Spécialiste des impacts du changement climatique sur l’agriculture, Serge Zaka anime une conférence à La Rochelle le 5 décembre sur le thème « Que mangerons-nous en 2050 ? ». L’ingénieur agronome apporte des réponses concrètes et locales à cette question posée par les Shifters de Charente-Maritime, l’association Passalact et la Chambre d’agriculture 17-79, partenaire de l’événement qui affiche complet.
Vous êtes docteur en agro-climatologie. Qu’est-ce que cette discipline ?
C’est la science qui relie le changement climatique et l’agriculture, qui est très concrète. Elle permet de répondre à des interrogations sur le quotidien des agriculteurs et des consommateurs. Par exemple, elle permet de savoir si nous allons planter des oliviers du côté de La Rochelle en 2050. C’est une science d’anticipation, qui permet d’appréhender de façon socio-économique et politique les effets du changement climatique. En anticipant, nous pouvons choisir des voies économiques climatiquement viables pour l’avenir de l’agriculture.
2024 est une année difficile pour les agriculteurs et agricultrices de Charente-Maritime, en raison d’une pluviométrie importante. Localement, le changement climatique est déjà en train d’affecter nos rendements agricoles ?
Oui, complètement. Il y a trois exemples ces dernières années. En 2021, nous avons eu une floraison très précoce avec des pertes de rendement colossales. En 2022, trois canicules ont engendré un déficit extrêmement important, toutes cultures confondues. En 2024, les excès d’eau tout au long de l’année ont perturbé les moissons et les semis. Nous avons des extrêmes climatiques dans tous les sens, ce qui est en accord avec les travaux du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, NDLR). Il faut se sortir de la tête que le changement climatique n’est que sécheresse et canicule. Les excès d’eau en font également partie. C’est une accentuation dans les deux sens, qui est particulièrement visible dans les Charentes.
À quels autres risques seront exposés les agriculteurs et agricultrices du secteur ?
Le manque de froid. C’est un facteur dont on parle peu, pourtant c’est le problème principal de l’arboriculture et de la viticulture. Les arbres et la vigne ont besoin de froid pour fleurir au printemps. Un pommier de type « Golden » a besoin de 1 000 heures de froid – en-dessous de 7,2°C – autrement, il ne va pas faire de fruits. Il y a une réflexion importante à mener dès aujourd’hui sur les vergers de demain. La remontée de l’eau sera également à craindre, surtout sur une partie du Poitou-Charentes située en zone submersible. Des tempêtes de type Xynthia peuvent faire entrer l’eau dans les terres. Attention, je parle bien d’événements ponctuels, pas de la remontée du niveau de la mer à cause de la fonte des glaciers qui aura lieu dans des dizaines d’années. Nous sommes sur un temps plus long que celui du réchauffement de l’air.
Projetons-nous dans nos assiettes de 2050. Nous sommes un département où les grandes cultures sont majoritaires. Le blé va-t-il pouvoir continuer à pousser ?
Oui. Il y aura des pertes de rendement faibles, mais le blé sera toujours viable en Poitou-Charentes en 2050. C’est plutôt pour la rentabilité du maïs qu’il va falloir se poser des questions, par rapport à sa forte demande en eau en été. Le blé pousse en hiver jusqu’au début de l’été tandis que le maïs pousse du printemps jusqu’à l’automne. Ils ne vont pas subir les mêmes stress thermiques et hydriques. Le blé est favorisé par l’augmentation du CO2 atmosphérique parce qu’il va avoir une photosynthèse plus rapide. Les surfaces de maïs seront moindres, laissant place à des cultures résistantes aux fortes chaleurs comme le tournesol, le sorgho, la cacahuète, le pois chiche… Il va falloir cultiver la bonne culture au bon endroit.
Parlons maintenant de la production maraîchère. Avec les chaleurs annoncées, la tomate de Charente-Maritime est-elle promise à un bel avenir ?
