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Halte aux polluants dans les crèches

par | 18 mars 2021


Comment limiter l’exposition aux substances chimiques dans les établissements accueillant de jeunes enfants ? En réponse à un appel à projet de l’Agence Régionale de Santé (ARS), l’association EKOLONDOI a mandaté l’agence alicse qui accompagne les collectivités dans les changements de pratique et d’achat, grâce au programme SAFE-Li. Dans le nord de la Nouvelle-Aquitaine, Saintes, Châtellerault et La Couronne sont les collectivités pilotes pour la Charente-Maritime, la Vienne et la Charente. Explications d’Anne Lafourcade, ingénieure chimiste, fondatrice d’alicse.


Avec SAFE-Li, l’objectif est de réduire l’exposition aux substances chimiques les plus préoccupantes pour les enfants. De quels polluants parle-t-on ?

Quand nous avons construit le programme SAFE-Li, nous avons réfléchi en premier lieu aux expositions intérieures, puisque les enfants sont à 80% à l’intérieur des bâtiments, globalement dix fois plus pollué que l’extérieur. Il y a des polluants émergents, parmi lesquels les perturbateurs endocriniens. Ils sont liés à nos modes de vie et aux produits du quotidien qu’on consomme, issus de molécules inventées récemment (entre 50 et 100 ans). Ces molécules se sont invitées avec le progrès dans nos habitats. Ce sont notamment toutes les substances chimiques qui gravitent autour du plastique, comme le PVC et le plastique utilisé en cuisine. Nous allons regarder aussi tous les produits détergents, les produits textiles qui eux aussi sont issus de la chimie, les produits cosmétiques, sans oublier les produits dont on se sert pour faire du bricolage. Parmi toutes les petites molécules inquiétantes, certaines ont des effets endocriniens, et d’autres pas. Le formaldéhyde par exemple, qui est le polluant issu des meubles, des peintures, du bricolage : il n’est pas endocrinien mais en revanche il est cancérigène. Nous ne négligeons pas non plus le fait que la pollution de l’air extérieur peut s’inviter à l’intérieur, selon la façon dont sont conçus les bâtiments et leur situation géographique. Je pense à la proximité de la circulation routière, d’une station essence, ou la présence de pesticides quand on se trouve proches de certains domaines agricoles.

Quelles sont les conséquences sur la santé des tout-petits?

Le premier enseignement que nous avons, c’est que ces expositions chimiques ont un côté « menace fantôme ». C’est-à-dire qu’on ne tombe pas raide mort quand nous sommes en présence de ces produits chimiques. Ce sont des expositions au long cours ; au niveau de l’OMS on appelle cela l’exposome. Toute notre vie nous allons être exposés à tout un tas de petites molécules qui, mises bout à bout, peuvent finir par engendrer des maladies. C’est là où c’est pernicieux, il n’y a rien de spectaculaire, les effets sont plus diffus, et différés dans le temps. Il est donc très difficile de pister et trouver le coupable. Les maladies qui peuvent être induites, ce sont les épidémies de cancer, d’obésité, de diabète, également les troubles du spectre autistique. Ces maladies sont caractéristiques des pays développés, où l’on a tous tendance à vivre dans le même type d’habitat, à manger la même alimentation qui n’est pas toujours très qualitative. On se rend compte que ce sont nos modes de vie occidentaux qui provoquent une détérioration de la santé globale des populations. Et si on s’intéresse aux bébés, c’est parce qu’on sait qu’ils sont plus facilement exposés et plus vulnérables face aux perturbateurs endocriniens. Nous voulons protéger particulièrement cette période des 1000 jours, de l’imprégnation embryonnaire jusqu’aux deux ans de l’enfant.

Comment procédez-vous pour inviter aux changements de pratiques dans les établissements accueillant de jeunes enfants ?

