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Ile d’Oléron : l’éolien offshore au prix de la biodiversité ?

par | 27 septembre 2022

Eolien offshore vs biodiversité

Le projet d’installation de 120 à 140 éoliennes au large de l’île d’Oléron, en pleine zone protégée Natura 2000, interroge sur les répercussions possibles pour la biodiversité. Entretien avec Nicolas Sinodinos et Alain Daubigné, membres du comité de pilotage du collectif Non à l’éolien Marin à Oléron (NEMO). Depuis 2015, ils se mobilisent pour faire reconnaître les impacts environnementaux, sociaux et économiques de ce projet.


En quoi consiste précisément ce projet éolien offshore ?

Nicolas Sinodinos : À l’origine, ce projet impulsé en 2015 prévoyait la construction de 60 à 70 éoliennes pour une production allant de 500 mégawatt (MG) à 1 gigawatt (GW). Assez rapidement, c’est le 1 GW qui a été acté sur une zone d’étude d’environ 300 km². En 2021, l’État a de nouveau décidé de doubler l’envergure du projet, avec une seconde tranche d’éoliennes d’1 GW également. Ce projet, dans son ensemble, équivaudrait ainsi à la construction de 120 à 140 éoliennes au minimum sur une zone 740 km², toutes de 260 mètres.

Or, si on fait le calcul entre les objectifs annoncés pour la façade maritime Atlantique et les évolutions du projet, on peut très sérieusement s’attendre à beaucoup plus que 2 GW dans le futur. Ce projet n’est qu’un point d’entrée destiné à être très élargi, une « multiprise » sur laquelle on va chercher à brancher un maximum d’éoliennes. Ce qu’il faut comprendre dans l’éolien, c’est qu’on est dans une logique d’optimisation des coûts de raccordement et d’atterrage. Autrement dit, une fois que l’on a payé un prix important pour adapter une zone littorale à l’installation d’éoliennes, on essaie d’optimiser cet espace en en construisant un maximum. L’État a déjà démontré sa capacité à « mettre un pied dans la porte » en augmentant progressivement la puissance et la taille du projet.

Alain Daubigné : Quand on a su en 2021 que le projet était relancé par la co-maîtrise d’ouvrage État – RTE (ndlr : Réseau de transport d’électricité), le collectif s’est remobilisé pour aller plus loin dans l’opposition. S’en est suivie une phase de concertation avec le public, entre septembre 2021 et fin février 2022. La Commission nationale du débat public, chargée de l’organisation de ce débat, a ensuite livré un rapport au Ministère de la Transition Énergétique pour lui permettre d’étayer son jugement. Le 29 juillet de cette année, il a ainsi publié au Journal Officiel sa décision de doubler la surface du parc éolien. À présent, si rien ne vient gêner l’avancement du dossier et qu’aucun recours n’est formulé, l’entrée en production interviendrait en 2029-2030. Le début du chantier pourrait toutefois être avancé si le projet de loi d’accélération des énergies renouvelables (présenté ce 26 septembre en Conseil des ministres et débattu au Parlement entre fin octobre et début novembre) est voté. Il s’agit en fait de la modification d’une loi de défense de l’environnement datant de 2016 qui permettrait de raccourcir les délais et de faciliter les procédures pour ce type de projets.

Ce projet éolien doit prendre place dans un espace protégé, à la fois zone Natura 2000 et zone de protection spéciale au titre des directives européennes “oiseaux”. Quel impact aura-t-il sur la biodiversité ?

NS : Le projet devant s’établir en zone protégée, il portera atteinte, par définition, à des espèces menacées. La liste est longue, mais au niveau des poissons, les études d’impact ne portent que sur les espèces dites “clés” (celles qui ouvrent le droit à une indemnisation pour les pêcheurs). Autrement dit, elles ne prennent pas en compte l’impact du projet éolien sur le reste de la chaîne alimentaire. De fait, un impact sur une espèce n’entrant pas dans le champ d’étude pourrait, in fine, avoir des répercussions sur les espèces pêchées. Et encore, cet impact par ricochets n’adopte que le point de vue des pêcheurs, il faudrait aussi se soucier des espèces menacées pour elles-mêmes ! La zone éolienne traverserait également un couloir de migration d’oiseaux marins : le couloir le plus à l’ouest des côtes. C’est la raison pour laquelle le collectif NEMO maintient son avis défavorable au même titre que d’autres organismes environnementaux, tels que la Ligue de protection des oiseaux (LPO).

