Data centers énergivores, atteintes à la vie privée, ciblage précis de l’utilisateur selon ses recherches … Les Gafam soulèvent des enjeux à la fois éthiques et environnementaux. Pour faciliter l’accès à une information émancipée de ces géants du web, Simon Descarpentries, ingénieur en informatique a développé Meta-Press.es. Ce moteur de recherche décentralisé permet d’explorer la presse sans intermédiaire entre les journaux et son navigateur web. Rencontre et explications depuis son entreprise située à Pougne-Hérisson (79).
Meta-Press.es se présente comme un logiciel éthique. De quoi s’agit-il ?
Meta-Press.es est une extension du navigateur web Firefox. On peut le considérer comme un fragment de logiciel qu’il est possible d’ajouter à son navigateur web pour lui donner des « super-pouvoirs ». Celui de Meta-Press.es, c’est d’être capable d’interroger plus de 378 journaux en quelques secondes pour vous rapporter tout ce qui existe, dans leur contenu, en relation avec les mots-clés de votre recherche. Concrètement, on va aller interroger la base de données de chaque journal – avec un temps similaire à celui d’un moteur de recherche habituel – pour en extraire des résultats. Par exemple, si je lance une recherche avec le mot « biodiversité », il suffit de 8 secondes pour obtenir plus de 42000 résultats, issus de 38 sources de presse différentes. La Nouvelle République indique, par exemple, posséder 10000 articles au total évoquant la biodiversité, le journal L’Avenir 7000, La Croix 5000, etc.
Comment fonctionne ce moteur de recherche ?
Meta-Press.es fonctionne comme un moteur de recherche classique. Une fois l’extension installée, le logo de Meta-Press.es apparaît dans son navigateur web. Quand on clique dessus, un nouvel onglet s’ouvre avec la fameuse barre de recherche permettant d’inscrire des mots-clés. Tout se comporte alors comme si nous étions face à un site web, sauf qu’avec cette extension, ce ne sont pas les serveurs du navigateur ou de mon entreprise qui travaillent, c’est votre ordinateur ! La recherche s’exécute directement sur votre propre machine.
Comment fait Meta-Press.es pour s’affranchir des data centers ?
Les connaissances, nous allons les chercher directement sur les sites web des journaux. Ce sont donc les serveurs des journaux qui travaillent, plutôt que ceux du moteur de recherche. Le site web du journal, c’est tout ce dont nous avons besoin pour lire l’actualité – Meta-Press.es permet de se passer de l’infrastructure de Google Actualités et ses semblables pour consulter la presse, car plus on se passe d’intermédiaires, mieux c’est.
En quoi est-ce plus écologique et éthique d’éviter de passer par un moteur de recherche traditionnel ?
Il y a d’abord un enjeu écologique à se passer de data centers : si vous allez sur Google, vous utilisez les data centers de Google. Ces derniers sont construits près du cercle polaire parce que cela aide à les rafraîchir. Il s’agit pourtant d’une gabegie énergétique terrible : on envoie toutes les données au Pôle Nord, pour que notre recherche soit traitée là-bas et que les résultats nous reviennent. La moindre requête nécessite donc d’effectuer des milliers de kilomètres, même si l’on cherche à interroger un titre de presse de proximité.
En termes d’éthique, il faut savoir aussi que ces outils-là nous enferment dans une bulle de personnalisation des résultats : ils essaient de suivre nos recherches au plus près pour ne nous afficher que ce que nous avons envie de voir. L’objectif, derrière tout cela, c’est de monétiser nos centres d’intérêt via la publicité. Par exemple, si vous faites une recherche sur des « couches pour enfants », ces moteurs continueront à vous présenter des résultats de recherches correspondantes, même si vous faites à présent une recherche sur la « couche d’ozone », puisqu’ils ont identifié qu’un autre type de couche vous intéressait à un moment donné.
Meta-Press.es, lui, ne dresse aucun profil psychologique de l’utilisateur et ne modifie pas l’affichage des résultats. Deux fois la même recherche donne deux fois les mêmes résultats, partout sur la planète.
Enfin, Google et ses concurrents ne permettent pas de travailler aussi finement sur les dates, tandis que Meta-Press.es offre la possibilité de filtrer les résultats afin de récupérer les publications d’une semaine ou d’une journée précise, par exemple. Et avec Meta-Press.es, contrairement à Google, vous connaissez également le panel de sources utilisées par le moteur de recherche.
Pourquoi Meta-Press.es se revendique-t-il comme un logiciel libre ?
Meta-Press.es respecte les quatre principes du logiciel libre. La première condition, c’est d’assurer une totale liberté d’utilisation du logiciel, qu’il soit accessible par tous et partout, sans restriction géographique.
Le deuxième critère du logiciel libre, c’est qu’il doit pouvoir être partagé. Une fois votre copie du Pack Office obtenue, vous avez beau trouver cela génial, vous ne pouvez pas le prêter à vos amis, comme on le ferait d’un bon livre.
La troisième condition du libre, c’est de donner accès au code source du logiciel, c’est-à-dire de montrer en toute transparence ce que fait le programme.
Enfin, le quatrième pilier, c’est qu’il est possible de le modifier, puisque le code est en accès libre. N’importe qui peut adapter Meta-Press.es à ses besoins et ses usages. Prenons un exemple : en 2019, un chercheur m’a contacté car il souhaitait effectuer ses recherches, non pas dans 20 minutes et La Croix, mais parmi une quinzaine d’éditeurs de presses scientifiques en ligne. Il voyait le temps perdu chaque jour à répéter 15 fois sa recherche dans 15 onglets différents, puis à comparer les résultats lui-même. Alors je lui ai proposé d’adapter l’outil à son besoin. En un claquement de doigts, nous avons rajouté un label pour la presse scientifique et la quinzaine de sources dont il avait besoin. Aujourd’hui, le travail et l’inspiration de ce chercheur sont accessibles et utilisables par toute la communauté. Sans être vraiment un programmeur, vous pouvez ajouter des sources à Meta-Press.es directement depuis l’outil.
Qu’est-ce qui vous a incité à créer Meta-Press.es ?
Je me suis lancé dans ce projet après avoir constaté que chaque journal possédait son propre moteur de recherche interne. Je me suis dit que pour réaliser mon index décentralisé sans avoir à faire de grands calculs moi-même, à explorer tout internet et en garder une copie en mémoire RAM comme le fait Google, j’allais tout simplement interroger les moteurs de recherche des journaux, en « tricotant » ensemble leurs index. En fait, je voulais changer le monde, mais plutôt que me fixer un objectif pur, formidable, mais qui n’allait pas se réaliser de mon vivant, je me suis demandé ce que je pouvais faire aujourd’hui, à mon échelle.
Propos recueillis par : Hildegard Leloué
Photos : Hildegard Leloué