Avec une centaine d’artistes et plus de 10 000 festivalier·ères, l’éco-festival Notes en Vert va lancer sa onzième édition. Elle se tiendra du 24 au 26 juin à Périgny (17). L’événement, comme tout festival d’ampleur, pose de véritables défis en matière d’écologie. MondOmélodie, l’association productrice, est particulièrement engagée dans la préservation de l’environnement : en plus de penser cette manifestation culturelle pour avoir un minimum d’impact, elle opère un travail de sensibilisation approfondi auprès des festivalier·ères et des artistes. Explications avec Anaïs Foucher, administratrice de production.
Quels engagements concrets prenez-vous en faveur de l’écologie ?
Déjà, nous estimons que créer uniquement une « brigade verte » de bénévoles engagés sur les questions écologiques au sein d’un festival ne suffit pas, car nous n’avons pas forcément l’expertise nécessaire pour traiter chaque enjeu dans toutes ses dimensions. Nous faisons donc appel à différents réseaux. Nous avons par exemple décidé de supprimer totalement l’usage du plastique sur le site et opérons cette transition grâce à l’accompagnement du réseau Drastic On Plastic qui a élaboré une charte d’utilisation du plastique dans le domaine de l’événementiel. La vente de bouteilles plastiques a ainsi été remplacée par la mise à disposition de fontaines à eau en accès libre et gratuit, utilisables via des écocups. Toujours dans la thématique de l’eau, l’installation de toilettes sèches a été notre première action pour limiter le gaspillage d’eau potable, qui s’élève à 9 litres en moyenne par chasse d’eau. La société Biotop revalorise ensuite ces déchets organiques pour fournir du compost aux agriculteurs.
Nous travaillons également avec Aremacs qui est spécialisée dans la gestion, le tri et la valorisation des déchets dans le secteur culturel et les évènements accueillant du public. Cette association s’assure de la propreté du site, de la justesse du tri des déchets effectué pour, in fine, dresser un bilan de ce qui aura pu être valorisé ou non, tout en proposant des axes d’amélioration.
En parallèle, l’espace de restauration des artistes, des techniciens et des bénévoles n’utilise que de la vaisselle en dur. Du côté des restaurateurs et des exposants, nous leur avons fait signer une charte qui les engage à ne proposer que des produits bios et/ou locaux, servis dans des contenants bénéficiant du label « ok compost« .
En termes de mobilité, les véhicules que nous allons utiliser pour les déplacements des artistes ou aller chercher de l’alimentaire auprès des fournisseurs seront des véhicules hybrides. En termes de signalétique, de scénographie et de décors, tout a été entièrement confectionné à partir de matériaux de récupération, tels que des chutes de bois ou de tissus donnés par les bénévoles.
Un axe fort de Notes en Vert, c’est également de sensibiliser les festivaliers à l’écologie ?
Tout à fait, la cinquantaine d’animations proposée dans le cadre du Village des animations – à l’exception des animations sport et bien-être – sera justement axée autour de la sensibilisation à l’environnement. L’enjeu n’est pas que des ONG se servent de ces stands pour faire de la publicité, mais plutôt qu’elles proposent une véritable animation ludique pour tous les âges. Cette année, le thème qui unira toutes ces animations est celui des « mystères du végétal. » En 2021, c’était par exemple le thème du « zéro-déchet. »
Vous effectuez aussi tout un travail de sensibilisation auprès des artistes, comment procédez-vous ?
La sensibilisation des artistes à des pratiques plus écologiques se fait en amont du festival, mais également sur place, avec les volontaires en service civique qui préparent leur accueil. Sur site, ce sont les responsables des loges et de la restauration qui sont chargés de répondre à leurs besoins. À Notes en Vert, nous travaillons justement sur ces besoins, en cherchant à accueillir les artistes d’une façon à la fois qualitative et responsable, sans tomber dans l’opulence que l’on peut vite trouver dans le secteur de la culture en général.
Au niveau des collations, nous sensibilisons par exemple les artistes sur les snacks qu’ils seront susceptibles de demander en loges, pour éviter que des quantités astronomiques ne soient commandées et ne génèrent du gaspillage alimentaire par la suite. Du côté du logement, nous leur expliquons qu’un hôtel est disponible sur la commune pour les héberger, leur évitant ainsi d’avoir à parcourir des dizaines de kilomètres. En ce qui concerne les spectacles en eux-mêmes, nous encourageons l’utilisation de technologies moins énergivores comme les ampoules LED ou encore des éléments scénographiques plus sobres, mais avons encore beaucoup de chemin à faire dans ce domaine.
