Une énergie renouvelable produite et consommée localement, en circuit court, c’est le pari de Grand Châtellerault. L’électricité produite à la centrale photovoltaïque de Naintré (86) est directement affectée à des bâtiments publics du secteur. L’Agglomération est ainsi pionnière en France en matière “d’autoconsommation territoriale d’électricité”. Face à la flambée des prix de l’énergie, cette stratégie lui permet aussi de réaliser des économies. Explications de Philippe Éon, directeur des stratégies environnementales et territoriales de Grand Châtellerault.
Qu’est-ce qui a incité Grand Châtellerault à investir dans l’autoconsommation ?
Grand Châtellerault, comme les collectivités en général, s’est retrouvé dans une situation quelque peu “schizophrénique”, suite à la décentralisation des politiques énergie-climat. D’un côté, les collectivités sont obligées de consommer de l’électricité pour faire fonctionner leurs équipements. De l’autre, depuis la fin des tarifs réglementés en 2015, elles doivent aussi lancer des consultations, passer des marchés, étudier les critères d’attribution… Autrement dit, nous sommes à la fois dans une posture de client – exposé au marché et soumis à la loi des fournisseurs – mais nous devons également prendre des responsabilités, dans la mise en œuvre de politiques territoriales autour de la promotion des énergies renouvelables (EnR). Grand Châtellerault se trouvait aux deux bouts de cette chaîne, et avait donc besoin de mener une vraie réflexion sur sa consommation électrique.
En découvrant peu à peu les marchés de l’électricité, nous avons ainsi investi dans des garanties d’origine*, qui nous ont permis de couvrir 80% des besoins de l’Agglomération en EnR, en 2015. Cependant, en continuant de nous éduquer sur le sujet, nous avons pris conscience des limites de cet outil : non seulement ces garanties avaient un prix, mais elles ne garantissaient finalement pas grand-chose, puisqu’elles concernaient un volume d’électricité annuel. Or, c’est un peu trompeur, puisqu’en regardant le détail des courbes de consommation, on s’aperçoit qu’il y a des moments où on ne peut pas consommer d’énergie renouvelable, la nuit en particulier.
*Garantie d’origine : document prouvant qu’une certaine quantité d’électricité produite, injectée dans le réseau, est d’origine renouvelable. Les producteurs de cette électricité “verte” peuvent ensuite commercialiser ces garanties.
Cette remise en question a motivé l’Agglomération à contribuer à un “marché innovant”. De quoi s’agit-il ?
En 2018, Selfee, notre partenaire et fournisseur actuel, nous a proposé d’entrer dans un programme de recherche et développement sur ce qu’ils nommaient l’autoconsommation territoriale de l’électricité. C’est ce qui a suscité le lancement d’un marché innovant, pour tester ce modèle. Concrètement, il s’agit de garantir, en temps réel, l’affectation d’une production à un site de consommation. Le rôle de Selfee n’était donc plus simplement de garantir qu’un certain pourcentage d’énergie renouvelable serait injecté dans le mix énergétique commun, mais d’affecter une production d’électricité (1 GWh) à six infrastructures de l’Agglomération : la patinoire, la piscine de Lencloître, le théâtre Blossac, la pépinière d’entreprises René-Monory, le Grand Atelier et le Conservatoire Clément Janequin. En raison de leur courbe de croissance, on considère que ces sites étaient “disponibles” du point de vue de la consommation. L’enjeu était ensuite de trouver une production qui soit également disponible, pour soutenir cette courbe de croissance. C’est toute la difficulté de ce montage, qui exige de faire entrer en phase la disponibilité de la consommation et la disponibilité de la production. Problème : tous les sites de production que nous connaissions étaient déjà liés en obligations d’achat.
Notre seule solution, pour respecter le cahier des charges de ce marché innovant, était donc d’investir nous-même dans une centrale solaire pour produire de l’électricité. En six mois, il a fallu élaborer cette stratégie, convaincre les élus d’investir dans une unité de production et passer les marchés de travaux, pour retenir une entreprise capable d’installer une centrale solaire respectant nos contraintes en matière de temporalité. Nous avons commencé ces procédures en décembre 2019. Début 2020, la centrale de Naintré était en service. Selfee avait alors pour fonction de récupérer la production d’énergie de cette petite centrale – 300 MWh – et de l’affecter à notre marché de fourniture, tout en nous permettant d’en profiter à coût zéro, puisqu’il s’agissait de la nôtre. Notre partenaire fournissait le complément de 700 MWh, pour atteindre le gigawattheure prévu par le marché innovant.
