A l’heure de la sixième extinction de masse, elles et ils ont fait le choix de se spécialiser en film documentaire animalier. Parmi toutes les formes de reportage existantes, pourquoi avoir choisi celle-ci ? Quelle relation particulière à l’environnement ce choix traduit-il ? Trois étudiant·es de l’IFFCAM, l’Institut francophone de formation au cinéma de Ménigoute (79), livrent le récit de leur engagement.
Charles Rousseau : “C’est ça ou rien, comme profession”
Un navire se fraye un chemin à travers la tempête. De l’étang de l’IFFCAM au littoral, Charles Rousseau a filmé le parcours atypique d’un bateau miniature retrouvant son propriétaire, plusieurs décennies après sa mise à l’eau. Une manière originale et poétique de faire découvrir la faune aquatique de la région. « On regarde toujours les choses à 1,50 m du sol. Je voulais décentrer le regard humain en brisant les échelles de grandeur, proposer un angle original pour révéler un univers à la fois bizarre et insoupçonné » développe l’apprenti documentariste avec entrain. Cette passion pour l’univers aquatique imprègne tout son parcours. Passionné par les animaux depuis toujours, il a envisagé des études dans le domaine de l’éthologie. Après une première année de licence de biologie inachevée, le jeune homme s’est tourné vers le commerce international, via un BTS puis une licence pro. Il a travaillé dans le secteur du sucre et des arômes, mais les parfums d’ailleurs le tentaient davantage : « ll y avait une envie de partir qui grandissait ; mes fonds d’écran se convertissaient systématiquement en rizières, » s’amuse-t-il.
Son diplôme en poche, Charles Rousseau gagne le continent asiatique pour un voyage de neuf mois en itinérance. « C’est une fois arrivé en Thaïlande que j’ai pu me reconnecter à ce que j’aimais petit, se remémore-t-il. J’ai passé mon enfance à regarder le commandant Cousteau, et j’ai à mon tour développé une passion pour les fonds marins. » Peu à peu, ses déplacements se raréfient, et il s’adonne à la plongée autant que possible. « J’ai fini par devenir guide de plongée aux Philippines, avant de rentrer en France pendant un an. C’était une période moralement difficile car je constatais que je ne pourrais pas y vivre de ma passion. » L’étudiant songe alors à l’appareil photo qui l’a accompagné tout au long de ses voyages et identifie, dans le domaine de l’image, une nouvelle façon d’explorer les fonds marins.
Un stage en vidéo sous-marine aux îles Canaries confirme son appétence pour le format documentaire et l’enjoint à s’inscrire à l’IFFCAM. S’il s’épanouit pleinement dans l’apprentissage du documentaire animalier, c’est parce que ce type de film lui permet « d’apprécier la beauté de la nature, de [se] sentir vivant » tout en lui offrant la possibilité d’évoluer dans la nature, avec laquelle il se décrit comme bien plus en phase que la ville. « Faire ces films, c’est super bénéfique pour moi, exprime-t-il. Evidemment, il faut oser dire que ça ne va pas, par rapport à la crise de la biodiversité, mais c’est toujours possible de le faire avec un fond positif. » Cela ne l’empêche pas d’être « ultra-pessimiste sur l’avenir » tout en conservant un engagement fort : « Si tu fais du documentaire animalier, tu es forcément militant. » Il s’amuse du paradoxe : « Moi qui ai toujours envie de tout dénoncer, j’ai opté pour une forme plus poétique, afin de me challenger à donner de l’émotion. » Malgré cette contradiction apparente, le verdict de Charles Rousseau est limpide : « C’est ça ou rien comme profession. »
Clara Cabardos : “Ça n’arrange personne de montrer que les animaux ont une conscience”
« Faire ce métier, c’est considérer et partager l’idée que la vie de l’animal a autant de valeur que la sienne, » défend Clara Cabardos. À 23 ans, la jeune femme a trouvé la formation lui permettant d’associer son intérêt pour l’image à sa passion pour la vie faunique. Animée depuis l’enfance par le désir de travailler en lien avec les animaux, elle s’est tout d’abord engagée dans une licence de biologie avant de bifurquer en psychologie, deux cursus censés lui permettre d’accéder au master d’éthologie qu’elle convoitait alors. Un objectif dont les huit années d’études nécessaires pour y parvenir l’ont peu à peu dissuadée. En quête de réponses, l’étudiante a donc effectué une année sabbatique en France, suivie d’une seconde en Grèce, où elle œuvrait dans un refuge recueillant des animaux blessés. « Je soignais principalement des oiseaux pour préparer leur retour à la liberté » précise-t-elle.
Pourquoi Clara s’est-elle tournée vers le documentaire animalier en particulier ? « Je pensais à devenir garde-forestier ou soigneuse en réserve, mais ne pouvais pas supporter de voir des animaux en captivité, explique-t-elle. J’ai donc cherché des formations en France qui me permettraient d’exercer au plus près d’une faune en liberté.« L’éthique constitue en effet une valeur cardinale aux yeux de l’étudiante, qui dénonce « l’envers du décor » d’une partie des documentaires animaliers diffusés à la télévision – ceux-là mêmes ayant participé à la faire rêver à cette profession, étant enfant. « Aujourd’hui, je me rends compte que beaucoup d’animaux sont imprégnés, c’est-à-dire dressés pour agir de telle ou telle façon à l’écran. »
La politique de l’école est tout autre : « A l’IFFCAM, on apprend au contraire à passer inaperçu, à respecter la juste distance envers l’animal, à prendre un ensemble d’habitudes propices à faire oublier notre présence. » Parmi ces rituels, Clara mentionne le fait de se rendre en avance sur un lieu de tournage – avec au moins une heure de marge, de prêter attention au vent, aux odeurs des produits d’hygiène susceptibles d’alerter les animaux… « C’est un jeu de cache-cache, finalement, et c’est un sentiment très satisfaisant, de parvenir à se fondre parfaitement dans la nature.«
La formation a sans conteste renforcé sa sensibilité et son engagement écologiques. « Lorsque l’on se retrouve face à un animal, on établit des jeux de regards, de vraies connexions. Cela nous met aussi face à nos responsabilités vis-à-vis de lui. » Une prise de conscience qui a incité la jeune femme à devenir végétarienne, très peu de temps après le début des cours.
