Une opération à forte valeur environnementale et humaine. La coopérative d’insertion les Ateliers du Bocage (79) a lancé cette année une opération “Smartphone suspendu”. A chaque téléphone reconditionné acheté, un second est offert à une personne dans le besoin via un réseau d’associations. L’objectif est de lutter contre la fracture numérique ainsi que l’obsolescence programmée. Interview de Maëva Robin, chargée de communication aux Ateliers du Bocage.
En quoi consiste cette opération “Smartphone suspendu” ?
Depuis mai et jusqu’à décembre 2023, nous proposons à la vente des smartphones SONY Xperia X reconditionnés dans nos boutiques et sur notre site en ligne. Ils sont vendus au tarif solidaire de 60 euros au lieu de 109, avec une garantie de 12 mois. Concrètement, pour chaque téléphone acheté, nous en offrons un similaire à une personne dans le besoin. Nous nous inspirons ici de la tradition italienne du “café suspendu”, qui consiste à régler deux cafés : un pour soi, et un d’avance, qui sera offert à une personne dans le besoin qui en fera la demande.
Comment avez-vous eu l’idée de la mettre en place ?
En octobre 2022, Ecosystem, l’éco-organisme agréé par les pouvoirs publics pour le recyclage et l’allongement de la durée de vie des équipements électriques et électroniques ménagers, nous a transmis un lot de 55 000 smartphones. Une institution publique française, souhaitant rester anonyme, les leur avait déposés. En général, le taux de réemploi des portables est assez faible, mais ceux-ci étaient en si bon état que 70% du lot était réemployable, soit 40 000 modèles. D’après nos calculs, il nous aurait fallu près de dix ans pour vendre autant de téléphones. Nous avons donc cherché à élaborer une opération qui ait du sens, pour valoriser ce don massif. En effet, nous ne pouvons pas nous permettre d’attendre une décennie : il y a un enjeu de rapidité, avec l’obsolescence logicielle des téléphones, qui fait que plus le temps passe, moins ils supportent les applications. L’arrêt prochain des antennes 2G et 3G va également rendre tout un lot de smartphones obsolètes.
Comment sont distribués les téléphones aux personnes dans le besoin ?
Nous travaillons en partenariat avec Emmaüs Connect, Emmaüs Europe et Emmaüs international, des associations particulièrement engagées sur les questions de fracture numérique. En effet, nous nous sommes rendu compte qu’identifier les personnes ayant le plus besoin d’un téléphone et organiser leur remise en main propre, c’est un vrai savoir-faire ; un savoir-faire sur lequel les associations sont les plus compétentes. En effet, dans certaines situations, la rareté et le coût d’un smartphone font que des distributions sont susceptibles de tourner à l’émeute. Les associations réalisent aussi tout un travail d’accompagnement : elles peuvent guider les personnes dans l’utilisation du téléphone si besoin, leur fournir une carte SIM au prix d’un euro symbolique… Le 26 septembre, un consortium de neuf associations de terrain a par exemple été mobilisé pour distribuer 500 téléphones à des personnes en situation d’exil, à Calais. Je précise que le téléphone en question est encore un très bon modèle : il était considéré comme haut de gamme lors de sa sortie en 2016, et a été très bien accueilli par la critique pour ses performances.
Reconditionner le matériel numérique, c’est vraiment important, pour la transition écologique ?
Tout à fait, et c’est pour cela qu’il est crucial de sensibiliser au don de téléphone, et à l’achat de matériel de seconde main. D’après l’ADEME, l’agence de la transition écologique, un smartphone fait quatre fois le tour du monde avant d’atterrir entre nos mains. Pire, pour créer ce téléphone, ce sont plus de 200 kilos de matière première qui ont donc été mobilisés. Du côté de la transition sociale, cette opération a également permis de créer de l’emploi : sept postes d’opérateurs téléphoniques en CDD sur huit mois dans nos ateliers, dont la moitié sont en insertion. Avec ce principe de smartphones suspendus, on est donc sur une opération à forte valeur environnementale et humaine.
Propos recueillis par : Hildegard Leloué
Photos : Tim Fox