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Agroécologie : la transition par les pois chiches

par | 21 décembre 2023


Tendre vers l’autosuffisance alimentaire tout en préservant la santé humaine et celle de la planète, c’est possible. Un levier efficace ? L’augmentation significative des légumineuses dans les assiettes… et dans les champs.


Les lentilles en bouillie servies à la cantine de notre enfance ont fait du mal à la réputation des légumineuses. Avec moins de 1,5 kg par habitant par an, les Français sont parmi les plus petits consommateurs de légumes secs de la planète. Mogettes et flageolets souffriraient d’une image vieillotte, d’un plat qui se digère mal, contraignant à cuisiner. On connaît pourtant leurs vertus pour la santé : bourrés de protéines, pleins de fibres, ils sont aussi sans gluten, et déclinent une large palette de saveurs variées.
Ce que l’on sait moins, c’est que les légumineuses sont aussi la clé de voûte de la transition agroécologique. Nous consommons actuellement deux tiers de protéine animale et un tiers de protéine végétale. Les scientifiques ont démontré qu’en inversant ces proportions dans l’assiette, l’agriculture européenne pourrait produire tout ce dont elle a besoin pour atteindre sa souveraineté alimentaire. Le tout sans consommer de pesticide, et en diminuant de 40% les gaz à effet de serre émis par l’agriculture.

Des cultures aux multiples atouts

« On cultive 10 hectares de légumineuses tous les ans : lentilles, pois chiche et haricots rouges, noirs, blanc et borlotto, égraine Agnès Rousteau Fortin, paysanne à Bréville en Charente. Ces plantes n’ont pas besoin apport de fertilisant ». L’argument est de taille quand on sait que la fabrication et l’épandage d’engrais sont responsables de la moitié des gaz à effet de serre produits par le secteur agricole. « Elles ne sont pas de la même famille que le blé ou le tournesol que nous cultivons aussi, précise-t-elle. Diversifier ainsi notre rotation évite certains problèmes sanitaires ». Au-delà de ces considérations techniques, « ces cultures donnent du sens à notre métier. Notre travail est de cultiver des aliments pour nos voisins. Pas de nourrir un système basé sur les exportations ». Aujourd’hui, les céréales cultivées en France partent à l’export pour nourrir des animaux et « nos lentilles viennent du Canada ! »

Grâce à une symbiose entre leurs racines et des bactéries spécifiques, les légumineuses puisent l’azote dont elles ont besoin dans l’air. Sans émettre la moindre pollution, elles assurent leur propre fertilisation et laissent un sol enrichi pour la culture suivante.

Un système verrouillé

Les surfaces nationales de légumineuses à graines ont doublé en dix ans, mais elles ne représentent que 2% de l’assolement en France. Pour comprendre ce désamour pour les pois en tous genres, poussons la porte du bureau de Marie Benoît Magrini, chercheuse en sciences sociales à l’INRAE, Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement. « Je suis économiste de l’innovation et du changement. L’étude des légumineuses est un véritable cas d’école. Cette filière est au croisement de plusieurs défis de transition mais s’est retrouvée verrouillée », explique-t-elle. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, notre système agricole s’est basé sur l’usage d’engrais et de pesticides. « Cela a permis de simplifier les rotations et favoriser la culture de céréales pour nourrir des animaux. Les protéines nécessaires à l’élevage ont été importées, grâce au soja américain bon marché ». En parallèle, dans nos assiettes, les steaks ont remplacé les lentilles. « Les légumineuses n’avaient plus de rôle à jouer. »
Abandonnées des centres de recherches et des pratiques paysannes, difficile aujourd’hui de maintenir les savoir-faire. « La gestion de l’enherbement est complexe » explique Agnès Rousteau Fortin. Il faut aussi faire face aux coups de chaud de juin de plus en plus fréquents avec le dérèglement climatique. Et puis, il y a les bruches, ces petits insectes qui se développent à l’intérieur de la graine et qui peuvent grignoter 25 à 30% de la récolte. Une fois sortie du champ, l’aventure est loin d’être finie. Il faut trier dans les 24 heures sinon les graines de mauvaises herbes chauffent et compromettent le stockage. « Les rendements sont très variables et nettement à la baisse depuis quelques années. Mais ces cultures sont encore rentables, même sans irrigation, car elles sont très bien valorisées économiquement. »

Le Programme national nutrition Santé nous recommande de manger des légumineuses au moins 2 fois par semaine. Les importations, notamment de lentilles blonde et corail, représentent la moitié de la consommation française.

Des filières à organiser

Pour la commercialisation, la cultivatrice et son associé ont choisi d’intégrer le groupement des producteurs bios de Chassagne qui commercialise des légumes secs depuis 1995. La structure est aujourd’hui en plein développement. Le collectif vient d’investir dans une ancienne coopérative agricole à Villfagnan. « On rénove pour mettre un outil de tri et de transformation qui permettra de commercialiser la production d’une trentaine de fermes, nous n’irons pas au-delà pour garder un esprit coopératif et militant. Mais ces cultures répondent si bien aux enjeux agronomiques, il faudrait que toutes les fermes en cultivent un peu », ajoute-t-elle. Pour cela, Marie Benoît Magrini est claire : « C’est toute une filière qui est à organiser, et aujourd’hui, tous les feux sont au vert : la recherche progresse, les interprofessions s’organisent, les consommateurs évoluent et l’État soutient. Aucun de ces maillons ne doit lâcher mais je suis optimiste : ça va bouger ! »

Relancer la consommation par l’innovation

La recherche travaille sur des variétés résistantes à la bruche par exemple, et aux coups de chaud, mais aussi sur des lentilles qui tiennent mieux la cuisson. Les coopératives développent des contrats d’approvisionnement avec leurs adhérents et doivent s’équiper pour assurer tri et stockage. Elles doivent pouvoir faire tampon pour absorber les grandes variabilités de rendement d’une année sur l’autre. L’État met la main au porte-monnaie avec un plan protéine végétale, dans le cadre du Plan de relance. Et pour aller du silo à l’assiette, les industriels devront développer de nouveaux savoir-faire. Les filières bio sont en avance et proposent déjà des légumes secs précuits ou des plats transformés type steak végétal. Les fermes de Chassagne sont équipées d’une meunerie depuis 2006. Faire de la farine permet d’imaginer d’autres usages. « Par l’innovation, il faut sortir de l’image vieillotte des légumes secs et proposer des produits aussi rapides à préparer que des pâtes, explique la chercheuse. La restauration collective a aussi son rôle à jouer. Aujourd’hui il n’y a rien sur les légumineuses dans les programmes de formation des cuisiniers ». A quand le régal de pâtes à la farine de lentilles à la cantine ?


Rédaction : Marie Gazeau
Photos : Noémie Pinganaud

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