Rencontrez-vous des réticences de la part de certains artistes ?
Le contact se passe généralement très bien avec les artistes, mais nous avons aussi, parfois, certains groupes habitués à être accueillis en festivals dans des conditions d’abondance ; cela nécessite de trouver des compromis. Il ne faut pas être pressé dans ce domaine : tout se fait doucement, auprès des productions comme des artistes ; on ne changera pas le monde du festival en un claquement de doigt.
Derrière un artiste, il y a toute une boîte de production. Or, nous ne pouvons pas imposer à une équipe de 20 personnes de toutes venir avec leurs gourdes. Nous allons plutôt commencer par leur demander si cela est possible pour eux et si cela ne leur convient pas, proposer l’alternative des écocups. Certains artistes refusent occasionnellement, alors il faut effectivement revenir à la bouteille plastique le temps du concert – mais il s’agit d’une minorité de cas. En ce qui concerne les gourdes, c’est la première année où 99,9% des artistes et de l’équipe technique ont accepté de venir avec la leur. Nous n’avons qu’une dizaine de bouteilles en plastiques à acheter.
Ensuite, il y a la dimension « spectaculaire » du concert qui pourrait être améliorée. Même si un grand pas a été fait dans les équipements techniques, énormément d’équipements étant passés aux ampoules LED, l’ensemble reste très énergivore. Les musiciens arrivent avec ce qu’on appelle un « plan de feu, » c’est-à-dire la chorégraphie de leurs lumières pour le show – tout cela a un impact non négligeable en termes de consommation. Il nous semble néanmoins important de conserver l’aspect magique du concert, sans sacrifier ces éléments qui permettent de s’immerger dans un univers à part entière.
Au niveau de l’hébergement, enfin, nous avons certains artistes qui tentent de négocier pour être reçus dans des hôtels plus étoilés, mais aussi plus éloignés, que dans celui de la commune. Nous cherchons le plus possible à trouver un terrain d’entente au travers de la discussion, mais cela n’est pas toujours possible.
Comment envisagez-vous la poursuite de ce travail de sensibilisation des artistes ?
De la même manière qu’une charte régit notre coopération avec les restaurateurs et les exposants du festival, nous réfléchissons à mutualiser une forme de charte d’accueil éco-responsable qui engagerait également les artistes. Toutefois, cette charte serait pour le moment difficile à mettre en place, puisque nous faisons signer les artistes très en amont du festival, il est alors trop tôt pour négocier les conditions d’accueil – la médiation se fait pour le moment en off. En tous les cas, nous observons que ces démarches visant à tendre vers davantage de sobriété suscitent de moins en moins de réticences.
Nous faisons d’ailleurs en sorte de sélectionner des artistes engagés d’un point de vue social et écologique, en plus de nous faire voyager au travers de différents horizons culturels. Cette année, nous avons par exemple programmé Mouss & Hakim, un duo très engagé, Sergent Garcia, un amoureux et passionné de la nature et de la protection de l’océan, ou encore La Rue Ketanou, des artistes très engagés dans ces thématiques, pour ne citer qu’eux. Nous allons poursuivre ce travail de réflexion en amont du festival.
Les engagements éco-responsables pris par Notes en Vert sont-ils facilement réplicables par d’autres festivals ?
Tout dépend des finances et de l’accompagnement dont on dispose. Nous faisons appel à de nombreux prestataires, par exemple l’APMAC qui vient enregistrer et analyser notre consommation énergétique à l’échelle des loges, de la buvette, etc. Cette association va se rendre sur tous les pôles de Notes en Vert pour son analyse. Cette étude de terrain a un coût, qui n’est généralement pas la priorité des festivals de musique émergents, qui se concentrent d’abord sur les conditions d’accueil des artistes et des festivaliers. Nous pouvons nous permettre ce bilan énergétique parce que la ville de Périgny nous aide à financer ce partenariat et que nous bénéficions de l’accompagnement de Léa Nature ; mais ce sont des relations de confiance qui mettent du temps à se construire. En termes d’accueil du public, il faut aussi souligner que si nous recevions trois fois plus de festivaliers qu’actuellement, cela poserait de nouveaux enjeux pour maintenir toute cette dimension éco-responsable ! Nous souhaitons que Notes en Vert reste un festival à taille humaine, mais ceux qui reçoivent beaucoup plus de public se heurtent à un défi plus conséquent pour tendre vers la sobriété.
