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Faire Avec : quelle place pour le réemploi dans le bâtiment ?

par | 7 décembre 2023


Faire Avec, c’est le nom du programme de rencontres autour du réemploi dans la construction lancé sur 2023-2024 par le Conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement (CAUE) de Charente-Maritime, en partenariat avec l’Atelier Formidable. Objectif : sensibiliser les politiques, les professionnels et le grand public à la nécessité de penser de manière circulaire les besoins du secteur du bâtiment, qui génère en France 46 millions de tonnes de déchets par an. Interview de Pénélope Fléchet, architecte-pirate et fondatrice de l’Atelier Formidable, structure d’accompagnement à la maîtrise d’ouvrage.


Pourquoi créer un programme sur le thème du réemploi dans le bâtiment en Charente-Maritime ? Quels sont les enjeux ?

Le CAUE a choisi de travailler sur ce sujet parce qu’il existe un vrai besoin à l’échelle du département, où l’enjeu est fort mais où cette filière est encore balbutiante. Et il y a par ailleurs un enjeu général : le secteur de la construction est à l’origine de 70% des déchets produits en France chaque année. Il est aussi un des premiers émetteurs de CO2 au monde. C’est une filière qui épuise l’environnement. Il faut s’orienter vers une autre manière de construire, et arrêter de jeter ce qui a été prélevé. Il est urgent de traiter cette question.

Ce qu’il est intéressant d’observer aujourd’hui, c’est qu’en raison du contexte réglementaire, à tous les échelons, passer à l’action est presque une obligation. Il y a eu tout d’abord la directive-cadre européenne relative aux déchets en 2008 ; puis à l’échelle nationale la loi de 2015 sur la prévention des déchets ; en 2020 a été votée la loi AGEC, loi anti-gaspillage pour l’économie circulaire, qui a généré la réglementation environnementale RE2020, s’appliquant plus spécifiquement à la filière construction. A l’échelle régionale, il existe des plans de prévention et de gestion des déchets, et les collectivités peuvent elles-mêmes mettre en place des Plans climat-air-énergie territoriaux. En somme, ce qui était à l’origine une forme de volonté politique isolée ou une vision militante qu’avaient certains acteurs du bâtiment, est devenu une évidence.

Vous évoquez des enjeux et des besoins propres au département. Quels sont-ils ?

En Charente-Maritime nous sommes dans un département contrasté avec des terres parfois délaissées et des littoraux plus attractifs et gentrifiés, et avec des politiques qui développent ces territoires au travers du tourisme la plupart du temps, ce qui génère de la pression foncière. Or pour les filières du réemploi dans la construction il est essentiel d’avoir du foncier pour stocker, car il est très rare sur un projet de prélever des matériaux sur un bâtiment pour les valoriser directement sur un autre. C’est donc la première difficulté : il y a peu de foncier pour accueillir ces plateformes de stockage.

La deuxième problématique est celle du réemploi à l’échelle du département, plutôt rural, où chacun va essayer de créer une filière très localement, alors que l’intercommunalité est une clé essentielle pour avancer. Différentes expériences en France l’ont montré. Sans maillage territorial, c’est plus difficile. Et c’est pour cela qu’avec le programme Faire Avec, nous organisons, à partir de mars, plusieurs semaines du réemploi dans différents territoires du département, avec la volonté de déplacer le sujet dans les communes et de mettre tous les acteurs dans la même configuration.

Existe-t-il des dynamiques et initiatives locales pour l’économie circulaire dans la construction ?

Oui, ça commence, et ça commence bien. Le sujet se met en place du côté des collectivités, par exemple des groupes de travail se sont constitués à Saintes sur cette question. Et du côté des porteurs de projets, nous voyons émerger des acteurs dans le champ de l’économie sociale et solidaire, avec l’appui de POP Incub mais aussi de l’Atelier Cyclab, incubateur de projets sur l’économie circulaire. Il y a par exemple BITI, acteur de la “dépose sélective”, qui a lancé son activité. La dépose sélective, ou dépose soignée, consiste à faire un “diagnostic ressources” d’un bâtiment, et non plus un “diagnostic déchets”. Il s’agit d’identifier tous les éléments que l’on peut venir prélever avant de passer à la démolition. Parmi les acteurs locaux qui s’emparent de ce sujet nous pouvons aussi mentionner l’entreprise de démolition Charier, dans le quartier de la Pallice à La Rochelle. Il faut aussi citer La Matière, structure de référence sur le territoire et qui a un rayonnement assez important notamment en Poitou-Charentes.

Autre initiative intéressante, et récente, c’est le Brico-tech de Dolus-d’Oléron, un projet communal modeste à première vue, mais qui a un vrai impact. Entre juin et octobre 2023, il a généré autant de réemploi que sur la première année test du programme REFAIR à Bordeaux Métropole ! Comme l’Atelier Cyclab à Surgères, le Brico-tech fonctionne en lien direct avec les déchetteries, où l’équipe prélève dans les bacs spécialisés des produits qu’elle remet ensuite en vente. Elle couvre beaucoup de champs de la construction, le gros œuvre, le second œuvre, et la finition. Professionnels, particuliers, tout le monde peut venir y acheter ses matériaux, même si dans les faits les professionnels sont pour le moment peu représentés. On achète au poids et à l’état de vétusté, à des prix forcément très inférieurs à la valeur neuve du produit. Parallèlement, le Brico-tech a installé un atelier bois-métal, qui propose des animations et qui accompagne ses adhérents à la transformation de ce qu’ils ont acheté sur place.

Aujourd’hui, quel serait le principal frein à lever pour développer plus largement cette filière du réemploi dans le bâtiment?

Le premier frein, c’est le frein assurantiel. Prenons l’exemple d’une porte coupe-feu de plus de 10 ans, prélevée sur un bâtiment et que l’on voudrait poser sur un autre. Pour les assurances c’est compliqué, car il faut retrouver les caractéristiques techniques de l’époque, sourcer, certifier le produit, et démontrer qu’il va pouvoir continuer d’assurer son rôle de porte coupe-feu. C’est une vraie difficulté que l’on peut contourner, notamment en transformant l’usage de cette porte et en en faisant une cloison, mais cette solution a évidemment ses limites. Autre problématique, c’est la question des matériaux. Imaginons que l’on prélève des poutres en bois, et qu’on les retaille pour en faire une nouvelle charpente ou des poteaux. Au regard des assurances, comment garantir que cette poutre en bois va bien tenir ? Cette question fait beaucoup rire les charpentiers et les métalliers, qui font cela depuis toujours ! Cet enjeu du frein assurantiel a été beaucoup traité pendant le séminaire que nous avons organisé en novembre. Mais selon moi, il a vocation à être dépassé, et notamment en raison des différentes obligations réglementaires que j’ai mentionnées. Nous observons déjà des avancées, au cas par cas.


Propos recueillis par : Hélène Bannier / Hélène Galiana

Photos : Hélène Galiana

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