En France, 85% des fleurs coupées que l’on trouve dans le commerce sont importées, acheminées pour la plupart de l’autre bout de la planète. Dans un esprit “slow flower”, Floricotte a ouvert au printemps, à Geay (17), un chantier d’insertion pour une production horticole locale et biologique. Un tremplin pour les sept salarié·es de l’association.
Des fleurs par milliers panachent la terre craquelée, assoiffée par un été trop sec. Sous un grand tunnel, les lisianthus chauffent sous un soleil écrasant. Incontournables des bouquets de fête, ces fleurs se portent ici à merveille, déclinées dans des tonalités de jaune, rose et blanc. Juste à côté, les œillets de poète sont bien ouverts, il y a aussi des tournesols, des marguerites, des scabieuses… « Nous cultivons une soixantaine d’espèces différentes. Notre objectif est de remettre en production de la fleur française alors que 85% viennent actuellement de l’étranger. Il reste moins de 400 exploitations horticoles de fleurs coupées dans notre pays, il y a un savoir-faire qui se perd. Nous travaillons dans un esprit ‘‘slow flower’’, qui entend appliquer aux fleurs les notions d’éthique, de proximité et d’écologie » explique Lolita Enselme, directrice de l’association Floricotte.
L’exploitation s’étend sur 5 000 mètres carrés – dont 1500 de surface utile, camouflée derrière l’aire d’autoroute des Oiseaux, entre Rochefort et Saintes (Charente-Maritime). Un poumon vert insoupçonné, avec un corps de ferme plein de cachet. Cet ancien musée ornithologique, dont Vinci était concessionnaire avec l’État, est devenu en avril dernier un atelier et chantier d’insertion en horticulture biologique et bouquetterie. Floricotte a germé dans l’esprit de Lolita Enselme, qui bénéficie d’une expérience d’encadrante en chantier d’insertion en région parisienne et d’ingénieure en production végétale. Combo gagnant pour créer cette ferme florale aux vertus sociales.
Slow flower et circuit court à Floricotte
Le 1er avril, sept personnes ont signé un CDDI (Contrat à durée déterminée d’insertion) d’ouvrier·ère horticole et/ou assistant·e fleuriste, d’une durée de six mois. Il peut être renouvelé jusqu’à deux ans. Deux encadrants ont également été recrutés, jonglant avec le suivi des cultures. La parité est volontairement respectée, il y a autant d’hommes que de femmes. Toutes et tous ont connu des difficultés, avec des passages par des périodes de chômage ou de RSA. Aujourd’hui, ils et elles s’évertuent à reconstruire une expérience professionnelle plus apaisée au sein du premier chantier d’insertion en floriculture de Nouvelle-Aquitaine. Et le travail ne manque pas. Du semis à la récolte en passant par le repiquage, les salarié·es interviennent sur chaque étape de la chaîne de production des fleurs coupées. De la graine au bouquet, tout est maîtrisé sur place.
Les compositions sont ensuite vendues en circuit court, notamment en magasin bio à Rochefort, Saintes, Royan et Saint-Jean-d’Angély, mais également à des fleuristes des alentours. « Nous sommes également sollicités pour de l’événementiel, par exemple par des entreprises ou pour des mariages » précise Lolita Enselme. Pour compléter son activité florale, Floricotte commercialise également des plants d’aromatiques.
Dans un esprit slow flower, le chantier d’insertion cultive des fleurs locales, vendues en circuit court
“J’aimerais rester ici jusqu’à ma retraite, dans deux ans”
Cet après-midi du mois d’août, Pascal, 59 ans, est affairé à la pépinière, un grand coin d’ombre au pied des arbres de la ferme. Plantes bisannuelles, aromatiques et vivaces y font un séjour avant d’être repiquées en pleine terre. L’homme arrose, bichonne, et affiche un grand sourire quand il s’agit de parler de ses protégées. « Ce qui me plait le plus, c’est la communication avec les fleurs. J’aimerais rester ici jusqu’à ma retraite, dans deux ans. Je pense être un bon élément même si je ne me dis pas parfait » s’amuse cet ancien chômeur. C’est Pôle Emploi qui l’a orienté ici. « C’est bien mieux que leurs autres propositions de maçon ou tailleur de pierre. J’ai fait des études d’horticulture en région parisienne, chez les Apprentis d’Auteuil. Je voulais continuer dans cette voie » confie ce Saintais, qui vit à 25 km de Geay.
L’ambition de Floricotte est aussi d’être un acteur local. Dans cette commune classée Zone rurale à revitaliser (ZRR), l’objectif est « de toucher les habitants du secteur ». D’abord en leur vendant des bouquets locaux et bio, mais aussi en proposant des ateliers en art floral sur place et dans des écoles ou des Ehpad (Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes). « Ce sera un moyen de transmettre notre savoir-faire, de tisser des liens. Pour le moment, nous avons de bons retours sur nos bouquets, même si nous produisons de petits volumes » affirme Lolita Enselme. D’ores et déjà, l’exploitation horticole cherche à s’agrandir. Une parcelle supplémentaire vient d’être trouvée à Saint-Porchaire, à 6 km.
Fleurs séchées au grenier
Pour son démarrage et son développement, l’association a bénéficié d’aides de l’État, du Département de Charente-Maritime – à qui appartient le site – et de la Région Nouvelle-Aquitaine. Elle reçoit également le soutien de fondations d’entreprises. Pour espérer étoffer leurs ventes, les encadrants envisagent de produire et commercialiser des fleurs séchées. « C’était tombé en désuétude mais ça revient à la mode, il y a un regain d’intérêt et c’est relativement facile à faire. Cela nous permettrait d’en vendre l’hiver, par exemple pour Noël. Car en fleurs coupées fraîches, le gros de la récolte se situe entre le mois d’août et début novembre, au mieux. Ce serait une manière d’élargir notre saison » détaille la directrice.
Dans le grenier d’un bâtiment, un séchoir a été installé. Au rez-de-chaussée, l’équipe repique quantité de petits pots. Sur une grande table, des fleurs attendent leur mise en bouquet. Mallory, 47 ans, note méticuleusement sur un cahier la date, la quantité, le nom de la plante. Bénéficiaire du RSA après de nombreux petits boulots, son référent lui a proposé plusieurs chantiers d’insertion. « J’ai choisi celui-ci car c’était le plus près de chez moi et je n’ai pas le permis de conduire. Mon mari est horticulteur de métier, je ne suis pas complètement perdue. Ça se passe bien ! On apprend des nouvelles choses, et j’ai fait mes premières compositions florales pour un mariage » raconte-t-elle. Mallory voit ce CDD comme un « tremplin » qui lui permet de remettre le pied à l’étrier et de passer son permis de conduire. La graine de la réinsertion a germé.
Rédaction : Amélia Blanchot
Photos : Hildegard Leloué