Chaque année, 250 000 personnes sont victimes d’une submersion marine à l’échelle de la planète, d’après le GIEC (Groupement Intergouvernemental des Experts pour le Climat). Un chiffre appelé à doubler en 2100, avec l’intensification de la montée des eaux liée au dérèglement climatique. Particulièrement vulnérable, la Charente-Maritime est l’un des départements qui doit adopter des stratégies pour rendre son littoral plus résilient. Analyse de Virginie Duvat, géographe et chercheuse au LIENSs (unité mixte de recherche au service des enjeux du développement durable des littoraux) de La Rochelle. Elle est l’une des autrices principales du sixième rapport du GIEC.
À quelles problématiques est confronté le littoral de Charente-Maritime ?
Le littoral charentais est soumis à trois types de risques côtiers. Le premier, c’est la submersion marine. La tempête Xynthia l’a bien illustré, puisqu’en février 2010, on a eu affaire à un phénomène de submersion rapide, à l’origine d’une cinquantaine de pertes de vies humaines. En effet, les vagues de tempêtes déchargent une énergie très forte dans la bande côtière, générant des dégâts extrêmement importants. Hors épisodes de tempête, de plus en plus de terres seront submergées à marée haute, puisque le niveau de base océanique s’élève.
Le deuxième phénomène auquel nous sommes confrontés, c’est l’érosion côtière, qui affecte 55% du linéaire côtier de la Charente-Maritime, contre 19% à l’échelle nationale. Elle entraîne notamment la disparition des plages, la dégradation des systèmes dunaires, le recul des falaises sur les côtes rocheuses.
Enfin, le troisième type de risques côtiers qui nous concerne, c’est la salinisation des sols et des aquifères. Au fur et à mesure que la mer entre dans les terres, sous l’effet de l’érosion et des submersions, on observe une dégradation des sols, des écosystèmes côtiers et de la qualité des nappes d’eau douce.
L’élévation du niveau des mers s’accélère-t-elle avec le temps ?
Tout à fait. Au XXᵉ siècle, le niveau des mers à l’échelle globale a augmenté de 17 cm, à raison de 1,7 millimètre par an en moyenne. Or, depuis le début des années 1990, le rythme d’élévation du niveau des mers a doublé : on est désormais sur des valeurs comprises entre 3 et 4 millimètres par an. C’est un phénomène qui va continuer à s’accélérer au cours des prochaines décennies, nous amenant à des valeurs comprises entre 40 centimètres et un mètre, d’ici la fin du siècle. Néanmoins, cette fourchette pourrait tout à fait être dépassée. Si les calottes de l’Ouest-Antarctique et du Groenland s’effondrent, on pourrait très bien être confronté à des valeurs d’élévation du niveau de la mer approchant les deux mètres, voire davantage.
Quels territoires français sont menacés, ou déjà touchés par la montée des eaux ?
Je commencerai par citer les Outre-mer, trop souvent oubliés alors qu’ils font de la France le deuxième domaine maritime mondial. Les îles basses des atolls des Tuamotu, en Polynésie française, sont particulièrement exposées. Ce sont des îles faites de sables et de débris coralliens, qui culminent entre trois et quatre mètres d’altitude, pour la plupart. Ensuite, il y a la côte méditerranéenne, avec ses cordons littoraux extrêmement bas qui sont pris en sandwich entre la mer d’un côté et des étangs de l’autre. Cela en fait des terres vulnérables, qui connaissent déjà des phénomènes d’érosion extrêmement marqués, ainsi qu’une dégradation des systèmes dunaires, des plages et de la végétation littorale. En dernier lieu, je mentionnerai la côte sableuse de l’Aquitaine, que l’on peut aisément faire remonter jusqu’à la Vendée. On a là une facette du littoral Atlantique principalement constituée de terres basses, qui n’est pas toujours protégée par des barrières dunaires.
Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’il ne s’agit pas d’un phénomène nouveau. Les historiens ont documenté des submersions marines récurrentes et qui remontent à plusieurs siècles, dans ces différentes régions. En revanche, ces submersions vont être multipliées par cinq à dix, suivant le territoire concerné et notre trajectoire d’émissions de gaz à effet de serre. Le risque d’érosion côtière pourra, lui, être multiplié par cinq en fonction de ces mêmes critères. Bien sûr, ces valeurs sont assorties d’un haut niveau d’incertitude : elles dépendront à la fois de l’intensité et du nombre de tempêtes que nous subirons, mais aussi des solutions humaines mises en œuvre pour réduire ces phénomènes catastrophiques.
Quels sont les dispositifs mis en place pour pallier ces différents risques ?
Jusqu’à présent, les solutions déployées le long de nos côtes ont principalement consisté en ce qu’on appelle la “défense lourde”, c’est-à-dire des murs de protection, des digues, des cordons d’enrochement. Ces ouvrages d’ingénierie côtière ont été pensés pour protéger la population, les infrastructures, les activités économiques et les services vitaux dans des secteurs très densément urbanisés, pour lesquels le panel de solutions à mobiliser est relativement restreint. Néanmoins, ce que montre le rapport du GIEC de février 2022, c’est que de nombreuses côtes comportent des “solutions mal-adaptatives”. Autrement dit, des solutions qui, en réduisant les risques actuels, ont pour effet d’accroître les risques futurs. Pour quelles raisons ? Tout d’abord parce que beaucoup de ces ouvrages ne sont pas aux normes sur le plan technique, ou ne l’ont pas été avant une date récente. Ils ne constituent donc pas de véritables protections face aux assauts de la mer. Ensuite, la construction de ces ouvrages a laissé les populations se figurer que la zone était “à l’abri”. Cela a engendré une densification de l’urbanisation, une multiplication des constructions de tout type, et un surdéveloppement des activités économiques. C’est ce que des chercheurs américains ont appelé “le mythe du développement sûr” : l’idée qu’on est protégé, dès lors que l’on se situe à l’arrière d’une défense. On s’aperçoit que c’est faux : ces ouvrages peuvent être submergés ou rompre sous l’effet d’événements extrêmement intenses ; il n’existe pas de risque zéro.
Quelles pistes peuvent être envisagées, pour mieux s’adapter à la montée des eaux ?
Une autre option qui est de plus en plus expérimentée, c’est l’adaptation fondée sur les écosystèmes. Autrement dit, toutes les solutions qui s’appuient sur la création et la restauration d’écosystèmes, l’amélioration de leur gestion et de leur protection. En quoi c’est intéressant ? On sait que les écosystèmes côtiers et marins rendent aux populations humaines un « service de protection côtière », d’une part en atténuant les vagues de tempête, d’autre part en produisant ou en capturant des sédiments. C’est notamment le cas des récifs coralliens, des herbiers de posidonies en Méditerranée ou des mangroves en Outre-mer.
De grands acteurs jouent un rôle fondamental dans l’expérimentation et la mise en œuvre de ces solutions. Je pense particulièrement au Conservatoire du Littoral qui mène tout un tas d’actions de restauration d’écosystèmes, en métropole et en Outre-mer. Il œuvre par exemple à reconstituer des bandes côtières non urbanisées, qui servent de zone tampon pour amortir les effets des événements météo marins. On peut aussi, bien sûr, penser à l’Office national des forêts qui a une grande expérience dans l’entretien, le maintien, la restauration de nos systèmes dunaires.