En résumé, le fait de construire notre propre centrale nous a permis d’obtenir le gigawattheure garanti par Selfee pour un prix moins élevé que si nous avions tout acheté en garanties d’origine, parce que nous pouvions consommer notre propre production. La grande innovation, c’est aussi que cette centrale a été construite, installée et mise en service sans aucun dispositif de subvention publique, c’est-à-dire ni obligation d’achat, ni complément de rémunération.
Qu’est-il advenu, après cette expérimentation ?
Ce que nous avions accompli dans le cadre du marché innovant testé avec Selfee en 2020 et 2021, nous l’avons dupliqué dans notre lot circuit court, pour alimenter le marché de l’électricité sur l’ensemble de l’Agglomération, à hauteur d’environ 3,5 GWh. Cette électricité n’est pas entièrement d’origine renouvelable : on ne peut produire de l’énergie solaire que lorsqu’il y a du soleil ! À titre de comparaison, l’Agglomération (son patrimoine et ses équipements) a une consommation de 5 GWh.
Quelles économies cette boucle d’autoconsommation a-t-elle permis de réaliser ?
Même si l’électricité que notre centrale génère nous appartient, le MWh produit a quand même un coût, en termes d’investissement : 66 euros environ, pour un plan de financement sur 20 ans. En 2019, quand nous avons lancé le projet, le MWh s’acquérait au prix de 50 euros sur les marchés classiques, soit à peine moins que le coût du MWh que nous facturait Selfee avec notre petite centrale. Et puis, en 2022, vous connaissez l’histoire : le marché a commencé à s’affoler, et le prix du MWh est passé de 50 à 180 ou 200 euros environ. C’est là que notre petite production s’est révélée particulièrement intéressante, et que les 66 euros que nous avions consentis en investissement sont devenus extrêmement rentables. Notre centrale a ainsi été remboursée en trois ans.
Comment l’Agglomération envisage-t-elle de continuer à développer l’autoconsommation sur son territoire ?
Si nous nous contentons de l’énergie solaire, cela signifie que nous resterons “plafonnés” physiquement, en étant empêchés de produire de l’électricité la nuit, par exemple. Autrement dit, si nous souhaitons augmenter la part d’énergies renouvelables dans notre consommation, il faut absolument nous tourner vers d’autres filières, comme l’éolien ou l’hydroélectrique, dans l’idée de fonctionner en cogénération. Nous sommes donc en discussion avec des développeurs éoliens mais le sujet est complexe, cette source d’énergie étant bien moins facilement acceptée que le photovoltaïque. À court terme, notre orientation est alors de développer notre portefeuille dédié au solaire, en particulier pour la Ville de Châtellerault, qui ne dispose pas encore de production propre qu’elle aurait financée elle-même, comme c’est le cas de l’Agglomération via la centrale de Naintré. Nous avons déjà acquis des parcelles de foncier, sur lesquelles nous pourrions éventuellement financer un outil de production pour la Ville.
L’étape suivante serait de faire profiter de ces solutions d’autoconsommation aux territoires, et en particulier aux entreprises. Depuis le dernier trimestre 2022, nous coordonnons ainsi une opération d’auto-consommation collective avec des entreprises pour essayer d’explorer d’autres modèles, en partenariat avec Sergies, la filiale de production d’EnR sur le territoire du syndicat Énergies Vienne. En effet, nous avons pour ambition de créer une sorte de laboratoire des modèles d’autoconsommation possibles sur le territoire châtelleraudais, en expérimentant des modèles sur plusieurs sites, et avec d’autres consommateurs que la Ville et l’Agglomération.
Il est encore difficile d’estimer quelle proportion d’énergie photovoltaïque sera valorisée dans le cadre de cette opération, mais au-delà du chiffre, ce qui est intéressant, c’est la dynamique sociale que cela provoque. Depuis un an, il est question d’électricité dans l’économie locale, le fonctionnement et le budget de la collectivité. Du côté de la recherche, nous travaillons à créer une “chaire énergie” avec l’Université de Poitiers et la Région Nouvelle-Aquitaine, qui serait le pendant universitaire de tout ce qui se passe sur le terrain, en matière d’exploration et d’expérimentation sur la production ainsi que la consommation d’électricité et d’énergie, plus globalement. Même s’il est malheureux que cela se fasse sous l’effet d’une crise, la question énergétique est désormais au cœur du développement territorial.
Propos recueillis par : Hildegard Leloué
Photos : Philippe EON / Grand Châtellerault // Virginie Colin-Cadu