Depuis 2021, une vingtaine de foyers vivent en collectivité sur un ancien domaine agricole à Echoisy, en Charente. Dans l’Oasis du Coq à l’Âme, ils et elles expérimentent et inventent au quotidien des manières de fonctionner ensemble. Pour construire un modèle résilient, en accord avec des valeurs écologiques et humanistes.
Il est 12h30. Dans la salle commune de l’éco-hameau d’Echoisy, en Charente, familles, jeunes et plus ancien·nes, déjeunent sur de grandes tables. Le repas – légumes du jardin, pain et fromage maison – a été préparé par ceux et celles dont c’était le tour ce jour-là. Un poêle à bois réchauffe doucement l’atmosphère encore hivernale. Au mur, un tableau noir, étoilé de noms et de tâches à accomplir, décline les corvées quotidiennes. Détail intriguant pour qui visite les lieux pour la première fois, mais qui prend tout son sens rapidement.
Car soudain, une petite cloche retentit. C’est l’heure de « craie clochette ». Silence pour écouter l’une des habitantes de la collectivité : « J’ai besoin de quatre personnes cet après-midi pour rouler une botte de foin vers le champ des chevaux…». En moins de deux secondes, une forêt de mains se lève. « C’est bon merci beaucoup, j’ai assez de volontaires ! ». Leurs noms seront inscrits sur le grand tableau.
Ainsi va la vie au sein de l’Oasis du Coq à l’Âme, installée à Echoisy, lieu-dit de la commune de Cellettes dans le nord Charente. Là, depuis 2021, une vingtaine de foyers vivent ensemble. Les lieux – 26 hectares avec corps de ferme, bâtiment des régisseurs, maison noble, pressoir, distillerie – ils et elles les ont achetés collectivement. Et ils et elles partagent habitat, temps de repas, espaces verts, potagers, animaux à entretenir, bâti ancien à rénover. Histoire de participer en commun à la construction d’un autre avenir possible. A Echoisy, éco-hameau et « laboratoire vivant », on s’ingénie à réinventer le collectif.
« L’intelligence collective est un miracle ! »
L’expérimentation suscite l’intérêt scientifique. Son fonctionnement est encadré par un comité scientifique, et des chercheurs l’observent et l’accompagnent. Ensemble, les 35 adultes et la dizaine d’enfants du Coq à l’âme s’ingénient à y mettre sur pied une vie en accord avec la biodiversité des lieux. Arthur Rolland, 26 ans, ingénieur diplômé, est venu de Paris pour y effectuer un service civique. Il est séduit : « Cela me plaît d’expérimenter la sobriété heureuse ! Ensemble, nous avons un impact démultiplié, tout est mis en commun, les outils comme les connaissances. Seul, il nous serait impossible d’avancer comme cela. » Le jeune homme est là pour six mois, mais pourrait tout à fait envisager de rejoindre le collectif plus longtemps. « C’est facile de trouver sa place, on ne s’ennuie pas, il y a toujours quelque chose à faire. » Pour Manoli Leuci, 21 ans, la décision est prise. La jeune femme, en service civique auprès de la ressourcerie des lieux, s’installe avec le collectif. « Je suis très anxieuse quand je pense à l’avenir, au mien comme à celui de la planète. D’être avec des gens qui font des choses pour que ça change, cela me motive et cela me sort d’un certain fatalisme », dit-elle.
Comment articuler d’un côté la volonté de construire en commun un modèle de vie raccord avec des valeurs de sobriété et de respect de l’environnement et de l’humain, avec la nécessaire prise en compte des individualités, de la parole et de l’opinion de chacun ? Cette question est au cœur de la collectivité. Et ce, depuis l’origine du projet. C’est Danièle Bacheré qui l’exprime : « Si on ne s’occupe pas du facteur humain – de la cohérence humaine – quand on construit un modèle de vie collective, alors cela ne marchera pas », assure la sexagénaire qui, avec son compagnon Eric, a amorcé l’Oasis du Coq à l’Âme depuis Bordeaux en 2016.
