L’arbre serait-il de retour dans le système agricole ? Pratique ancestrale, l’agroforesterie revient sur le devant de la scène depuis une vingtaine d’années. Son atout : optimiser les rendements tout en luttant contre le dérèglement climatique. Regards croisés d’agriculteurs venus partager leur expérience à l’occasion d’une journée ferme ouverte, organisée par le CIVAM Seuil du Poitou et l’association Prom’Haies
“On est sur les “terres rouges”, un sol idéal pour les châtaigniers”, désigne Samuel Fichet, technicien agroforestier à Prom’Haies, association accompagnant les projets de plantations en Nouvelle-Aquitaine. Couverts de brume, les 180 châtaigniers plantés aux abords du lycée agricole de Melle (79) dominent une parcelle en rotation entre prairie et cultures. Dans la fraîcheur automnale, un troupeau de vaches se meut paisiblement sur l’un des huit paddocks. “C’est la technique du pâturage tournant dynamique, indique l’expert, les vaches pâturent sur une parcelle différente tous les trois jours environ, de façon à améliorer la capacité productive des sols, sans besoin d’engrais supplémentaire.” En retour, le changement régulier de parcelles stimule l’appétit de la vache et son envie de brouter. Les arbres, quant à eux, offrent aux ruminantes un ombrage permanent en été, tout en protégeant du vent aussi bien les animaux que les cultures. “Ceux qui sont taillés servent de bois d’œuvre, de chauffage, ou encore de litière animale.” Le bois broyé peut également être utilisé comme engrais, afin de revitaliser le complexe des sols et les rendre plus résistants à l’érosion. Cette complémentarité entre les arbres, les cultures, les animaux et les sols constitue l’essence même de l’agroforesterie.
Agroforesterie, une agriculture durable et productive
Cette présentation effectuée, Samuel Fichet s’en retourne au lycée agricole où il est attendu, pour passer de la pratique à la théorie. Une journée de partage d’expérience a été organisée. Prom’Haies est en effet partenaire de l’établissement. La formation vise à sensibiliser la nouvelle génération d’agriculteur·ices et de technicien·nes qui s’orientent vers les métiers de l’environnement et de l’animation nature. Face à un amphithéâtre attentif, le technicien introduit :
“Il ne s’agit pas de sanctuariser l’arbre, mais de promouvoir un “arbre paysan”, un arbre qui soit auxiliaire du paysage agricole, Protéger et produire, ce sont les maîtres mots de l’agroforesterie.”
Protéger et produire, deux valeurs qui fonctionnent, pour François Michaud, gérant de la “Ferme des 1000 arbres” à Thuré (86). “Réunir les arbres et les cultures sur une même parcelle permet d’obtenir en moyenne 1,4 fois plus de production de biomasse”, affirme ce céréalier adepte du bio et du circuit court, citant une étude de l’INRA. Pratiquant l’agroforesterie depuis 2013, il aime à diversifier les espèces. “J’associe une vingtaine d’arbres différents, que je plante par séquences de trois, de façon à toujours avoir un fruitier, un forestier et un fixateur d’azote l’un à côté de l’autre.” Dans ses cultures, il conjugue également la féverole aux blés, la plante et la céréale s’offrant une protection mutuelle face aux maladies. Science des associations et bon sens paysan guident la vision que lui et ses confrères partagent de l’agroforesterie.
Lutter contre le dérèglement climatique
L’agroforesterie permet aussi de favoriser la préservation de l’environnement, en améliorant la gestion de la ressource en eau. Pour Samuel Fichet, “si un sol est bien fait, travaillé et paillé, il n’a quasiment jamais besoin d’être arrosé”. Les sols et les cultures bénéficient par ailleurs d’un phénomène dit “d’ascenseur hydraulique.” “L’arbre va chercher l’eau et les oligo-éléments en profondeur grâce à ses racines, pour les faire remonter dans les sols plus secs”, détaille Thierry Mouchard, éleveur bovin en bio à la Ferme des Solives de Granzay-Gript (79). Cet “ascenseur” permet aussi de rafraîchir l’air ambiant, les arbres faisant remonter l’eau du sol vers les feuilles, selon le principe d’évapotranspiration. En plus de préserver ses troupeaux du vent, sa plantation de peupliers, débutée en 2019, a également protégé son terrain des fortes chaleurs : “A l’automne, je vois bien que mes prairies qui ont profité de l’ombre des arbres repartent beaucoup plus vite, et avec davantage d’herbe,” rapporte-t-il avec conviction.
Un enjeu local et national
En France, 70% des haies ont été détruites depuis 1900, du fait de la modernisation des pratiques agricoles. Le département des Deux-Sèvres est sensiblement moins touché que les autres départements, bien que son bocage ait été diminué de 42% depuis le début du XXᵉ siècle. Les arbres sont pourtant essentiels, pour capter et stocker le carbone de l’atmosphère : ils constituent des puits de carbone naturels, comme le rappelle le deuxième volet du sixième rapport du GIEC, paru en février.
Au-delà de leurs vertus agricoles, les arbres possèdent aussi une valeur en eux-mêmes. “Je connais peu de gens insensibles devant un arbre,” conclut Denis Boulanger, responsable de la ferme du lycée agricole, pour conclure la session de partage d’expériences. “L’arbre peut générer des débats d’opinion – voire même des conflits – parmi les élèves, les personnes engagées ou non dans l’écologie. C’est un vecteur de communication à part entière.”
Rédaction et photos : Hildegard Leloué