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Boisguérin, un tiers-lieu pour faire société en ruralité

par | 7 février 2023

Tiers-lieu Boisguérin, faire société en ruralité

Préserver et réveiller la vie. En pleine campagne deux-sévrienne trône Boisguérin, un tiers-lieu de 220 hectares de terres, de bois et de bâti. En 2019, une quarantaine de coopérateur·ices se sont réuni·es pour faire revivre cette ruine des XIXᵉ et XXᵉ siècles. L’intention : créer un lieu de vie, de travail et d’apprentissage respectueux de l’homme, de la nature et du patrimoine. Photoreportage à Souvigné (79), entre et hors les murs de ce projet atypique, venu se doter d’un bar associatif cet automne.


C’est le lieu qui nous a inspiré le projet, et non l’inverse”, expose Jinane Prestat, membre fondatrice de Boisguérin, son regard pétillant porté sur la maison de gîtes en devenir. La traductrice juridique fait partie de la quarantaine de coopérateur·ices à avoir investi dans la Société Coopérative d’Intérêt Collectif (SCIC) qui coordonne la gestion du tiers-lieu. Tout le bâti était en ruine, lorsqu’un coup de cœur les pousse à l’acquisition, en 2019.
Découvrir cet endroit tout droit sorti des XIX et XXᵉ siècles nous a donné envie de le faire revivre d’une façon qui sorte de l’agriculture conventionnelle”, poursuit-elle avec chaleur. Féru·es lecteur·ices des penseurs de l’économie sociale du XIXᵉ, le groupe fondateur cherche aussi à faire de Boisguérin une alternative plus juste et équilibrée au système capitaliste, sans le désavouer totalement. Une envie qui se matérialise par un foisonnement de projets autour de la culture des terres, la rénovation du bâti, le développement de lieux d’accueil et un panel de formations engagées.

Tiers-lieu Boisguérin, faire société en ruralité - portrait de Jinane Prestat
Jinane Prestat travaille actuellement en étude notariale, mais songe à se consacrer à temps-plein à la gestion de Boisguérin

Faire rimer ruralité et agriculture raisonnée

Ceux qui nous nourrissent sont aussi ceux qui travaillent souvent dans les structures les plus précaires”, souligne la co-fondatrice, cheminant en direction des cultures jouxtant l’ancienne orangerie. C’est la raison pour laquelle Boisguérin salarie deux maraîchers, plutôt que de faire appel à eux sous un statut d’indépendant. “C’est une chance d’avoir un site comme ça, d’être responsable de ce que l’on fait, relate Stephane, qui a rejoint l’expérimentation depuis un an. Bien sûr, on a des objectifs à atteindre, mais on est libre de gérer notre temps comme on le souhaite, sans patron derrière le dos”. Lui et son collègue Gérald commercialisent leurs produits bio en circuit court, sur des marchés du département ou en vente directe au tiers-lieu, chaque samedi matin. Outre les légumes, on y trouve aussi des poulets élevés à la ferme, des œufs frais et du miel bio.

Tiers-lieu Boisguérin, faire société en ruralité
Tiers-lieu Boisguérin, faire société en ruralité

De même, le travail de la terre s’inscrit dans une certaine philosophie : le sol n’est pas seulement considéré comme un support de cultures, mais en tant qu’être vivant complexe, dont il faut veiller à la santé. Ce respect de l’écosystème nourricier se manifeste notamment par la plantation d’arbres et de haies sur les parcelles (selon le principe d’agroforesterie), par la création d’un programme d’inventaire des arbres mené en partenariat avec Prom’Haies, association ayant également participé à organiser un atelier “verger et arboriculture” sur le site. Cette éthique en matière de gestion de l’environnement permet au tiers-lieu de s’inscrire dans Néo Terra, la feuille de route régionale qui fixe des ambitions en matière de transition agroécologique et de préservation, que ce soit de la biodiversité ou des terres agricoles et forestières. “La fenêtre des possibles qu’ouvre Boisguérin est tout simplement inimaginable”, résume Gérald autour d’un café fumant, en pause après une matinée de maraîchage. “Le mot qui me vient en tête pour décrire ce projet c’est “avenir” ; Boisguérin c’est un modèle qui gagnerait à être répliqué dans le futur, qui pourrait avoir un impact énorme.

Un espace de vie et d’apprentissage

“Nous ne sommes rien sans les autres. Et puis, chercher à être dans l’auto-suffisance privée sur 200 hectares, cela n’aurait aucun sens”

Jinane Prestat, membre fondatrice de Boisguérin en charge de l’administration du tiers-lieu.

