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“Visières solidaires” : le Fablab et l’écosystème des Usines en action

par | 9 avril 2020


Équipés d’imprimantes 3D et de découpes laser, les makers du monde entier se mobilisent depuis le début de la crise sanitaire pour fabriquer des visières de protection permettant de limiter la propagation du Covid-19. Au Fablab des Usines à Ligugé (86), les machines tournent à nouveau à plein régime et tout l’écosystème du tiers-lieu est sur le pont. L’objectif est de produire le plus rapidement possible 10 000 visières à distribuer au CHU, dans les Ehpad, aux entreprises, aux commerçants… Trois mots d’ordre : réactivité, inventivité, coopération.


Mobilisation de collectifs “visières solidaires” locaux

C’est le 7 avril que le Fablab des Usines, à Ligugé (86), a commencé la production de ses premières visières. Nés d’un mouvement international de makers mobilisés pour pallier le manque de protection des personnes en contact avec le public, ces équipements d’un nouveau genre sont composés d’une feuille de plastique transparente au format A4 attachée à un dispositif frontal type serre-tête. Ils n’ont pas vocation à remplacer les masques chirurgicaux, mais ils offrent une solution intéressante pour se protéger des projections et éviter de se toucher le visage.
Pour coordonner leur production et leur distribution, des collectifs “visières solidaires” locaux se sont constitués spontanément sur les réseaux sociaux. Dans la Vienne, le groupe “Shields – Visiere Solidaire – Covid19 – Vienne 86”, créé le 25 mars par le collectif de la Mélusine (un tiers lieu situé à Cloué) rassemble 220 membres. Ceux-ci utilisent les plans validés par le CHU de Poitiers et se sont engagés à fournir collectivement 2000 visières à l’hôpital régional. Le collectif mobilise les makers disposant d’imprimantes 3D, sollicite particuliers, collectivités et entreprises pour des dons, organise les livraisons, centralise les commandes des demandeurs et s’assure que l’ensemble des règles sanitaires et gestes barrières sont respectés à chaque étape.

Inventer des solutions et trouver des matériaux

Les pièces du serre-tête sont fabriquées par découpe laser

C’est en tant que bénévoles que Simon Macias et Julien Rat, tous les deux techniciens au Fablab des Usines, sont entrés dans le projet. En congés depuis la fermeture de leur lieu de travail le 17 mars, les deux makers ont récupéré sur internet les plans des visières de protection pour imprimantes 3D et ont commencé la production. “Le problème, explique Simon, c’est qu’il faut entre 30 minutes et une heure pour faire un équipement avec une imprimante 3D classique. Alors on a cherché des solutions qui nous permettraient d’être plus rapides, et on a ressorti la découpe laser que Julien a dans son garage.” Ils ont ensuite récupéré des plans open source pour ce type de machine, et comme tout maker, ils ont apporté leur amélioration au système. “On voulait supprimer l’élastique, c’est trop dur à trouver en ce moment. Alors on a bidouillé pour imaginer un autre système d’attache, se rapprochant de celui des lunettes de plongée, et on a trouvé une solution qui tient super bien”. Ils ont ensuite fait tester le nouveau modèle au CHU de Poitiers, qui l’a validé. Restait à trouver les matériaux. Ils ont alors fait marcher leurs réseaux personnels et professionnels. Parmi eux, le fabricant de toilettes sèches Toilettes & co à Saint-Georges-lès-Baillargeaux, pour qui le Fablab des Usines a déjà réalisé de la sous-traitance. “Sylvain Réau, son dirigeant, nous a donné les chutes de plaques de plastique qu’il utilise dans la fabrication des urinoirs. On a récupéré de quoi faire 500 visières. Et si on en a besoin, il nous mettra à disposition les plaques entières, qui ne lui servent pas en ce moment puisque sa production est stoppée. Avec son stock, on peut faire au moins 4000 visières de plus”.

La mobilisation de l’écosystème du tiers-lieu

Des plans validés, des matériaux à disposition, des moyens humains… Il ne manquait plus que la grosse découpe laser du Fablab des Usines pour lancer une production importante de visières de protection. Julien Rat et Simon Macias ont alors contacté leur employeur, AY128, qui gère le laboratoire de fabrication et anime la communauté du tiers-lieu. L’association s’est aussitôt penchée sur les conditions de réouverture partielle du Fablab, en s’appuyant sur les préconisations du réseau français des Fablabs. Parallèlement, elle a déposé un dossier auprès de la Fondation Orange afin de solliciter un financement de 5000€ pour la réalisation de 10 000 masques. “On a reçu en même temps le feu vert de l’association et l’accord de financement de la Fondation Orange. C’était mardi matin. Et le jour-même on lançait la production aux Usines, avec pour objectif la fabrication de 400 à 500 visières par jour”, s’enthousiasme Simon. L’écosystème du tiers-lieu des Usines s’est aussi rapidement mis en action. La perforeuse quatre trous pour percer les feuilles transparentes ? Prêtée par Risolution, le laboratoire de création et d’impression des Usines, de même que le massicot et les cisailles servant à découper les bandes de matériau au bon format. Les cartons pour les expéditions ? Donnés (et désinfectés) par les Pirates du Clain, brasseurs de bière. Les sachets d’emballage ? Achetés par le coiffeur d’Urban Jungle.

“C’est ce qui est génial ici aux Usines : on a au même endroit les ressources et la dynamique. Tous ceux qui vivent et travaillent dans ce lieu sont engagés dans une même volonté d’agir pour la communauté. C’est ce qui nous a permis de réagir hyper vite.”

Simon Macias, technicien du Fablab des Usines, utilise les cartons des Pirates du Clain pour préparer les expéditions des kits de visières

Un coût réduit pour des visières accessibles à tous

Cet élan de mobilisation et la réactivité du Fablab permet de réaliser rapidement des protections efficaces à coût réduit. Avec un prix de vente à prix coûtant de 2€, le Fablab espère ainsi permettre l’accès à ses visières à des catégories qui en sont privées.On a pensé aux oubliés du système, ceux qui sont en première ligne mais n’ont pas de moyens, comme par exemple les maraudes qui viennent en aide aux sans-abris, les associations qui n’ont pas accès aux masques classiques mais sont en contact avec des personnes potentiellement atteintes du Covid-19, les commerçants… On est allé donner des visières à la boulangerie et à la coop de Ligugé où on habite et travaille, du coup ça fait parler, et d’autres professions nous en demandent ! Une entreprise de transport par exemple : les chauffeurs ne supportent pas les masques classiques qui génèrent de la buée et donnent chaud. Avec les visières c’est plus confortable.” L’intention du Fablab est de fabriquer les 10 000 pièces le plus tôt possible, puisqu’elles n’auront plus d’utilité dans quelques semaines si tout se passe bien. “On ne veut pas en faire un business ! On voit plein d’entreprises qui s’attaquent au marché et proposent des équipements à des prix bien supérieurs au nôtre, entre 10 et 25€. Nous, on veut simplement faire un acte citoyen à notre mesure dans cette crise mondiale et trouver notre place dans la société. C’est ce qui nous anime à la fois en tant que maker et en tant que résident d’un tiers-lieu. On n’a aucune visée d’expansion ou de long terme sur ce produit. Quand la crise sera passée, on passera à autre chose.”


Rédaction : Virginie Colin-Cadu
Photo : Simon Macias et Julien Rat

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