A Loudun (86), l’entreprise Jamet conçoit, commercialise et distribue des ollas, des poteries faites main à partir de terres françaises. Leur atout : une fois remplies d’eau et enterrées, elles permettent une irrigation douce des sols. Avec les sécheresses à répétition, ce système d’arrosage ancestral revient de plus en plus au goût du jour, pour réaliser des économies d’eau tout en favorisant le bien-être des plantes et la vitalité des sols. Reportage dans les ateliers de fabrication du maître-céramiste.
Courber les lignes, façonner les formes. Dans le vaste atelier de l’entreprise Jamet, à Loudun (86), les mains de Frank s’activent pour donner vie à une olla, céramique d’irrigation entièrement artisanale. “Il m’a fallu environ cinq mois pour être parfaitement à l’aise dans la création, trouver le juste équilibre, maîtriser les détails, rapporte le potier, en faisant monter la terre entre ses paumes. Seule la main de l’homme peut assurer la porosité idéale de la céramique”. Cette question de la perméabilité est loin d’être anodine : une fois remplies d’eau, les poteries procurent une irrigation douce aux sols dans lesquels elles sont enterrées.
Ollas, irrigation et santé des sols
“On est sur un produit éco-responsable, à la fois dans sa fabrication et son fonctionnement,” explique Thierry Raphanaud, directeur commercial de Jamet. “Après tout, une olla, ce n’est que de la terre et de l’eau !” Et pas question de gaspiller ladite terre : celle qui est laissée de côté pendant la fabrication est mise au repos en extérieur, puis mélangée à nouveau pour intégrer de futures céramiques. Rien ne se perd, tout se transforme dans cette industrie se revendiquant zéro déchet.
Du côté de l’utilisation, ces poteries ont pour but premier de préserver et d’améliorer la qualité des sols, en les rendant vivants, frais et aérés. “L’irrigation permet d’entretenir et d’enclencher la vie bactérienne des sols, afin de les réguler”, détaille le représentant de l’entreprise, en progressant dans un entrepôt d’ollas de contenances variant de 0,5 à 35 litres. Autre avantage de ces jarres : puisque l’irrigation s’effectue par le dessous – directement au niveau des racines – les feuilles ne sont pas mouillées, les prévenant alors de contracter certaines maladies, comme le mildiou. De même, les céramiques n’occasionnent pas de formations d’eau stagnante en surface, comme cela peut être le cas avec l’arrosoir ou le jet d’eau. Elles évitent donc d’attirer les moustiques, de tasser les sols et, in fine, de les rendre infertiles.
“Les ollas favorisent le bien-être des plantes, la production de biomasse augmente ainsi de plus de 250% par rapport aux autres systèmes d’irrigation, renchérit Thierry Raphanaud, citant des tests effectués par le centre technique indépendant ASTREDHOR (Association nationale des Structures d’Expérimentation et de Démonstration Horticole). Une productivité naturelle qui pourrait permettre d’éviter le recours à des engrais chimiques.
Enfin, la surexploitation des terres, ainsi que l’alternance des périodes de sécheresse et de surplus d’eau, ont tendance à causer un stress hydrique aux sols. Les poteries permettent d’éviter ces tensions, étant donné que leurs parois poreuses diffusent l’eau progressivement. Les racines se dirigent alors naturellement vers les ollas, pour s’alimenter en eau selon leurs besoins, sans excès. Le directeur commercial illustre la différence : “Si on donne une bouteille d’un litre d’eau à une personne qui a soif, elle risque de la boire d’un trait ; tandis que si elle est placée sous perfusion, son hydratation sera mieux répartie dans le temps. C’est le même parallèle qui se joue entre les ollas et les autres systèmes d’irrigation.”
Une économie d’eau de 50 à 75%
L’entreprise Jamet commercialise des ollas à destination des particuliers et des professionnels du végétal, et compte parmi ses clients des mairies de la région et plusieurs grandes métropoles françaises. Si les collectivités ont au départ été intéressées par l’aspect écologique du produit, l’entreprise note que le caractère économe de cette technique d’irrigation séduit de plus en plus. “Aujourd’hui, le prix de l’eau n’est pas encore excessif, il tourne autour de quatre euros le mètre cube ; mais certaines communes manquent déjà d’eau, et étudient donc des possibilités de rationnement”, détaille Thierry Raphanaud. Toujours selon les tests commandités par l’entreprise, les ollas permettent une économie d’eau de 50 à 75%, selon le type de sols et de plantes, par rapport aux autres modèles d’irrigation.
Un savoir-faire en perdition
Les ollas (mot dérivé de l’espagnol signifiant “pots” en français) renvoient à une technique d’irrigation ancestrale, dont les origines remontent à entre 2000 et 4000 ans. Certaines sources attestent d’une naissance dans le bassin méditerranéen, quand d’autres les assimilent au continent asiatique. Malgré leur histoire millénaire et leur diffusion géographique, le nombre de potiers et le savoir-faire permettant de leur donner vie diminuent d’année en année.
“En France, plus personne ne fabrique sa terre,” regrette Laurent Jamet, en pleine confection d’une mitre pour cheminée. “Dans notre atelier, nous créons nous-mêmes nos pains de terre, c’est-à-dire la pâte qui nous sert à façonner la poterie,” ajoute le maître-céramiste, qui a dédié dix ans de sa vie à l’étude des céramiques techniques à porosité variable.
Dans cette démarche de fabrication locale et artisanale, l’entreprise utilise quatre terres différentes, toutes issues de carrières françaises situées dans un rayon de moins de 100 kilomètres. Chacune détient une spécialité, pour permettre d’offrir le grain, la porosité ainsi que la résistance mécanique et thermique recherchée au produit fini.
L’équipe de quatre potier·ères et deux apprenti·es privilégie également un séchage naturel, plus long, à un chauffage qui permettrait de réduire les temps de cuisson mais augmenterait le risque de micro-fissures en retour. Un amour du travail ancré dans le temps long que synthétise ainsi Thierry Raphanaud : “Dans le métier, il y a un proverbe assez vrai qui dit : potier pressé, potier ruiné”.
Rédaction et photos : Hildegard Leloué