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André et Madeleine Puygrenier : 60 ans de lutte pour une agriculture paysanne

par | 22 février 2024

Madeleine et André Puygrenier - agriculture paysanne

Ensemble, il et elle sont de tous les combats paysans et environnementaux depuis plus de soixante ans. A la fois agriculteur·ices à Courcôme (16) et militant·es, André et Madeleine Puygrenier continuent de lutter pour l’avènement d’une agriculture paysanne, respectueuse de l’humain et de la nature. Tous les deux ont participé aux débuts de la Confédération Paysanne, aux fauchages anti-OGM, aux batailles contre l’accaparement des terres. Dernièrement, on les a vu·es, à 86 ans passés, dans les manifestations anti-bassines à Sainte-Soline. Rencontre avec un couple debout et optimiste.


Comment êtes-vous devenus paysans tous les deux dans les années 1960 ?

André Puygrenier : Je suis né en Charente Limousine, à Saulgond, dans un village où il y avait trois fermes qui produisaient essentiellement des vaches limousines. Mon père est parti à la guerre en 39 et il est revenu en 45, je ne l’ai connu qu’à son retour. A la maison, on parlait patois et j’ai appris le français à l’école ! J’ai cependant toujours gardé l’accent (Ndlr: il roule les « r »). L’instituteur a proposé que j’aille au collège mais mes parents n’ont pas voulu. Leur raisonnement c’était que si je partais au collège, on ne me reverrait pas sur la ferme ! Ma famille était catholique et mon père très idéaliste. J’ai très tôt intégré la morale familiale : faire le métier de paysan, c’est noble. On travaillait pour nourrir la population. Je suis resté sur la ferme familiale jusqu’au service militaire. Et j’ai fait 27 mois d’Afrique du Nord, qui m’ont beaucoup marqué : je n’ai pas eu à subir des choses terribles, mais j’ai vu ce qu’était la colonisation… Après notre mariage, avec Madeleine, nous n’avons pas voulu rester sur la ferme familiale, mes parents n’ont pas tellement apprécié mais c’était comme ça ! En 1967, nous nous sommes installés aux Marchis, à Courcôme. Nous avons ensuite décidé de créer un GAEC (groupement agricole d’exploitation en commun), à sept paysans, où chacun se tirait le même salaire, quel que soit l’apport de départ.

De quand date votre engagement ?

André Puygrenier : J’étais un jeune homme très timide. Je suis entré après mon service militaire à la Jeunesse Agricole Catholique (JAC) et j’ai commencé à me rendre aux réunions départementales où j’ai rencontré Madeleine, qui avait mon secteur en charge. Le Cercle des Jeunes Agriculteurs se montait à ce moment-là sur le canton de Chabanais, cela m’a intéressé et marqué. Je précise, parce que c’est important, que ce n’était pas la même chose que les Jeunes Agriculteurs d’aujourd’hui ! C’est une période charnière au niveau syndical et idéologique, dans la lignée de Mai 68. Nous voulions nous installer en agriculture, mais dans des conditions nouvelles : plus de cohabitation avec les générations précédentes, ne pas être toujours pris par le travail et avoir des loisirs, pouvoir s’insérer dans la société… Les années 1960 sont des années de bouleversement dans le milieu agricole. Nous, on voulait gagner notre vie sans pour autant accepter l’idée de devenir des ouvriers spécialisés dans des grandes fermes. Nous voulions des fermes à taille humaine, où l’on pouvait se regrouper pour bénéficier collectivement de la modernisation. Ce qui est important pour moi, dans tous ces engagements, c’est l’idée d’action collective, l’idée d’aller vers les autres. Moi, le petit garçon timide, j’ai dû me former à parler en public. Cela m’a beaucoup apporté. Comme aussi d’apprendre à s’organiser ensemble, pour faire bouger les choses.

Madeleine Puygrenier : Quand j’avais tout juste 16 ans, j’ai fait connaissance avec la JAC, et je me suis beaucoup engagée. Cela a toujours continué, et depuis, ça ne me lâche pas. Plus tard, nous étions aussi dans le Comité Larzac de Charente. Nous partions la nuit au Larzac pour faire les réunions, nous revenions le lendemain… Je ne sais pas comment nous faisions ! Je me souviens qu’au grand rassemblement de 1973, nous avions pris notre fils aîné avec nous ! C’était des périodes de lutte intense. Nous nous battions aussi pour l’usine PIL de Cerizay dans les Deux-Sèvres où les ouvrières confectionnaient des chemisiers pour continuer en coopérative, sur le modèle des montres LIP. J’en ai vendu des chemisiers ! Nous étions de beaucoup de luttes. Les Paysans Travailleurs à l’époque n’étaient pas vraiment reconnus officiellement, même si Yves Manguy (ndlr: agriculteur charentais, premier porte-parole national de la Confédération paysanne) avait été élu à la Chambre d’Agriculture de Charente. Dès 1986, à sa création, nous avons intégré la Confédération Paysanne où nous avons été très actifs durant de longues années.