Le programme, destiné aux collectivités, se décline généralement sur une année. C’est un accompagnement long, pour installer le changement et surtout le pérenniser. SAFE-Li est un acronyme qui signifie « Sensibiliser, Auditer, Fédérer, Essayer, Lier ». Ce sont les cinq grandes étapes que l’on propose de parcourir. La première étape consiste à « sensibiliser » puisqu’il faut évidemment que toutes les personnes impliquées dans le projet sachent pourquoi elles le font. Nous leur fournissons des données pour qu’elles soient persuadées de l’intérêt de travailler sur la question de la santé des enfants. Ensuite nous allons « auditer », regarder les produits et les pratiques de façon à pouvoir faire un diagnostic des pollutions potentielles, et établir des axes de progrès. Cet audit va se dérouler dans une crèche pilote de la collectivité. Les autres crèches, dites « satellites », vont participer et apprendre à s’auto-diagnostiquer. Ce n’est pas un problème puisqu’on retrouve beaucoup de points communs entre les différentes structures petite-enfance d’une même collectivité, dans la mesure où les achats sont mutualisés. Vient après l’étape « fédérer ». Pour bâtir un plan d’actions, il est en effet capital de mettre autour de la table toutes les personnes concernées : la direction petite enfance bien sûr, mais aussi les services techniques, les personnes en charge du plan de nettoyage, le service achats etc. Puis nous allons « essayer » de nouveaux produits et nouveaux protocoles. Nous ne les imposons pas, nous ne voulons pas avoir de rejets de la part des agents. Enfin vient la dernière étape, « lier », qui consiste à acter le changement auprès des élus, des parents, pour valider le travail effectué depuis un an.

Qu’observez-vous pendant les phases d’audit ? Ce sont toujours les mêmes problématiques et les mêmes changements à instaurer ?

Notre grille d’audit comporte 74 critères. Ils couvrent les aspects de la vie quotidienne des crèches sur lesquels nous savons que nous pouvons avoir un impact positif. Car oui, il existe des domaines où il est très difficile de trouver des solutions aujourd’hui, comme les jouets, qui ne bénéficient pas d’une réglementation permettant de savoir où ils sont fabriqués et ce qu’ils contiennent. Et quand on ne connaît ni les matériaux ni l’origine des produits, il devient très difficile de les qualifier ou de les disqualifier. Nous nous sommes donc arrêtés sur les domaines suivants : les contenants alimentaires, la qualité de la ventilation et de l’aération, les produits de détergence et d’hygiène et les produits de loisirs créatifs. Et oui, nous retrouvons toujours les mêmes écueils, comme par exemple l’utilisation de produits détergents beaucoup trop costauds pour nettoyer une crèche. Pour les détergents et les cosmétiques, le changement peut être facile puisqu’on va pouvoir trouver des alternatives écologiques. Mais pour d’autres produits comme les peintures de loisir créatif, il n’existe pas de super gamme, pas dangereuse. Dans ce cas, on essaye de proposer des changements de pratiques. Pourquoi ne pas proposer du yoga plutôt que de faire de la peinture tous les jours ? Ou faire jouer les enfants dehors ? Cela revient à devenir progressivement de moins en moins dépendants des produits industriels qui sont douteux.

Où en sommes-nous du programme SAFE-Li dans le nord de la Nouvelle-Aquitaine ?

L’Agence Régionale de Santé nous a mandatés, Alicse et l’association environnementale EKolondoï, pour réaliser un programme SAFE-Li par département de la Nouvelle-Aquitaine. Le but est que d’ici 2022 toute la région soit couverte. Une collectivité est sélectionnée par département ; elle devient référente et s’engage à donner un coup de main aux autres qui voudraient aussi initier un changement de pratiques.
Dans la Vienne, c’est Châtellerault, où il nous reste à faire quelques essais de produits et à réaliser la dernière journée. Dans ce département, l’essaimage a déjà partiellement commencé puisque nous avons invité dans ce programme la ville de Poitiers, qui avait été candidate. Nous avons aussi sensibilisé du côté de Montmorillon, avec une conférence dans le cadre de leur contrat local de santé. Dans les Deux-Sèvres, aucune collectivité n’est encore positionnée. En Charente, c’est La Couronne qui va débuter le programme ce printemps. En Charente-Maritime, l’agglomération de Saintes a commencé à l’automne. Il existe une dynamique particulière dans ce département, où nous avons deux autres programmes en place : à partir du printemps nous allons accompagner dix crèches associatives fédérées par l’ACEPP à Rochefort (ndlr : Association des Collectifs Enfants Parents Professionnels). Par ailleurs, nous avons un programme prospectif dans l’Île d’Oléron où nous accompagnons une crèche à bâtir dans le choix des matériaux, du système de ventilation, sur la place du dehors, l’adaptation du bâtiment au changement climatique. Cette action est aussi financée par l’ARS. C’est la même stratégie.


Propos recueillis par Hélène Bannier
Photo haut de page : Bastien Guinard

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