Un éco-festival coûte donc plus cher qu’un festival classique ?
Oui, tout coûte plus cher ! Les toilettes sèches, par exemple, sont plus onéreuses qu’un groupe de sanitaires raccordé directement au réseau d’eau, parce qu’elles impliquent un travail de gestion constant pour vider les bacs. Idem pour l’alimentation, le fait de se fournir en bio et en local entraîne un surcoût par rapport à un fournisseur industriel. Après, nous économisons sur notre catering [n.d.l.r. : les repas servis aux équipes], car nous essayons de proposer une cuisine végétarienne, préparée au maximum par nous-même. De même, le fait d’utiliser en majorité des éco-bâches ou du papier recyclé pour notre signalétique et notre communication génère aussi un coût supplémentaire. Ce n’est pas une statistique précise, mais je dirais qu’organiser un éco-festival, par rapport à un festival classique, c’est accepter un investissement financier d’environ 10% supérieur.
Existe-t-il des marges de progression, du côté de Notes en Vert ?
D’abord, il faut bien saisir qu’un festival sans aucun impact sur son environnement n’existe pas. On perturbe nécessairement la vie de la faune et de la flore, ne serait-ce qu’en tondant. À partir du moment où l’on accepte que l’on va avoir un impact, on peut se demander comment on va s’améliorer, retraiter et revaloriser les déchets qui seront inévitablement produits. À titre d’exemple, en 2019, nous avons valorisé 96% de nos déchets et 94% l’année suivante.
Il y a deux gros points noirs sur lesquels nous travaillons en priorité. D’abord, la consommation énergétique, puisqu’à notre échelle et avec les ressources économiques dont nous disposons, nous n’avons pas d’autre choix que de recourir à des groupes électrogènes fonctionnant au gazole. Un second point, c’est la mobilité. Cela fait plusieurs années que nous essayons de mettre en place un partenariat avec le réseau de bus de la communauté d’agglomération, mais cela n’a pas abouti. Nous encourageons beaucoup nos festivaliers à venir à vélo ou faire du covoiturage, mais des navettes en transports en commun seraient très pratiques. Ensuite, sur le plastique, nous pouvons encore nous améliorer. Nous avons quasi totalement banni les bouteilles en plastique, mais rencontrons encore des soucis au niveau du catering, pour remplacer l’utilisation d’opercules.
Il y aussi des initiatives desquelles nous pouvons nous inspirer. Je pense par exemple au festival Boom au Portugal qui, pour respecter la faune et la flore, n’a lieu qu’une année sur deux de sorte que l’environnement qui les accueille ait le temps de se régénérer.
À une échelle plus large, comment rendre le secteur festivalier plus responsable ?
Il me semble qu’un principe clé qui gagnerait à être étendu à tout le secteur culturel, c’est la mutualisation. Il est urgent que nous nous concertions pour partager des équipements dont tout le monde a besoin. C’est notamment ce qu’ont fait les Francofolies en nous prêtant leurs fontaines à eau pour cette édition. Si les festivals locaux décidaient ensemble d’investir, par exemple, dans un bar accessible à tous plutôt que chacun achète ses matières et construise le sien, ce serait déjà une grande avancée. C’est un peu utopique : on ne peut pas tout faire main dans la main, puisque la mutualisation implique de se poser la question du stockage, du lieu et des modalités pour entreposer ce matériel… Tout cela générerait presque un emploi à part entière. En l’absence d’une telle organisation, nous nous prêtons en bonne entente les uns et les autres – mais quand ce n’est pas possible, parce que nous avons des dates de festivals très proches par exemple – nous sommes obligés de produire de notre côté. Après, toute la responsabilité ne doit pas incomber au secteur culture, la question doit aussi pouvoir être traitée par des axes institutionnels.
Il est également possible de faire appel à des acteurs de l’économie circulaire tels que La Matière, une association qui récupère des scénographies de grands défilés de mode pour les remettre en service au profit du secteur de l’évènementiel. Cela nous a permis, à Notes en Vert, de nous procurer à moindre coût des plaques de bois, une rampe de scène… Autant d’éléments qui auraient été jetés en temps normal. Il faudrait développer cet aspect encore davantage auprès de l’ensemble des festivals.
Retrouvez toutes les infos et la programmation de Notes en Vert : https://www.notesenvert.fr/
Propos recueillis par : Hildegard Leloué
Photos : Notes en Vert / Anaïs Foucher