Après avoir réuni plus d’un million de spectateurs devant « Demain », le réalisateur Cyril Dion revient avec « Animal », un documentaire interrogeant notre relation au monde vivant. Nous avons rencontré ce militant de la cause environnementale à La Rochelle, à l’occasion de la projection de son film en avant-première lors du festival éco-citoyen Écran Vert.
« Animal » évoque la sixième extinction de masse, c’est-à-dire la perte de biodiversité due aux activités humaines. Quel a été le point de départ de ce nouveau documentaire ?
C’est un projet qu’on est venu me proposer. Walter Bouvais, qui a co-écrit le film avec moi, avait fait une enquête sur la disparition des espèces. Il est venu me voir pour me proposer de réaliser un film à ce sujet. Mais moi, je n’avais pas tellement envie de réaliser un film sur la disparition des espèces, plutôt sur la manière d’essayer de l’enrayer. Parallèlement, j’avais dans la tête de faire un film sur la « génération climat » à travers la musique qu’ils écoutent. Donc j’ai fusionné les deux projets en un ! En racontant comment on pouvait faire quelque chose face à l’extinction de masse à travers le regard de jeunes de la génération climat.
Les personnages principaux du film sont deux jeunes de 16 ans, Bella et Vipulan, une activiste anglaise et un militant écologiste français. Pourquoi ce choix de mettre en scène deux adolescents ?
J’avais envie de raconter leur histoire. Quand j’ai échangé avec des jeunes pendant les marches pour le climat dans différentes villes d’Europe, j’ai été très bouleversé par la gravité qu’ils avaient à 16 ans. Je voyais bien qu’ils n’avaient pas du tout les mêmes préoccupations que moi à leur âge. Ils étaient dans la perspective que leur avenir soit oblitéré, qu’il n’y ait pas de retour en arrière possible. Je trouve que c’est encore pire que des générations qui ont connu la guerre, parce que d’une certaine manière la guerre ça s’arrête à un moment. Et potentiellement on reconstruit après. Là, si on dépasse 4 degrés de réchauffement, si les espèces continuent à disparaître à cette rapidité, il n’y a pas de retour en arrière et ils en ont conscience. Ils en ont tellement conscience qu’ils sont dévorés d’anxiété. J’avais envie de mieux comprendre ça, parce que j’étais passé par là.
J’avais un tout petit peu d’avance sur eux sur les stratégies de mobilisation et j’avais envie de voir où ils avaient envie d’aller. Leur faire faire une sorte de parcours initiatique qui leur permette d’explorer les différentes stratégies, que ce soit aller sur le terrain pour ramasser du plastique, se rendre au Parlement européen pour essayer de faire changer la loi, se confronter à des gens qui ne sont pas d’accord avec eux comme avec l’élevage intensif de lapins… Pour finalement se rendre compte que c’est un problème systémique, il n’est pas juste questions de “se bouger les fesses”. C’est un problème de relation au monde, au vivant. Tout ça, ils ne peuvent pas le réinventer s’ils ne partent pas se plonger dans le monde sauvage.
L’autre raison, c’est que ces adolescents sont hyper touchants. Faire un film qui passe par leur regard à eux c’est évidemment plus mobilisant émotionnellement que si nous on était derrière la caméra pour montrer les choses de façon un peu froide et plus cérébrale. Il y a des jeunes qui vont s’identifier à eux et il y a des plus âgés qui vont s’identifier à leurs enfants.
Lors d’une scène à l’aéroport, Bella et Vipulan culpabilisent de prendre l’avion en raison de la pollution engendrée par les vols. Avez-vous mis en place un système de compensation carbone pour ce tournage ?
On a fait de la compensation carbone pour le tournage, pour la post-production et pour la tournée. Tout en sachant que c’est un moindre mal et que ce n’est pas une vraie compensation. Par rapport à l’urgence climatique, ce n’est pas une réponse très satisfaisante mais c’est quand même une façon de minimiser l’impact de ce qu’on fait et ça c’est important. Parallèlement à ça, notamment avec la campagne de financement participatif, on a financé des zones de réensauvagement avec l’ASPAS (Association pour la protection des animaux sauvages, NDLR), on a financé aussi le fait de pouvoir réintroduire des animaux sauvages dans leur milieu naturel avec une association qui s’appelle Athena. Avec l’objectif que toute la mobilisation qui se fait autour du film serve aussi à ça, avoir un impact positif au-delà de ce que ça pourrait faire simplement au spectateur.
Vous mettez en avant plusieurs actions constructives dans « Animal », comme le combat de Claire Nouvian contre le chalutage en eaux profondes dans l’Union européenne ou le nettoyage des plages en Inde par Afroz Shah. Pour un monde écologiquement meilleur, le changement viendra donc des citoyens ?
Je pense qu’il viendra de toutes parts. On ne peut pas imaginer que ce sont les gens qui sont au pouvoir aujourd’hui qui vont être les révolutionnaires, ça n’a jamais marché comme ça dans l’histoire. Ce sera un changement culturel et structurel, qui va passer à la fois par l’émergence de récits nouveaux, de gens qui imaginent l’avenir différemment, de rapports de force qui se feront dans la rue et dans le monde économique. Aujourd’hui il y a un vrai combat pour que les banques désinvestissent des énergies fossiles. Nous menons actuellement une bataille par exemple pour que toute l’épargne des Français qui soit sur les livrets de développement durable serve vraiment à la transition écologique. Pour le moment ce n’est pas le cas, c’est à peu près 10%. Si l’ensemble de cette épargne servait, c’est 100 milliards d’euros par an qui pourraient être affectés à la transition écologique. C’est énorme ! C’est une bataille juridique, règlementaire. Et puis les mouvements de l’histoire vont accélérer le changement. Ça fait trois, quatre ans que l’on voit les effets du changement climatique de façon plus prégnante. Ça va renforcer ce mouvement, lui donner beaucoup de puissance parce que les gens vont se révolter.
