Région sur la création de sites internet pour le développement des circuits et un appui d’Afipar, association à Melle pour la création d’activités en milieu rural, leur permet de se structurer. Et de durer. Des trois hectares des premières années, ils sont passés à 25 hectares, après avoir connu des pics à 100 hectares lorsque le marché de l’autoconstruction était en plein essor. “La recherche, l’innovation, la transformation, les recherches de financement… on a tout fait !” souligne Hubert Rinaldi, quand on lui demande les raisons pour lesquelles ils ont remporté le trophée régional 2019 de la bioéconomie organisé par le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation. À côté de la SARL, Chanvre Mellois c’est aussi une association qui organise deux fois par an des stages et formations pour les particuliers.
Avec le fil, continuer d’expérimenter
Les cultivateurs mellois n’en ont pas fini avec l’exploration du potentiel du chanvre. Hubert Rinaldi, qui travaillait dans la Recherche et Développement avant de reprendre la ferme familiale, a répondu dernièrement à un appel à projets de la Région Nouvelle-Aquitaine sur les opportunités de la filière. En séparant la cellulose de la lignine de la plante, il prototype un fil innovant qui pourra être antiseptique, respirant et élastique… sans produit chimique et en utilisant le minimum d’eau. “Nous avons fait des tests dans un laboratoire à Tarbes pour valider la faisabilité et nous en avons trouvé un deuxième qui était capable de former du fil à partir de la cellulose.” Hubert Rinaldi doit maintenant trouver des fonds pour vérifier le process à l’échelle industrielle.
Pour ceux qui se poseraient la question : “Il faudrait fumer l’équivalent d’un hectare de chanvre pour avoir l’effet d’une cigarette !” selon Hubert Rinaldi. Le chanvre cultivé par les agriculteurs n’a rien à voir avec la plante parfois consommée pour son côté euphorisant. “Son taux de THC est inférieur à 0,2%. C’est très contrôlé.”
Rédaction : Hélène Bannier
Photos : Annabelle Avril, Julia Vandal, Hildegard Leloué