AD : A priori, pour la première tranche, il est fortement question que les éoliennes soient “posées”, c’est-à-dire ancrées dans les fonds marins grâce à un forage profond. Pour la deuxième, il pourrait s’agir d’éoliennes “flottantes” dans la mesure où la bathymétrie, c’est-à-dire la profondeur, sera plus importante si le projet demeure tel qu’il a été décidé par l’État. Mais pour cette tranche supplémentaire, des éoliennes chinoises, de tailles beaucoup plus importantes que les nôtres, pourraient venir bouleverser ces prévisions en arrivant sur le marché. Tout cela pour dire que lorsque l’on effectue des forages à 40 m. de profondeur pour couler du béton, implanter des éoliennes et mettre en place des raccordements, cela bouleverse énormément les fonds marins, que ce soit au regard des tonnes de sédiments soulevées, des vibrations ou des champs électromagnétiques potentiellement néfastes. Chaque éolienne est raccordée à une sous-station du parc éolien, laquelle redirige l’électricité vers la terre et les lignes à très haute tension. Ainsi, les impacts se font ressentir tant en milieu marin qu’aérien, ainsi qu’au niveau de la partie terrestre où s’opère le raccordement.

Suite au débat public, l’État a décidé de contourner le parc naturel marin de l’estuaire de la Gironde et de la mer des Pertuis, initialement inclus dans la zone éolienne. Le parc, ses espèces et ses habitats seront-ils pour autant protégés ?

NS : De la même manière que le nuage de Tchernobyl ne s’est pas arrêté aux frontières ou que les pesticides se propagent bien au-delà de la parcelle où ils sont répandus, le contournement du parc marin demeure superficiel. Avec les courants marins et le vent, il est évident que le chantier va hautement endommager le parc naturel marin. Celui-ci étant situé à l’ouest et la majorité des vents de notre littoral poussant vers l’est, les vents et le mouvement des marées vont propager les effets délétères des éoliennes à son niveau.

Des technologies existent pour atténuer les bruits et les vibrations afin de moins perturber le vivant, sont-elles efficaces ?

NS : Plusieurs dispositifs sont envisagées comme des compensations pour les perturbations causées dans les milieux marins, terrestres et aériens. Or, non seulement le principe de compensation manque cruellement de transparence, mais il est absurde de suivre sa logique au sein de zones naturelles protégées. Pour un territoire qui a été explicitement protégé parce qu’il comporte des espèces menacées, il ne devrait pas y avoir de possibilité d’y déroger avec une simple compensation. Cela ne me semble pas relever d’un point de vue écologique extrême, mais plutôt du bon sens ou de l’honnêteté intellectuelle.

Les éoliennes offshore produisent des énergies renouvelables, ce qui est nécessaire au vu de l’urgence climatique. N’est-il pas impératif de prendre en compte, aussi, cet enjeu-là ?

NS : L’éolien constitue certes une source d’énergie renouvelable, mais cela ne la rend pas durable pour autant. Tout dépend de la façon dont on construit, des procédés de production, du design, des choix de matériaux, de leur caractère réutilisable ou recyclable, de la phase d’exploitation, de démantèlement… Ce sont ces éléments-là, tout au long du cycle de vie de l’éolien, qui permettent de statuer de la durabilité du projet. Nous en sommes aujourd’hui très loin puisqu’aucune contrainte forte ne pèse sur le cahier des charges, que ce soit d’un point de vue environnemental ou économique. À noter que l’éolien français bénéficie aussi d’un lexique très flatteur : le terme “renouvelable” sonne très vert alors qu’il signifie simplement “producteur d’énergie infinie”. Plutôt que de parler de “parc” éolien, j’estime qu’il faudrait davantage parler de “zone” ou de “chantier industriel.”

Le premier parc est prévu pour fournir 1 GW, ce qui devrait alimenter 1,6 millions de personnes en électricité. N’est-ce tout de même pas une solution efficace, et moins néfaste pour l’environnement que les centrales à charbon ?

NS : Là encore, nous sommes dans de la stratégie de communication. Lorsque l’État évoque 1 GW, il s’agit de production dite “installée”. Autrement dit, il s’agit d’un maximum théorique, auquel il se garde d’appliquer le facteur de charge, qui est pourtant un calcul essentiel. Le facteur de charge, c’est le rapport entre ce que l’on est théoriquement capable de produire et ce qu’on l’on produit réellement. On retrouve ce facteur dans toutes les méthodes de production d’énergie. Dans le cas de l’éolien, il est assez faible, situé entre 35 et 40%. Autrement dit, si on installe 1 GW, on ne produit en réalité que 30 à 40% d’électricité en prenant en compte le facteur de charge.

Il y a également un problème d’intermittence propre aux énergies renouvelables : on ne sait pas quand on va produire de l’électricité. Or, pour satisfaire les besoins énergétiques d’un territoire, on est toujours obligé de produire la même quantité de courant afin d’éviter les interruptions sur les réseaux. Il faut donc installer derrière l’équivalent de la production éolienne en gaz, c’est ce que l’on appelle du “pilotable”. Cela signifie que vous devez aussi prendre en compte l’impact environnemental d’une centrale thermique quand vous construisez des éoliennes.