Boisguérin n’a pas vocation à être un lieu de jouissance privé, uniquement accessible à ses coopérateur·ices. Si le public peut déjà découvrir cet écrin de nature tous les samedis, le tiers-lieu a pour ambition d’ouvrir plus largement ses portes. Il souhaite tout d’abord développer l’agritourisme, grâce à son offre de gîtes en éco-construction, dont l’ouverture est prévue pour juin 2023. “Les maraîchers vont créer un potager, pour permettre aux visiteurs d’expérimenter le plaisir de cuisiner des légumes du jardin”, détaille Jinane Prestat en désignant un lopin de terre près de la bâtisse en travaux. “Au Liban, dont je suis originaire, on a l’habitude de voir et de consommer des produits sous leur forme brute en pleine rue, cela fait partie de l’éducation alimentaire. C’est quelque chose qui manque en France”, développe-t-elle dans un sourire. “Il y a quelques générations, on apprenait encore à l’école à faire de la pâte brisée, et puis l’éducation s’est focalisée uniquement sur le mental”. Grâce à des ateliers de cuisine, Boisguérin souhaite donc permettre à ses visiteur·euses de retrouver une expérience sensible de la nature et de ses productions. L’intelligence du vivant.

Tiers-lieu Boisguérin, faire société en ruralité
Tiers-lieu Boisguérin, faire société en ruralité

Le tiers-lieu participe également à une forme d’éducation populaire, en permettant à des scouts de venir dresser leur campement, un dimanche par mois, dans le domaine forestier. L’association La Bêta-Pi organise aussi des séjours de vacances à destination des jeunes publics, avec des activités principalement axées autour des techniques et des sciences de l’environnement, sur un ancien terrain de tennis du domaine. Virées en nature ne riment pas pour autant avec autarcie : les enfants ont déjà participé à des sessions de plantations, et ont même été les premiers clients de la production maraîchère du site, à l’été 2021. “On réfléchit à développer davantage d’activités de pédagogie en nature”, explique Jinane Prestat, à l’orée du bois peuplé de chênes, d’acacias et d’érables.

Tiers-lieu Boisguérin, faire société en ruralité
Boisguérin se veut un tiers-lieu convivial. Une ambition qui s’exprime notamment par la création d’un bar, venu s’ajouter au café associatif fin septembre, pour proposer des bières artisanales bios et locales

Respect et valorisation du patrimoine

Ici on arrive à La Grande Maison, une demeure un peu à la Mansfield Park de Jane Austen, qui a servi de refuge pendant les deux guerres mondiales”, présente la co-fondatrice du tiers-lieu, une once d’émerveillement dans la voix. La bâtisse aux dimensions impressionnantes sera rénovée pour servir de lieu d’accueil à des séminaires d’entreprise et autres journées de cohésion. L’objectif : proposer un espace de travail partagé en pleine campagne, alors que la plupart se situent en milieu urbain. La rénovation sera effectuée au plus proche de l’état d’origine, afin de respecter et mettre en valeur le passé du lieu. Une histoire que Jinane Prestat explore dans les archives, retrouvées intactes dans la maison. “La famille qui y habitait ne jetait rien. On retrouve des documents qui retracent la gestion du domaine, témoignent de leur regard sur l’arrivée des engrais… On découvre l’Histoire par le bas.

Tiers-lieu Boisguérin, faire société en ruralité

Par ailleurs, les rénovations effectuées à Boisguérin font la part belle aux matériaux naturels et locaux, parfois extraits du domaine lui-même. Pour transmettre ce savoir-faire manuel, le tiers-lieu accueille des ateliers de formations et de sensibilisation au bâti ancien. Cet artisanat est particulièrement mis à l’honneur au moment des “Festives”, une fête inspirée du château de Guédelon, visant à transformer Boisguérin en place animée du Moyen-Age, le temps d’une journée ou d’un week-end. On y retrouverait notamment un marché, des spectacles, ateliers et démonstrations d’arts artisanaux, comme la taille de pierre ou le travail du bois. Une première édition a eu lieu l’année passée.

Trois ans, c’est le temps que se laissent encore les coopérateur·ices, pour atteindre l’équilibre financier qui leur permettra de pérenniser le tiers-lieu. De nombreux autres projets pourraient alors voir le jour, tels que la restauration du lavoir et de la pompe bélier qui alimentait tout le domaine en eau jusqu’à la fin des années 1960, ou encore la création “d’une grande ferme, comme dans le temps, où l’on mutualiserait les équipements”, évoque Gérald. ”Ce n’est pas possible, que ce soit impossible”, synthétise-t-il, confiant.


Rédaction et photos : Hildegard Leloué

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