Cette ancienne cheffe d’entreprise participe au mouvement des Colibris1 dès 2012, se forme alors aux techniques de forum ouvert pour animer des rencontres, s’intéresse de près à l’Université du Nous2. De ses expériences, Danièle Bacheré retire une certitude : « l’intelligence collective est un miracle ! ». Quand il s’est agi pour elle de concevoir une Oasis, le pilier de la gouvernance s’est avéré, à ses yeux, essentiel. Car la vie, la vraie, n’est pas un conte de fée, surtout dans un lieu où tout est partagé, à l’exception des chambres. « Il y a eu un clash au bout de quelques mois seulement d’existence, raconte-t-elle. Par conséquent, nous avons voulu nous former à la gouvernance en intelligence collective, et nous avons été accompagnés durant huit mois. »
Vers un modèle résilient
Au Coq à l’Âme, la gouvernance est partagée, divisée en cercles en fonction des problématiques, et les décisions sont prises selon un système de GPC, « gestion par consentement. » « On étudie ensemble une proposition en faisant des tours de table où chacun peut demander clarification, exprimer son ressenti, faire valoir des objections », décrit Geneviève Delporte Fulchiron, l’une des pionnières de l’Oasis. « Certes, on pourrait nous arguer que c’est long comme processus de prise décision et parfois, nous-mêmes, cela nous fatigue, mais nous savons les bons résultats que cela donne. Il faut penser à un menuisier devant un morceau de bois : il sait qu’il lui faudra du temps pour en faire un joli meuble. » Et les inévitables conflits ? Ils se gèrent suivant un système restauratif. « Une manière d’apaiser les tensions expérimentée notamment dans les favelas au Brésil, dépeint encore Geneviève Delporte Fulchiron. Quand il y a un gros conflit, le cercle restauratif engage un processus d’écoute, d’échanges et de reformulation. »
Loin d’être une communauté fermée, l’Oasis accueille régulièrement des hôtes désireux d’expérimenter cette vie lors de séjours immersifs, organise un marché chaque mois, propose des événements culturels, des ateliers autour de l’alimentation, des animations pour les écoles dans sa ferme pédagogique, des formations… « On souhaite montrer un modèle résilient, désirable et accessible au plus grand nombre, explique Geneviève Delporte Fulchiron. Nos activités sont tressées en étroite relation avec le territoire, et c’est d’autant plus important pour nous que les gens de la commune sont très attachés à ce domaine ancien, qui date des années 800. »
Le collectif réinventé, comme outil pour ébaucher un nouveau modèle de société. Arthur Bourdeau, qui s’occupe de la ferme pédagogique La Ferme d’Yvonne, y croit dur comme fer : « Nous sommes tous très différents mais nous savons tous pourquoi nous sommes là. Nous ramons tous à notre manière… mais dans le même sens. » Jolie métaphore pour un projet plus qu’ambitieux.
Entre 700 et 800 Oasis en France
Les Oasis sont directement issues du Manifeste pour des Oasis en tous lieux, rédigé par Pierre Rabhi en 1997. En 2014, le Mouvement Colibris a lancé le projet de les développer un peu partout. Les valeurs des Oasis reposent sur cinq intentions fondamentales : agriculture et autonomie alimentaire, éco-construction et sobriété énergétique, mutualisation des outils, moyens et infrastructures, gouvernance respectueuse et ouverture sur le monde. La France compte à ce jour entre 700 et 800 Oasis actives.
- Le mouvement des Colibris a été créé notamment par Pierre Rabhi en 2007 et prône l’action citoyenne en établissant un lien entre transition personnelle et transition sociétale. ↩︎
- L’Université du Nous a été créée en 2010 pour proposer des outils et des espaces d’expérimentation permettant de réinventer modes de vie collectif, prises de décision, gouvernance ou économie partagé ↩︎
Rédaction : Myriam Hassoun
Photos : Noémie Pinganaud