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L’école sans les murs

par | 14 janvier 2021


Faire classe dehors ? Un sujet récurrent depuis le premier confinement. La crise sanitaire a donné un coup d’éclairage à des démarches déjà initiées depuis plusieurs années, tout particulièrement sur le territoire de l’ex Poitou-Charentes qui est pionnier dans le domaine. Une recherche-action participative est actuellement menée dans plusieurs établissements, dont l’école du Jardin à Grandir au Petit Bois Brault, lieu-dit de Champagné Saint-Hilaire (86).


Instruisons-nous, dans les bois

Au Petit Bois Brault, nichée dans une clairière, l’école du Jardin à Grandir sort des murs capitonnés de sa yourte tous les mardis pour investir la forêt voisine. «Nous faisons l’école dehors quelle que soit la météo, raconte Clémence Dujour, l’éducatrice. L’essentiel est que les enfants soient correctement habillés. L’été on est au frais. Quand il pleut, on accroche une bâche dans les arbres. Ce sont même des moments privilégiés, avec une atmosphère particulière. Quand il fait froid, il suffit d’être bien couvert. La seule limite c’est l’alerte météo en cas d’orage ou de tempête!» L’accueil des huit enfants (de 3 à 8 ans) se fait directement dans la forêt, où chacun rejoint sa palette de bois recouverte d’une couverture, le temps de participer aux « rituels de début de journée ». S’ensuit un moment de jeux libres, la construction de cabanes, des courses poursuites, des trouvailles… puis tout le monde se retrouve pour la tisane et la collation. En deuxième partie de matinée, Clémence Dujour propose des activités liées à la nature : rechercher le pic-vert, se servir d’une boussole, reconnaître les arbres, créer un abécédaire avec des éléments de la nature… Les enfants sont libres ou non de participer. Parfois, un intervenant extérieur, comme ce voisin botaniste ou ce papa passionné d’oiseaux, est invité et répond aux interrogations des enfants : « De quel oiseau vient cet œuf blanc trouvé dans la forêt? »
Après le déjeuner, les plus petits rejoignent la yourte pour la sieste tandis que les plus grands poursuivent les activités du matin, au cœur de la nature.

«L’envie de faire école dehors existait dès la création de l’école en 2018. Pour découvrir notre environnement proche, pour le sentir, l’écouter, l’observer, le toucher…le comprendre et le protéger. Au départ, c’était une demi-journée, à la belle saison. Et puis après le confinement en mai 2020, nous avons repris uniquement en extérieur en raison du contexte sanitaire. Cette année, c’est une journée par semaine. Et les enfants en redemandent.»

Clémence Dujour, éducatrice de l’école du Jardin à grandir.

L’un des enfants, en rupture scolaire, a même accepté de reprendre le chemin de l’école grâce à la motivation que lui donnait cette journée en plein air. Cinq enfants supplémentaires sont inscrits pour le début de l’année et une liste d’attente est en place pour la rentrée prochaine.

L’effet de nature

Santé, augmentation de l’immunité, bien-être psychologique, baisse du stress… les vertus du lien avec la nature sur les vies humaines n’en finissent pas d’être décrites. Les instituteurs qui pratiquent régulièrement observent des effets bénéfiques sur la motricité, mais aussi sur les compétences sociales comme la coopération, l’entraide et le développement de l’empathie. Sylvie Houtte, ingénieure d’études au CNRS spécialiste des conditions de reconnexion de l’homme à la nature, ajoute : « On observe un effet de la nature sur l’enfant, même simplement avec des arbres derrière la fenêtre de la classe plutôt qu’un mur. Il agit sur les résultats scolaires mais aussi sur le climat dans la classe. Et ce qui est très intéressant c’est que cet effet de la nature est indépendant des facteurs socioculturels, il gomme en quelque sorte les classes sociales. »

Crystèle Ferjou, une pionnière

Initiatrice du mouvement en France, l’ancienne institutrice Crystèle Ferjou a commencé ses expériences d’école dehors dès 2010 lorsqu’elle enseignait dans l’école maternelle de Pompaire dans les Deux-Sèvres. «J’avais lu un article dans une revue belge sur ce sujet, j’ai réfléchi un an puis je me suis lancée. J’ai demandé aux parents des maternelles de fournir une paire de bottes, un pantalon et un blouson imperméables et puis nous sommes sortis, une demi-journée par semaineTrès vite, la maîtresse remarque que les enfants jouent en autonomie, font attention aux autres et à la nature, enrichissent leur vocabulaire. Ils ont plus conscience des sensations liées aux éléments naturels, le chaud, le froid, le mouillé… une mobilisation sensorielle propre à construire “un rapport vrai au corps”. Maintenant conseillère pédagogique dans les Deux-Sèvres, elle anime avec le Graine Poitou-Charentes des ateliers de formation pour les enseignants. La demande est grande. Ils sont 400 dans l’académie de Poitiers à y avoir participé depuis 2017. Au départ, ces ateliers étaient réalisés en dehors du temps professionnel, mais depuis la rentrée 2020 ils sont intégrés au plan de formation des enseignants. La preuve de l’intérêt de l’institution pour ces pratiques.

La tenue imperméable, fourniture indispensable pour l’école dehors

Grandir avec la nature : une recherche-action participative

Portée par le réseau national École et Nature, une recherche-action participative est en cours depuis 2018, sur le thème « Grandir avec la nature ». Elle est coordonnée localement par Alexiane Spanu du Graine Poitou-Charentes et par Crystèle Ferjou. Toutes deux accompagnent 16 enseignants volontaires (15 femmes et un homme) des Deux-Sèvres, de la Vienne et des deux Charentes. Tous planchent spécifiquement sur des questions liées à l’école dehors. Depuis quelques mois, Aurélie Zwang, chercheuse au Lirdef (Laboratoire interdisciplinaire de recherche en didactique éducation et formation) à l’Université de Montpellier complète l’équipe pour apporter des outils méthodologiques. « La recherche-action inverse les processus habituels de recherche, explique Crystèle Ferjou. On construit ensemble, chacun chemine de son côté puis partage son expérience. Notre rôle est simplement d’accompagner. Les conclusions seront faites par les participants eux-mêmes. »

Pour la recherche-action, le Jardin à grandir a choisi de travailler sur l’accueil d’un nouvel enfant par la pratique de l’école dehors

Chaque enseignant a choisi une question de recherche, en fonction de sa pratique et de son intérêt : « Comparer l’agitation des enfants entre la classe dedans et la classe dehors », « En quoi la fréquentation régulière d’un espace naturel favorise-t-il les interactions entre enfants ? » ou bien « La classe dehors permet-elle aux enfants de tisser un lien affectif avec la nature ? ». À l’école du Jardin à Grandir, Clémence Dujour a choisi de travailler sur le thème suivant : « Quel rôle la pratique de l’école dehors a t-elle sur l’accueil d’un nouvel enfant dans l’école ? ». Son interrogation est partie d’une supposition : « J’imaginais que les échanges entre enfants dehors étaient différents de ceux de l’intérieur. Je voulais observer en quoi, et ce que cela développe dans leurs relations. Faire connaissance est-il facilité par le fait d’être à l’extérieur ? » L’éducatrice attend avec impatience la rencontre régionale de tous les acteurs, en avril 2021. Mais déjà, les échanges via mails, padlets et visioconférences permettent le partage d’expériences. « Ce croisement des regards est presque magique, s’enthousiasme Alexiane Spanu. C’est un vrai travail de partenariat et d’analyse de la pratique. » Tout cela dans le but de faire évoluer les pratiques pédagogiques.


Rédaction et photo : Claire Marquis

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