À ce propos, comment travailler en lien si étroit avec la nature, à l’heure où celle-ci est de plus en plus menacée ? Après réflexion, Clara décrit sa position comme plutôt contradictoire. « Parfois, j’ai des phases où j’ai à tout prix envie de mettre le doigt là où ça fait mal, mais je dois avouer que j’éprouve aussi un certain découragement en constatant que rien ne change, malgré les nombreuses alertes sur le changement climatique et ses conséquences. »
Elle caractérise cette désillusion : « Pendant la campagne présidentielle, seulement 1,5% des débats étaient consacrés à l’écologie – ce jeu de pouvoir ne va pas s’arrêter. Ça n’arrange personne de montrer que les animaux ont une conscience. » La documentariste en devenir exprime ainsi ne plus avoir « vraiment d’espoir quant à des changements à grande échelle, » de sorte qu’elle « ambitionne plutôt d’éveiller les consciences au niveau local. » Elle n’a, en tous cas, pas hésité à partir de la ville où elle résidait, Marseille, pour intégrer l’IFFCAM. Quitter la cité phocéenne ne lui a pas pour autant fait oublier l’air marin : « Pour mon premier court-métrage, je travaille sur l’érosion du littoral et son impact sur la faune, en m’intéressant notamment au cas des digues de La Rochelle » résume-t-elle.
Corentin Nerzic : « Montrer la réalité sans prendre de pincettes »
Du haut de ses 25 ans, Corentin Nerzic a, quant à lui, déjà observé le vivant de nombreuses manières : d’abord à travers la lunette d’un microscope, puis via l’objectif d’un appareil photo. Il se tourne à présent vers les caméras de l’IFFCAM pour scruter le monde qui l’entoure. Le regard perçant, sous ses lunettes à fine monture, le jeune homme originaire de Condé (18) revient sur un parcours aux multiples revirements : « J’ai étudié la biologie pendant quatre ans à la faculté de Tours dans le but de poursuivre dans le domaine de l’éthologie. Je pratiquais aussi la photo en amateur en parallèle, pour changer d’air. » Une passion qui, couplée à l’aspect selon lui « trop généraliste » de la licence de biologie, a joué un rôle de déclencheur dans son orientation : « C’est là que j’ai su ce que je voulais faire : travailler dans la nature et non pas enfermé dans un laboratoire. J’ai donc intégré une école de photo, où je suis resté trois ans. »
Son intérêt pour la faune a imprégné ce cursus : « Pendant ces trois années d’étude, j’ai élaboré un mémoire sur la photographie naturaliste, relate-t-il, j’ai documenté la façon dont elle fait face aux enjeux écologiques, me suis demandé s’il existait du renouveau dans ce genre photographique. »
Le court-métrage qu’il réalise en ce moment à l’IFFCAM, sur la transformation de la photographie animalière à travers les époques, se présente comme une suite de ce travail. Une quête personnelle qu’il envisage par la suite de convertir en format écrit, potentiellement sous forme d’essai.
Comme la plupart de ses camarades, Corentin Nezric mentionne un intérêt pour l’écologie et la préservation du monde animal bien antérieur à son entrée à l’IFFCAM ; il avait notamment déjà adopté un régime alimentaire végétarien, avant son intégration. Pour cause, le métier de documentariste animalier implique, selon lui, d’adopter un mode de vie en accord avec ses convictions : « Nous dispensons des leçons au travers de nos images, il faut donc être le plus aligné possible avec ses croyances » affirme-t-il. Le jeune homme apporte néanmoins quelques nuances : « Il ne s’agit pas, pour autant, de chercher à atteindre une forme de pureté écologique, argumente-t-il, on est dans une profession qui implique de se déplacer beaucoup en voiture et d’avoir recours à du matériel électronique de pointe. »
Le paradoxe entre cette profession liée à l’environnement et la surconsommation lui arrache une plaisanterie en demi-teinte. Œuvrer à la sensibilisation à la biodiversité dans un contexte où elle est si menacée, « ça entraîne beaucoup de névroses ! On se dirige vers cette profession en se disant que ça va s’arranger, tout en ressentant un profond mal-être car on sait, au fond, qu’on ne touchera pas assez de personnes avec notre travail. » Il exprime, à l’instar de ses camarades, un certain découragement vis-à-vis de l’absence de mobilisation concrète : « On parle des problèmes environnementaux depuis les années 70, et il ne se passe rien, » assène-t-il. En réaction à cette prise de conscience qu’il estime insuffisante, le réalisateur en herbe prend un parti ferme, celui de « montrer la réalité sans prendre de pincettes, » quitte à heurter.
Rédaction et photos : Hildegard Leloué