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Terres agricoles : l’enjeu de la transmission

par | 29 avril 2021


La France paysanne vieillit. D’ici dix ans, la moitié des agriculteurs sera à la retraite et sept millions d’hectares de terres vont devoir trouver repreneur. Or dans le même temps, le nombre de nouvelles installations continue de baisser. Quels sont les enjeux, sociaux et environnementaux, et quelles peuvent être les solutions ? Focus dans le nord de la Nouvelle-Aquitaine.


« Pour l’instant, rien»

En bio depuis 20 ans, Philippe et Françoise Alamome élèvent des vaches à Coulonges-les-Hérolles (86). Ils ont 150 hectares d’exploitation herbagère à destination des animaux. Mais à l’heure de la retraite, ils n’arrivent pas à trouver de repreneur. « Ici, le paysage est remarquable, les haies sont préservées, il y a des chênes centenaires… On a des belles maisons de pays, deux fours à pain. Il y a de la place pour deux exploitants. Le bâti, nous voulons le vendre, les terres nous cherchons à les louer. Mais pour l’instant, rien. » Pourtant, Philippe Alamome est impliqué dans le Civam local (Centre d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural). Et il accepterait de passer du temps pour la transmission de son exploitation : « Nous sommes prêts à accueillir quelqu’un en stage, pour communiquer nos savoir-faire et nos valeurs. Car c’est important pour nous que quelqu’un reprenne en bio. Je propose un contrat de parrainage, pourquoi pas pendant un an, pour que la personne connaisse les quatre saisons. »

Dans la Vienne en 2019, on a compté 350 départs à la retraite d’agriculteurs pour seulement 90 installations

La moitié des agriculteurs en France a plus de 50 ans et les prochaines années vont voir partir à la retraite la génération du baby-boom. Conséquence : sept millions d’hectares de terres agricoles devront trouver repreneur. Or, parallèlement, les nouvelles installations diminuent. Elles sont passées de 21 000 en 1997 à 13 000 en 2019. Autre fait notable, les transmissions se font de moins en moins au sein de la famille. Aujourd’hui 30% des installations ont lieu en dehors du cadre familial pour les moins de 40 ans, et deviennent majoritaires au-delà de cet âge.

Devenir agriculteur ne fait plus rêver. Beaucoup de familles ont poussé leurs enfants à faire des études pour sortir de ce métier où l’on fait beaucoup d’heures, sans week-end, sans vacances, avec un fort endettement, parfois des situations catastrophiques et une retraite minime. Le métier n’est pas attractif. Mais, d’un autre côté, on voit de nouveaux profils arriver, avec l’envie d’une reconversion et d’un retour à la terre.

Marie-Loup Nivet, animatrice de l’association Champs du Partage

Des conséquences sociales et environnementales

Arrivé à l’âge de la retraite, l’agriculteur doit vendre ou louer ses terres pour déclencher le paiement de sa pension. Souvent, une forme d’urgence fait qu’il est plus simple de vendre au voisin ou au plus offrant, qui agrandit ainsi sa surface agricole utile avec l’objectif de devenir plus compétitif. Résultat, la taille moyenne d’une exploitation est passée de 55 hectares en 2016 à 63 hectares en 2019. Cette pratique a un impact fort sur les campagnes, tant au niveau social qu’environnemental : des exploitations plus grandes entraînent des paysages qui tendent de plus en plus vers l’uniformisation, une utilisation plus grande de produits phytosanitaires, mais aussi une diminution des emplois agricoles engendrant une baisse démographique pour les villages.

La reprise des fermes est un enjeu vital pour les territoires ruraux. Elle a des conséquences humaines sur les villages : maintenir les écoles, faire vivre les clubs de sports, les commerces… Les agriculteurs sont ceux qui façonnent le paysage dans lequel tous les habitants vivent. Ce sont eux qui peuvent veiller à la préservation des haies, de la biodiversité, la qualité de l’eau…

Laure Courgeau, animatrice du CIVAM du Châtelleraudais et du Montmorillonais
Vue d’Alloue (16), où a été créée la SCIC Terres en Chemin

Des solutions pour protéger le foncier et faciliter la transmission

Dans la commune d’Alloue (16), qui a perdu 50 exploitations et autant de familles dans le village ces 30 dernières années, la SCIC Terres en Chemin a été créée en 2016 pour apporter des solutions. « À l’origine, nous avons repéré les deux freins qui rendent difficiles les transmissions : le timing de la MSA qui oblige à céder ses terres pour prétendre à la retraite, et l’accès au foncier agricole pour les porteurs de projets, explique Christian Leduque, agriculteur à la retraite et cogérant de la SCIC. L’idée de Terres en chemin pour y répondre est simple : il s’agit de « stocker » les terres des exploitants partant à la retraite et de pouvoir les proposer aux jeunes qui s’installent, qui ne sont pas forcément issus du monde agricole. Le cédant peut devenir membre de la SCIC, et c’est Terres en Chemin qui en fera l’entretien le temps de trouver un repreneur. » Actuellement, sur 40 hectares déposés dans la SCIC, un espace-test de 10 hectares a été mis en place pour l’installation de futurs agriculteurs, qui peuvent profiter de l’expérience pendant 18 mois. La société coopérative cherche à se développer sur tout le territoire de la Charente limousine. Elle a également comme vocation de mettre en relation les porteurs de projet avec la population locale : « Nous proposons un accompagnement humain, nous ne sommes pas un guichet. Nous créons du lien. » Le plus difficile reste de changer les mentalités, ancrées dans l’idée que ce n’est pas logique de collectiviser ses terres. Mais Christian Leduque, en attente de soutien de décideurs locaux, est confiant : « Le temps fera l’affaire et prouvera l’efficience de cette pratique. »

Christian Leduque, cogérant de Terres en Chemin


De son côté, l’association Terres de Liens a créé Objectif Terres, plateforme de mise en relation de vendeurs et d’acheteurs. La structure collecte également des fonds, sous forme de dons et d’épargne solidaire, pour racheter des terres et faciliter l’installation de nouveaux agriculteurs. En 2020 dans l’ex Poitou-Charentes, 12 fermes ont été acquises et 20 fermiers ont pu s’y installer. Plus de 650 actionnaires et 343 donateurs ont fourni le capital citoyen nécessaire. Ce sont en tout 260 hectares réservés à l’agriculture biologique qui sont définitivement sortis de la spéculation. Dans le bassin rochefortais, l’association a repéré que sur 150 éleveurs, 138 allaient partir à la retraite dans les prochaines années. L’arrivée de nouveaux profils en reconversion compense légèrement cette perte, mais il faut les aider. “Ils ont dû suivre une formation, et souvent ils n’ont plus d’apport financier pour s’installer. Le tiers d’apport financier citoyen que peut proposer Terre de Liens est le levier qui permet d’accéder aux banques et d’attendre le délai pour que les premières aides à l’installation soient versées”, explique Ivette Madrid, animatrice territoriale pour l’antenne Poitou-Charentes de Terre de Liens. Cette dernière observe actuellement une bascule de l’activité de l’association : “Auparavant nous étions sollicités par les porteurs de projets et maintenant nous le sommes par les cédants. Ils se mobilisent tardivement car ce n’est pas simple.” Être agriculteur, ce n’est pas seulement un métier. C’est aussi un lieu, une habitation, un mode de vie. “L’aspect humain est primordial.”


Rédaction : Claire Marquis
Photos : Noémie Pinganaud

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