fbpx

Promenons-nous dans les bois ? Lisa Belluco pour une dépénalisation de l’accès à la nature

par | 19 mars 2024


Lisa Belluco, députée de la 1ère circonscription de la Vienne, est à l’initiative d’un colloque intitulé “Accès à la nature : enjeux et perspectives”, qui va se tenir le 28 mars à l’Assemblée Nationale. Un colloque pour ouvrir le débat, alors que Lisa Belluco et le député de l’Isère Jérémie Iordanoff ont déposé une proposition de loi cet automne pour une dépénalisation de l’accès à la nature. Explications.


Lisa Belluco, dans quel contexte avez-vous déposé cette proposition de loi de dépénalisation de l’accès à la nature ? A quoi répond-elle ?

Au début de l’année 2023, une loi visant à limiter l’engrillagement des espaces naturels a été promulguée, ce qui est plutôt positif. Cela visait, en creux, principalement les enclos de chasse privés. Dans certaines régions comme la Sologne, toute la forêt est hermétiquement engrillagée, ce qui empêche la promenade et surtout la circulation de la faune sauvage.

Pour rassurer les propriétaires amenés à devoir enlever des grillages ou à ne plus pouvoir en installer à l’avenir, un article de cette loi dit que, en contrepartie, ils peuvent signaler « par quelconque moyen » que la propriété est privée ; les personnes qui y pénètrent peuvent alors être verbalisées et recevoir une contravention de quatrième classe. Cela veut dire qu’aujourd’hui, se promener dans une forêt peut être sanctionné d’une amende alors qu’avant cette loi il existait une forme de tolérance.

Vous me direz qu’il est normal d’empêcher d’entrer dans une propriété privée, mais en France 75% de la forêt est privée ! Avec ce texte, nous avons donc une sorte d’anomalie juridique puisque le simple fait de se promener, sans porter préjudice, sans dégrader, sans prendre du bois ou des champignon (ce qui est déjà puni par la loi d’ailleurs), est sanctionné de la même contravention que le fait de téléphoner au volant par exemple. Cela relève du pénal alors qu’il n’y a pas préjudice porté ni à une autre personne, ni à la société, ni au vivre-ensemble.

Pourquoi défendez-vous, au travers de cette proposition de loi, l’accès à la nature ?

Il y a tout d’abord un enjeu sanitaire. Il en a beaucoup été question pendant le confinement, lorsqu’il n’était pas possible de sortir à plus d’un kilomètre autour de chez soi, alors qu’un certain nombre de personnes dans des grandes villes et métropoles n’ont pas d’espaces verts à proximité de leur domicile, qu’ils soient naturels ou artificiels. Or, passer du temps dans la nature réduit le stress et les phénomènes de dépression.
Selon moi, il y a aussi un second enjeu : quand on connaît, on protège mieux. Nous avons donc un intérêt à être en relation avec la nature, dont nous faisons partie mais dont nous avons choisi de nous séparer à un moment de notre histoire. Il faut reconstruire ce lien, pour comprendre que l’on en dépend, qu’il est indispensable de mieux la protéger et la respecter.

Comment peut-on concilier l’accès à la nature et le respect de la propriété privée ?

C’est toute la question que pose le travail que nous avons engagé. La promulgation de cette “loi engrillagement” l’an dernier a généré des tensions, de grands propriétaires forestiers se sont saisis de la possibilité qu’offre ce texte d’interdire l’accès à leurs espaces privés. C’est ce qui s’est passé dans le massif de la Chartreuse, où un propriétaire a interdit l’accès de plusieurs centaines d’hectares de forêt, là où des gens auparavant allaient se promener. Et c’est pour cela d’ailleurs que je travaille sur ces questions avec Jérémie Iordanoff, qui est député de l’Isère.

Le droit à la propriété est constitutionnel en France, c’est un acquis de la révolution française et il ne faut surtout pas s’asseoir sur cette histoire. Mais la liberté de circuler aussi est constitutionnelle. Je pense que l’on peut trouver une ligne de crête en travaillant sur notre manière d’être et de circuler dans les espaces naturels, car le fait est que nous avons une relation à la nature qui est de l’ordre de l’exploitation, de la domination et de la consommation. Et cela génère des dégradations et des conflits d’usage. Nous devons revenir à une liberté de circuler dans les espaces naturels mais aussi être plus vigilants et sanctionner plus les dégradations ou les comportements de consommateurs.

La piste que nous explorons pour l’instant avec Jérémie Iordanoff , c’est la possible contractualisation avec les propriétaires pour que des gardes champêtres, par exemple, puissent surveiller leurs forêts et faire de la pédagogie auprès des promeneurs. Un peu plus de service public, un peu plus d’agents de l’État ou d’agents communaux, c’est souvent une réponse qui fonctionne.

Certains pays en Europe réussissent-ils à dépasser cette tension ?

Je connais l’exemple des pays scandinaves, où il existe un droit à la nature ; en Suède c’est même inscrit dans la constitution. Ils n’ont pas le même rapport à la propriété privée de manière générale, et avec la nature en particulier. Même en Allemagne, le droit à la nature est supérieur à la propriété privée, et il garantit à tous les citoyens et citoyennes de pouvoir accéder aux espaces naturels partout, et à tout moment.

Avec quelle idée organisez-vous ce colloque à l’Assemblée Nationale le 28 mars ?

Nous avons construit ce colloque en trois phases : un état des lieux de l’accès à la nature en France, ses bienfaits, et des propositions pour une reconnaissance d’un droit d’accès respectueux des milieux et des usages. L’idée c’est d’ouvrir le débat, d’élargir les perspectives au-delà de la seule interrogation sur la pénalisation, et de discuter avec les principaux concernés. Il y aura par exemple un représentant de la fédération des propriétaires privés ruraux, j’ai envie d’échanger avec lui pour savoir quel point d’équilibre nous pourrions trouver. Nous avons invité des associations d’usagers de la nature, randonneurs, promeneurs, VTTistes, associations de protection de l’environnement, les autres députés bien sûr, juristes, collectifs citoyens, et toutes les personnes avec qui nous avons été en contact tout au long de notre travail.


Propos recueillis par : Hélène Bannier
Photos : Annabelle Avril

Vous aimerez aussi

Print Friendly, PDF & Email
Partagez cet article en un clic

Vous êtes sensible à notre ligne éditoriale ? 

Soutenez un média indépendant qui propose en accès libre tous ses articles et podcasts. Si nous avons fait le choix de la gratuité, c’est pour permettre au plus grand nombre d’avoir accès à des contenus d’information sur la transition écologique et sociale, défi majeur de notre époque. Nous avons par ailleurs décidé de ne pas avoir recours à la publicité sur notre site, pour défendre un journalisme à l’écoute de la société et non des annonceurs. 

Cependant, produire des contenus d’information de qualité a un coût, essentiellement pour payer les journalistes et photographes qui réalisent les reportages. Et nous tenons à les rémunérer correctement, afin de faire vivre au sein de notre média les valeurs que nous prônons dans nos articles. 

Alors votre contribution en tant que lecteur est essentielle, qu’elle soit petite ou grande, régulière ou ponctuelle. Elle nous permettra de continuer à proposer chaque semaine des reportages qui replacent l’humain et la planète au cœur des priorités. 

Abonnez-vous gratuitement à notre lettre d’information

pour recevoir une fois par mois les actualités de la transition écologique et sociale

Verified by MonsterInsights