Le village de Chenevelles (86) a célébré sa “Pride des campagnes” pour la deuxième année consécutive ce 29 juillet. Organisé par les associations Fiertés Rurales et Stop Homophobie, l’événement vise à offrir davantage de visibilité aux personnes LGBTQIA+ vivant en campagne, tout en luttant contre les discriminations. Photo-reportage.
Concours de tracteurs et pancartes hautes en couleur
Accompagné·es d’une ribambelle de tracteurs transformés en chars pour l’occasion, les participant·es ont effectué un parcours de 4 km à travers ce village du nord de la Vienne
Boue-en-train. Il aurait fallu davantage qu’un peu de pluie et de terre humide, pour doucher la motivation des quelque 1500 personnes venues défiler à travers les rues et les champs de Chenevelles, ce samedi. Un an auparavant, ce village de 450 habitant·es organisait la toute première marche des Fiertés en milieu rural de France. Le principe : créer un moment de rencontre et de célébration pour les LGBTQIA+ (Lesbienne, Gay, Bisexuel·le, Trans, Queer et Intersexe et Asexuel·le ou Aromantique) vivant en campagne, et sensibiliser aux discriminations dont elles et ils sont parfois victimes.
Le collectif La colo drag et plusieurs autres artistes queer ont multiplié les performances
À l’origine de l’événement, il y a un pari lancé entre Cyril Cibert – le maire de la commune qui n’a jamais fait mystère de son homosexualité – et Étienne Deshoulières, avocat pour Stop Homophobie et désormais président de l’association Fiertés Rurales. Et le duo ne compte pas s’arrêter là : fort du succès de ces deux premières éditions, il travaille actuellement à la création d’un label “Village bienveillant”.
“Tant que toutes les fermes, tous les hameaux, toutes les campagnes ne seront pas des espaces inclusifs où peuvent s’exercer les droits des personnes LGBT, la lutte devra continuer”
Etienne Deshoulières, avocat de l’association Stop Homophobie et président de Fiertés Rurales
Combattre les clichés liés à la campagne
“Un préjugé, c’est de croire que la campagne serait remplie de ploucs qui vont nous agresser, alors que c’est des gens qui peuvent être très bienveillants, qui sont beaucoup moins à scruter ce qui se passe dans la culotte des autres,” avance Terence Katchadourian, secrétaire général de Stop Homophobie. Il nuance : “Il y a beaucoup plus d’agressions dans les grandes villes, mais en campagne, les LGBT souffrent d’un manque d‘infrastructures et d’isolement,” nuance-t-il. Un isolement à la fois social – induit par le fait d’être queer dans un monde où l’hétérosexualité est la norme – et géographique, les lieux pour faire communauté étant beaucoup plus rares, voire totalement absents, en milieu rural.
Plusieurs agriculteur·ices du secteur sont venus prêter main-forte. Julien, collier de fleur au cou, s’est porté volontaire pour piloter un tracteur : “On est de tout cœur avec eux”.
“C’est important pour nous et pour nos enfants d’être là en famille, de montrer qu’il y a d’autres personnes comme nous, comme eux ; qu’il faut de tout pour faire un monde”, exprime Claire, grand sourire et cheveux multicolores, venue avec sa compagne et ses deux enfants. “En campagne, les discriminations auxquelles on peut faire face sont plus cachées. On est plus isolés, il y a moins d’associations, et c’est plus compliqué de rencontrer d’autres personnes et familles queer.”
Pour Yves, venu avec son compagnon Jean-Michel d’un village près de Châteauroux où tous deux se sentent particulièrement bien intégrés et appréciés, cette pride est “un espace pour faire la fête dans l’amour et la bienveillance”, qui a aussi l’avantage de “permettre de démystifier” le milieu LGBTQIA+. C’est justement la raison de la présence de Nadège, venue par curiosité et volonté de compréhension. “Mon fils est gay, j’avais envie de découvrir son univers, et j’adore ! Toutes ces couleurs, cette gaîté…”
Mêlant les codes du drag à l’univers ecclésiastique, Les Sœurs de la Perpétuelle Indulgence prônent l’amour et la tolérance. Elles mènent des actions de prévention, d’information, et de lutte contre l’homophobie..
Mobilisation politique
Outre son esprit de fête, la Marche des Fiertés Rurales vise à faire avancer la condition des personnes LGBTQIA+ en interpellant les décideurs et décideuses politiques. Cette année, deux ministres et de nombreux élu·es ont répondu favorablement à l’invitation. “Vous pouvez compter sur moi pour continuer à lutter pour que les droits des personnes LGBT soient respectés, même en milieu rural“, s’est engagée Dominique Faure, ministre des collectivités territoriales et de la ruralité. À ses côtés, Bérangère Couillard, ministre chargée de l’Égalité femmes-hommes, a précisé le plan de lutte du gouvernement pour l’égalité, contre la haine et les discriminations anti-LGBT+. Objectifs annoncés : “l’ouverture de dix nouveaux centres LGBT d’ici la fin du quinquennat” (il en existe actuellement 41), et une formation obligatoire à destination des policiers et des gendarmes, pour mieux accueillir la parole des personnes venues porter plainte.
Lors de l’édition précédente, l’association des maires ruraux de France (AMRF) avait signé une charte en partenariat avec Stop Homophobie pour former les personnels municipaux aux problématiques LGBTQ+. “Nous avons mis en place un référent rural égalité, c’est-à-dire un membre du conseil municipal désigné pour traiter ces questions”, résume Dominique Chappuis, vice-présidente de l’AMRF.
Alors que la dépénalisation de l’homosexualité en France remonte à 40 ans seulement et que plusieurs pays européens durcissent leurs lois à l’encontre des personnes LGBTQIA+, la prise de mesures concrètes en faveur de l’inclusion apparaît d’autant plus cruciale, pour consolider leurs droits. À ce titre, un événement comme la Pride des campagnes encourage le respect de la diversité dans toutes ses nuances… de l’arc-en-ciel.
Rédaction et photos : Hildegard Leloué