Les solutions fondées sur la nature ont aussi de plus en plus de succès parce qu’elles coûtent moins cher et ont beaucoup de bénéfices en termes de qualité de paysage, de qualité de vie et d’activité économique. Mais ce que l’on sait, c’est qu’avec le renforcement des pressions climatiques, elles pourraient ne plus être efficaces dans la deuxième moitié du siècle si nous restons sur une trajectoire d’accélération du dérèglement climatique. Le cas échéant, nous devrons alors basculer vers une solution beaucoup plus radicale et qui révolutionnera nos territoires : la relocalisation. En d’autres termes, le déplacement à l’intérieur des terres, vers des zones dans lesquelles on trouvera du foncier disponible. Ce serait une forme de migration climatique à l’intérieur de notre propre pays. Habituellement, lorsqu’on entend parler de migration climatique, c’est en référence à une sorte de peur que l’étranger nous envahisse. L’Europe, par exemple, a peur que l’Afrique se mette à déferler sur ses côtes. C’est oublier qu’à l’horizon 2040/2050, si on maintient notre trajectoire de réchauffement actuelle, il faut s’attendre à d’importants mouvements de population au sein même de notre territoire.
Outre la question migratoire, quelles autres conséquences la montée des eaux aura-t-elle sur les populations humaines ?
Aujourd’hui, les écosystèmes sont fortement mis à l’épreuve, avec le renforcement des pressions anthropiques [n.d.l.r : dont l’humanité est responsable] et climatiques. Or, au-delà du patrimoine de biodiversité qu’ils nous offrent, ces écosystèmes jouent un rôle crucial dans l’alimentation des populations. Si demain les récifs coralliens meurent dans les Tuamotu, en Polynésie, les 16 000 personnes qui y habitent et consomment principalement des poissons récifaux ne pourront plus se nourrir. Pour eux, le récif corallien, ce n’est pas de la biodiversité, mais un garde-manger. De la même manière, tant que nous continuerons à dégrader la forêt amazonienne, nous contribuerons à dégrader le fonctionnement du cycle de l’eau, avec toutes les conséquences que cela peut avoir sur les populations humaines. Avec ces exemples, on voit bien que dès que l’on touche aux écosystèmes, c’est un ensemble d’équilibres qui sont menacés.
La recherche commence à avoir une vision relativement claire de ce à quoi pourrait ressembler le monde en 2050. Si la trajectoire actuelle de réchauffement climatique se maintient, on peut s’attendre à ce que ce soit un monde très rude à vivre, un monde dans lequel nous serons confrontés à des guerres pour l’eau et l’alimentation, des épidémies qui se propageront très rapidement sur des populations affaiblies. Le changement climatique, et la montée du niveau des mers qu’il induit, exacerbent les inégalités et les problèmes que nous connaissons déjà. On peut donc s’attendre à une augmentation de la pauvreté, des inégalités sociales et à la raréfaction de l’eau, d’une alimentation saine et naturelle. Cet horizon de 2050 est palpable : la plupart des humains seront encore en vie dans moins de 30 ans.
Les politiques publiques prennent-elles suffisamment en compte l’ampleur et l’imminence des risques ?
Jusqu’à présent, ce sont des politiques court-termistes qui ont prévalu, notamment du fait de la brièveté des mandats des décideurs. Or, il faudrait regarder beaucoup plus loin vers l’avenir, non pas sur 10, 15 à 20 ans comme on sait le faire dans nos documents de planification territoriale, mais aux horizons 2050, 2070 et 2100. Un plan de relocalisation pouvant mettre de 20 à 40 ans pour être mis en œuvre, il est primordial de se confronter à cette réflexion dès maintenant. Le changement climatique nous met au défi d’inventer des futurs non pas seulement acceptables, mais désirables. Cela exige une révolution des mentalités. Une des solutions pour réduire les impacts du changement climatique et s’y adapter, c’est de passer au développement durable, en remettant en question le mode de développement capitaliste à l’origine du dérèglement de la planète et de l’augmentation des impacts du changement climatique. Un changement de société, de paradigme, de philosophie, de rapport à la planète qui nous héberge, à la nature et aux éléments ; c’est tout ça qui constituera le levier de l’adaptation.
Propos recueillis par : Hildegard Leloué
Crédits photos :
– illustration : Virginie Duvat
– portrait : Damien Carles, photographe, Ministère de la Transition écologique