Pour quelle agriculture avez-vous milité ?

André Puygrenier : Nous nous opposions au cumul de terres, ce qui nous a valu des inimitiés de la part des gens que nous combattions. Nous sommes apparus comme des gens gênants et le propriétaire de notre ferme des Marchis a voulu nous mettre dehors. Cela a été le début d’une longue bataille juridique, que l’on a gagnée ! Nous organisions des manifestations, du collage d’affiches… Nous avons organisé une grande fête à la ferme en 1975, puis une autre en 1977. Une pièce de théâtre s’était même montée qui mettait tous les protagonistes de cette bataille en scène ! C’était toute une ambiance, à la suite de Mai 68, et cela nous a permis d’avoir l’opinion de notre côté. Nous avons fini par avoir gain de cause, mais nous avons perdu le collectif du GAEC qui s’est défait. Humainement, cette bataille avait été trop difficile. L’affaire des Marchis, notre affaire, a cependant été un déclencheur pour que d’autres osent lutter contre les propriétaires. Avec les Paysans Travailleurs, nous avons mené beaucoup de luttes contre l’accaparement du foncier, contre l’importation de porcs chinois, contre l’importation de viandes d’Amérique du Sud… On a occupé le château de Fleury-Michon à Massignac en Charente !

Vous vous êtes converti·es au bio à la fin des années 1980. Pourquoi ?

André Puygrenier : Ce n’était pas du tout évident quand nous nous sommes installés. Moi j’étais vraiment pris par ce qu’on appelait le « progrès », les engrais, les produits chimiques, les antibiotiques pour les porcs… Tout cela, c’est notre génération. Mais le déclencheur, ça a été 1975 et le problème des nitrates dans l’eau. Dans les années 1970, Bernard Lambert (Ndlr: fondateur du Mouvement des Paysans Travailleurs, à l’origine également de la Confédération Paysanne) a beaucoup théorisé la fin du productivisme, et ça c’est important pour nous. J’ai été par la suite, trois ans président de la Maison de l’agriculture biologique en Charente.

Madeleine Puygrenier : Nous avions décidé de cultiver nos propres protéagineux pour nourrir les cochons, parce que cela ne nous plaisait pas de faire venir du soja du Brésil. Nous avons aussi commencé à faire du blé et des lentilles en bio. Il s’est avéré que c’était intéressant financièrement. A ce moment-là, la ferme était en partie en bio, en partie en conventionnel. Pour nous, cela servait surtout d’expérience. Nous ne sommes pas des bios historiques, nous sommes des « nouveaux bios ». Quand nous sommes partis à la retraite, nous ne faisions plus depuis longtemps que des légumineuses et des céréales et tout était en bio.

On vous a vu·es tous les deux dans les manifestations anti-bassines à Sainte-Soline. Qu’est-ce qui vous fait encore manifester à 86 ans passés ?

Madeleine Puygrenier : On ne s’occupe pas de l’âge ! C’est une lutte qui concerne tout le monde.

André Puygrenier : Les bassines sont une aberration. C’est l’accaparement d’une ressource naturelle à l’aide de fonds publics au bénéfice de quelques-uns, au détriment de la nature, des autres agriculteurs et de la population. C’est aussi aberrant que de vouloir cultiver du maïs sur des terres séchantes.

Que diriez-vous à un jeune qui veut s’installer comme agriculteur aujourd’hui ?

Madeleine Puygrenier : Nous on veut que des jeunes s’installent ! Mais dans des conditions convenables. On voit bien que l’enjeu du foncier est très difficile : dès qu’il y a des terres libres, elles sont accaparées. On milite à Terre de Liens, pour que celui qui s’installe n’ait pas à acheter le foncier. La terre n’est pas quelque chose que l’on fabrique, c’est un bien naturel. Jeunes, on a eu de la chance de trouver du fermage. Aujourd’hui, le prix des terres est très haut, et s’installer demande un très gros investissement. Les équipements, les matériels, sont très coûteux.

Voyez-vous des raisons d’espérer que les choses changent ?

Madeleine Puygrenier : L’installation de jeunes, comme notre voisine paysanne-boulangère qui fait tâche d’huile autour de nous, ça nous fait plaisir de voir ça. La Ferme de Chassagne qui fédère du monde, ça nous plaît aussi. Et tout ce monde à Sainte-Soline : ça veut bien dire quelque chose.

André Puygrenier : Je pense à 100%  qu’une agriculture paysanne peut nourrir tout le monde ! A condition de baisser la consommation de viande et de stopper la politique qui consiste à produire beaucoup pour vendre. Notre économie veut garder ce système coûte que coûte, mais il y a quelque chose à bouleverser. Cela ne peut se faire que progressivement, mais il faut bien commencer ! L’inflation actuelle marque un point d’arrêt en poussant le consommateur vers de mauvais produits. Et c’est vraiment dommage. Parmi tout cela, je vois quand même du positif : une jeunesse qui en veut et qui ne veut plus de ce monde-là.


Propos recueillis par : Myriam Hassoun
Photos : Noémie Pinganaud

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