Toutefois, on peut définitivement faire le choix du couple éolien/gaz sur le charbon, qui est largement pire en termes d’impact, de par l’extraction et la combustion. Il faut cependant garder à l’esprit que l’éolien n’est pas quelque chose de vert par nature. On peut produire de l’éolien vert si on le conçoit comme tel, avec un cahier des charges adapté, un minimum de béton et de terres rares employées, des composants faits pour être réutilisables, un démantèlement qui soit total ou qui réutilise les bases existantes. Dans ces conditions, le résultat pourrait être qualifié de durable… pour peu que le tout ne se situe, évidemment, pas dans une zone protégée. Ces critères sont à mille lieues de ce qui est mis en place à Oléron.

La construction de ce parc éolien peut-elle avoir aussi des conséquences socio-économiques ?

NS : Les pêcheurs professionnels seront empêchés, c’est le cas de le dire, dans la pratique professionnelle de leur activité. Ceux exerçant du côté du port de La Cotinière d’Oléron sont concernés, mais pas que : la zone de pêche recouverte par le projet va également toucher les pêcheurs de Royan, de La Rochelle et même des Sables d’Olonne. En tout, 6 à 8 000 emplois du secteur de la pêche seront impactés tout au long de la chaîne de production, de traitement et de distribution du poisson.

Il est important de s’extraire de l’argument environnementaliste pour considérer des arguments socio-économiques et territoriaux. Le collectif NEMO ne défend pas uniquement la nature, mais s’oppose également à tout ce qui relève de l’impact visuel sur l’activité touristique. Dans le projet initial Sud-Atlantique, on était sur une distance de 10 à 30 km des côtes [ndlr : contre entre 30 et 40 aujourd’hui] – un suicide, en termes de visibilité du paysage. C’est un impact que l’on va pouvoir mesurer au niveau du tourisme et de l’immobilier, mais il y a aussi tout un pan de l’économie et de la culture locale qui n’est pas quantifiable. Quand on parle de développement durable à l’échelle nationale, on se contente de regarder ce que l’on produit : le PIB, sans avoir de notion de croissance durable ou de ce qui est bénéfique pour la population.

Il faut bien comprendre qu’Oléron n’est pas un territoire à vocation industrielle comme peut l’être le chantier de Saint-Nazaire. Quand on regarde les entreprises qui se créent sur l’île, on observe une forte dynamique au niveau du logement, du tourisme et de l’artisanat qui sont les trois composantes principales du territoire, essentiellement inscrites dans des dynamiques durables et vertes. Il n’y a pas de besoin économique de création d’emploi qui pourrait justifier que des projets éoliens viennent s’implanter sur ce territoire, qui vit déjà de façon déjà très sobre.

Le gouvernement a-t-il fait preuve d’assez de transparence sur l’évolution du projet et ses impacts ?

NS : Tout d’abord, la chronologie pose question : les études d’impact sont menées après la prise de décision de construction du projet éolien. Si la première mouture était estimée à 2 milliards d’euros, l’ajout d’une seconde tranche porte le coût du projet à 3 à 6 milliards d’euros (le prix d’installation au GW variant entre à 1,5 et 3 milliards). Avec un budget si conséquent en jeu, il est évident que les études d’impact se heurtent à un biais énorme. Comment pourraient-elles se permettre de revenir sur la décision initiale, au regard des sommes promises et de la part qui a déjà été dépensée ? Quand on observe la décision communiquée par l’État cet été, on voit que les études techniques et environnementales pour les zones retenues vont uniquement avoir pour but de définir ce qui peut être compensé, légèrement réduit ou éventuellement évité, mais sans remettre en question le projet, dont il a été acté qu’il se ferait coûte que coûte.

Le second problème concerne la réalisation même de ces études. Aujourd’hui la plupart sont menées par les opérateurs eux-mêmes, autrement dit les personnes qui sont à la tête des parcs éoliens. C’est très critique, car on ne met pas à contribution des acteurs neutres se préoccupant de la biodiversité, tels que des scientifiques ou des associations, dans l’élaboration du cahier des charges et la conduite des études.

La troisième faille réside dans la phase de concertation elle-même, la notion de débat public étant très récente et peu encadrée. On a d’abord un État qui a choisi d’accroître progressivement le projet, il est ainsi passé d’une zone éolienne de 300 km à 743 km avec l’ajout d’une seconde tranche, et sans réelle concertation. La nouvelle zone éolienne n’a pas été évoquée dans le débat public, et il n’est pas pour autant prévu de faire de nouveau appel à la Commission nationale du débat public (CNDP) pour organiser une concertation supplémentaire. C’est pourquoi le collectif NEMO milite en faveur de la mise en place d’un second débat public, pour traiter les enjeux de cet espace inédit.


Propos recueillis par : Hildegard Leloué
Photos : Collectif NEMO / Nicolas Sinodinos

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