Oui, car il n’y a pas que du négatif ! Le Poitou-Charentes aura un climat de plus en plus aquitain. Les cultures de maraîchage seront hyper favorisées, surtout pour les légumes du soleil. Les premières tomates et courgettes seront récoltées à la fin du printemps et il sera peut-être normal d’en manger jusqu’à la fin de l’automne. Le melon sera récolté deux ou trois semaines plus tôt, il faudra le protéger avec de l’ombrage pour éviter les coups de chaleur. L’arboriculture sera également avantagée car il y a un microclimat du côté de La Rochelle, où il gèle un petit peu moins que sur les autres régions. D’ici 2040, nous pourrons planter des arbres qui n’ont pas besoin de froid pour fleurir, comme les oliviers, les plaqueminiers (arbres à kaki, NDLR), les néfliers, les abricotiers, etc. Ce qui est intéressant, car arboriculture et maraîchage vont de pair, les arbres pouvant faire de l’ombre aux légumes. Mais attention, il est facile de planter des arbres. Il est plus compliqué de créer toute la filière et le tissu économique qui en découlent.
Un stress thermique fort diminue la production de lait, or c’est une production importante localement, notamment pour le beurre de Poitou-Charentes. Est-elle menacée ?
Autant nous pouvons nous interroger pour le sud de la France, mais en Poitou-Charentes, il y aura toujours des vaches en 2050. Il n’est pas question de passer à de l’élevage ovin ou caprin, moins sensible aux chaleurs. Cependant encore une fois, il va falloir s’adapter. Les températures resteront clémentes au printemps, favorables à la production de fourrage à condition qu’il n’y ait pas trop d’excès d’eau pour l’accessibilité des parcelles. Le problème, c’est l’été. Le fourrage stocké au printemps pourra être redistribué à cette période mais pour le stress thermique, les principales solutions sont les arbres dans les prairies et la révision des bâtiments d’élevage. Au-delà du lait, il y a la production de viande. Elle doit diminuer car la baisse de la consommation de viande sera nécessaire pour l’environnement. Demain il faudra d’autant plus acheter de la viande française, locale, car nous avons absolument besoin de la production animale pour entretenir le paysage, fertiliser notre sol. Il faudra trouver un équilibre entre consommation, production, aménagement du territoire et économie, sans aller dans l’excès du véganisme. Enfin, il y a un gros travail à faire sur le gaspillage alimentaire. 20 % de la production agricole française n’est pas consommée.
Nous sommes également un territoire très viticole, avec de la production de pineau, de cognac et de vins de pays. La vigne saura-t-elle résister au changement climatique ?
Oui, la vigne a du potentiel. Il va juste falloir adapter les cépages, l’orientation et la hauteur des rangs. Néanmoins nous pouvons nous demander si le cognac sera durable, car les cépages autorisés par le cahier des charges ne sont peut-être pas autant résistants au changement climatique. Il y a actuellement des axes de recherches à ce sujet.
La Chambre d’agriculture Charente-Maritime Deux-Sèvres est partenaire de l’événement. Avez-vous le sentiment que les instances agricoles et politiques se préparent à ce changement climatique ?
Il y a pas mal de choses mises en place par les chambres d’agriculture. Beaucoup d’adaptations sont envisagées sur la génétique et l’irrigation. J’aimerais qu’on diversifie ces axes de réflexion pour aller sur la modification des paysages, la façon de produire, la diversification des cultures. Mon intervention du 5 décembre sera centrée sur le système en lui-même et je trouve ça bienvenu que la Chambre d’agriculture soit partenaire. Certaines instances commencent à prendre en main ces adaptations et je travaille main dans la main avec le milieu agricole. Je ne suis pas du tout un anti-agriculture ni un extrémiste. Je souhaite proposer des améliorations pour l’avenir, en me basant sur des faits scientifiques et concrets.
Propos recueillis par : Amélia Blanchot
Photo haut de page : Amélia Blanchot
Portrait : DR