Dans le film, il y a une séquence où les deux jeunes tentent d’interroger un assistant parlementaire à la Commission européenne qui les méprise complètement. Après la désillusion de la Convention citoyenne pour le climat, croyez-vous encore aux promesses des élus ?
Je n’ai jamais cru aux promesses des élus. La Convention citoyenne pour le climat, tout le monde me dit : ‘‘Vous devez être tellement déçu’’. Mais non ! On ne pensait même pas que cette convention allait exister. On s’est battus à chaque étape. Srdja Popovic, le révolutionnaire serbe, dit qu’une grande victoire, c’est une succession de petites victoires atteignables. On a essayé de faire en sorte que chaque étape soit une petite bataille à remporter. La première bataille c’était de créer un rapport de force, de faire en sorte que la convention puisse exister, qu’elle puisse faire son travail de façon autonome, que les citoyens soient libres de proposer ce qu’ils veulent. On savait qu’on allait avoir une bataille politique, on savait bien qu’Emmanuel Macron n’allait pas tenir sa promesse, qu’il n’allait pas donner toutes les mesures sans filtre au parlement.
Évidemment, c’est grave que le Président de la république donne sa parole et ne la tienne pas mais en réalité c’est malheureusement ce qui se produit la plupart du temps avec les responsables politiques. La politique c’est un rapport de force. Ce rapport de force, on l’a engagé à la fois pour faire la démonstration que des citoyens tirés au sort à qui on permet de délibérer vont plus loin que ce que tous les gouvernements ont fait depuis trente ans, et donc ce sont certainement des modalités démocratiques qu’on a besoin d’institutionnaliser, de reproduire. On a aussi pu faire en sorte que la loi Climat existe et c’est quand même mieux que s’il n’y avait pas de loi du tout. Et on a mis en lumière le fait que le gouvernement Macron n’allait pas aller plus loin. Malgré tout ce qu’il fait croire, il n’est pas disposé à avoir une véritable politique écologiste. L’étape suivante est de pouvoir élire des gens qui vont aller au bout, qui ont des programmes vraiment écologistes. Ça implique aussi qu’il y ait de nouvelles personnes qui s’engagent en politique.
Vous avez récolté plus de 300 000€ de financement participatif sur Kiss Kiss Bank Bank pour réaliser « Animal ». Quel impact pensez-vous que votre documentaire peut avoir ?
J’espère que le film va créer une conversation autour de la question du vivant, qui n’est pas beaucoup abordée pour le moment. On est quand même beaucoup sur des conversations autour du climat. J’espère que certains thèmes qu’on aborde, par exemple le fait de donner des droits à la nature, d’interdire l’élevage industriel et l’élevage en cage, d’encourager les gens à se passer de plastique, à manger radicalement moins de viande et de poisson, ça aura un impact important. J’espère qu’on va créer une conversation sur cette question des indicateurs, ce que propose Éloi Laurent dans le film. Qu’est-ce qui serait le bon indicateur pour dire que notre société est en bonne santé et se réalise ? Qu’il y ait une forme d’aboutissement de notre société. Quel est l’indicateur qui dit que nous sommes arrivés à ce qu’on voulait faire ? Si ça peut faire avancer ce sujet-là, ce serait bien.
Comment faire pour garder espoir et enthousiasme dans un contexte si éco-inquiétant ?
En acceptant de vivre chaque jour de la façon la plus intense et la plus vivante possible. En arrêtant de se mettre sur le dos l’idée qu’il faudrait qu’on sauve la planète ou qu’on résolve le problème, parce que on n’y arrivera jamais ! Ce n’est pas dans nos mains de façon individuelle. C’est un problème systémique. Fondamentalement, la question de l’effondrement écologique nous confronte à l’idée de la mort. Mais l’idée de la mort est déjà là, on sait déjà qu’on va mourir, tous les êtres humains meurent. La question est : qu’est-ce qu’on fait entre maintenant et le moment où on va mourir ? Comment on fait pour rendre chaque minute, chaque jour, le plus palpitant possible ?
On se remet dans l’instant présent, on se nourrit de toutes les petites victoires, de tout ce qui nous fait vibrer. On ne se projette pas trop dans le futur. Ce n’est pas pour faire le bouddhiste de comptoir mais c’est quand même la meilleure façon d’aller bien. C’est de ne pas se perdre sur les ruminations du passé et les conjectures sur le futur, d’arriver à être pleinement dans le présent. Et donner du sens à ce qu’on fait. Au-delà de l’espoir, ce film a pour but de réveiller la vie en nous. Le changement climatique et la disparition des espèces sont des dynamiques mortifères. On a besoin d’y opposer des dynamiques de vie et c’est ça qui donne de l’énergie.
Propos recueillis par Amélia Blanchot
Photo : Hildegard Leloué