À l’ère de l’effondrement de la biodiversité, la filière du documentaire animalier continue d’attirer de nouveaux talents. Depuis 2004, l’Institut francophone de formation au cinéma animalier (IFFCAM) de Ménigoute, dans les Deux-Sèvres, forme une trentaine d’étudiant·es sur deux ans. Un cursus public et unique en Europe.
La nuit tombe sur les rues de Poitiers. En marge du ballet des éclairages nocturnes, toute une faune urbaine, composée d’insectes, de chauve-souris et de chats reprend du terrain, au creux des heures sombres. « Je veux sublimer ce que je dénonce, » explicite Basile Kramer, après avoir présenté aux autres étudiant·es et à ses encadrants son ébauche de court-métrage sur la pollution lumineuse et son impact sur la vie animale.
Au même titre que ses 14 camarades de promotion, dont les âges varient entre 21 et 29 ans, le jeune homme est étudiant en première année à l’IFFCAM, l’Institut francophone de formation au cinéma de Ménigoute (79). Après deux mois de tournage intense, toutes et tous se retrouvent en salle de projection pour faire le point sur leurs travaux respectifs, recevoir les derniers conseils et orientations à même de les faire progresser vers une œuvre plus complète. L’objectif : parvenir à la réalisation d’un court-métrage d’une quinzaine de minutes.
Les sujets de leurs documentaires sont hétéroclites : là où Anna Grassman s’intéresse à la représentation des corbeaux dans la mythologie nordique, Emilie Guidal a préféré adopter le point de vue subjectif d’un pigeon, dont la progression au ras du sol permet de se rendre compte de la profusion de déchets dégradant certains milieux naturels.
Un cursus unique en Europe
« Il n’existe aucune autre formation similaire sur tout le continent » précise Marie Daniel, directrice de l’IFFCAM et réalisatrice de multiples documentaires animaliers. « On trouve seulement une formation de ce type en Angleterre, en lien très étroit avec la BBC, mais dont notre institut se démarque par son caractère public » complète-t-elle.
Créé et géré par le département des Deux-Sèvres, l’IFFCAM dispense en effet un diplôme universitaire (DU) visant à transmettre, en l’espace de deux ans, l’ensemble des méthodes et techniques d’écriture et de réalisation du film documentaire animalier. Auparavant rattachée à l’Université de Poitiers, la formation dépend de celle de La Rochelle depuis 2019. L’équipe pédagogique travaille à faire évoluer le diplôme au grade de Master afin d’octroyer davantage de reconnaissance à cette formation nécessitant un Bac+3 comme condition d’entrée.
Comment expliquer ce manque de formation, dans le secteur du documentaire animalier ? « Jusqu’à présent, l’écologie n’avait pas la place qu’elle occupe aujourd’hui, explique Marie Daniel. C’est un genre qui a considérablement évolué ces 20 dernières années, surtout à partir du moment où les chaînes spécialisées s’y sont mises. » Selon elle, c’est plus précisément « l’explosion des chaînes câblées » qui a conduit au déploiement de tout ce champ professionnel.
Ouvert depuis 2004, l’institut a formé près de 200 professionnell·es en l’espace de 17 ans. « Auparavant, les réalisateurs, qui s’étaient auto-formés, venaient régulièrement solliciter le festival animalier de Ménigoute pour des conseils, » poursuit Marie Daniel, en référence au Festival international du film ornithologique (Fifo) organisé par la commune chaque année. « Le directeur du festival a pressenti un certain potentiel de dérives et entériné l’importance d’ouvrir une formation spécialisée, pour transmettre des compétences indispensables, tant au niveau éthique que technique. » Ainsi est né l’IFFCAM, qui continue d’entretenir d’étroites relations avec le festival, les étudiant·es disposant, par exemple, de trois jours dédiés à la projection de leurs travaux au cours de cet événement.
Métier passion, mais difficultés d’insertion
Concrètement, la formation consiste en un mélange de cours théoriques dispensés à la faculté (tel que du droit en lien avec l’univers du cinéma, de l’histoire de la représentation animalière, de la biologie, etc.) et d’enseignements techniques. Les cours de cadrage, de mixage, de prise de son, de techniques d’affût, entre autres formations pratiques, sont quant à eux dispensés à même l’IFFCAM.
Les débouchés se font cependant rares. « L’insertion est assez difficile et marquée par une certaine instabilité financière, nuance la directrice, il faut parfois attendre trois à quatre ans pour atteindre un SMIC, et souvent cumuler ce métier avec des boulots alimentaires, du moins au début de sa carrière. » Pour s’affranchir d’un maximum d’obstacles en matière de recrutement, la formation se veut la plus professionnalisante possible : « pendant deux ans, les étudiants recherchent des fonds pour créer leur propre film en collaboration, à l’issue de la formation. C’est un véritable projet tremplin » ajoute Marie Daniel avec animation. Les étudiant·es de la promotion précédente se sont par exemple rendus au parc national de Bardia, au Népal, pour couvrir les problématiques que soulève le rapprochement entre villages et zones naturelles.
Plusieurs talents de l’IFFCAM ont déjà émergé, à l’instar de Marie Amiguet. Cette ancienne élève de la promotion 2012-2014 a obtenu, en 2022, le César et le prix Lumières de la presse internationale du meilleur film documentaire pour La Panthère des Neiges, un long métrage co-réalisé avec Vincent Munier.
Rédaction et photos : Hildegard Leloué