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50 ans d’Ekitour : petite histoire du tourisme social et solidaire

par | 14 mars 2023

Ekitour agence voyage militante

Ekitour, l’agence de voyage poitevine spécialisée dans le tourisme social et solidaire, fête ses 50 ans cette année. Comment cette SCOP militante a-t-elle vu le secteur du voyage évoluer, en un demi-siècle ? Quel regard porte-t-elle sur son développement, à l’ère du tourisme de masse et de l’urgence climatique ? Entretien avec Daniel Lodenet. Actuellement président d’Ekitour Solidarité, il a dirigé l’agence pendant une trentaine d’années.


Ekitour se positionne comme une agence de voyage militante. Qu’est-ce que cela signifie ?

Ekitour agence voyage militante portrait Daniel Lodenet

Ekitour est une agence de voyage en SCOP qui a la particularité de faire du tourisme social, c’est-à-dire de permettre l’accès aux vacances à tous les publics, quelles que soient leurs ressources. Il s’agit d’une mission primordiale, puisque plus de 40 % des Français ne partent pas en vacances. Et encore, on comptabilise dans les 60% qui restent les départs à l’extérieur de chez soi de quatre nuits minimum. Vous pouvez donc vous rendre à l’enterrement de votre grand-mère à l’autre bout de la France et être considéré comme en vacances !
Si certaines personnes n’ont tout simplement pas la culture du départ, cette sédentarité est la plupart du temps due à un manque de moyens. Nous cherchons donc à trouver des solutions pour les non-partants, en nous appuyant sur des programmes de tourisme social existants, comme Vacances pour Tous à Poitiers (dont nous avons participé à l’élaboration) ou Seniors en Vacances. Nous assumons également un rôle de plaidoyer auprès des financeurs potentiels, afin de les inciter à développer des politiques de tourisme social.
D’un point de vue historique, l’origine même de la structure est militante. Autrefois, les vacances étaient réservées à la bourgeoisie. Lorsque les congés payés ont été instaurés en 1936, les Français ne sont pas immédiatement partis en vacances. Il leur a fallu quelques années pour s’habituer au concept, déterminer où partir et comment, avec ce temps libre nouvellement acquis. C’est dans ce contexte que plusieurs organisations ont été créées pour les aider à s’organiser et favoriser un accès au tourisme pour tous. Parmi ces organisations il y avait Tourisme et Travail, l’ancêtre d’Ekitour. Elle regroupait trois centrales syndicales de l’époque (CGT, CGTA, CFTC), pour porter cette vision politique. C’est le Comité National de la Résistance lui-même qui l’a créée en 1944, pendant l’occupation. À la libération, Tourisme et Travail est ensuite devenu l’organisme officiel de tourisme solidaire. Il est également à l’origine des premiers Villages Vacances en France, dans les années 1960. A Poitiers, l’association locale Tourisme et Travail est née en 1973. Ekitour en est l’héritage.

Comment avez-vous vu évoluer la notion de tourisme solidaire, en 50 ans ?

À l’après-guerre, on parlait plutôt de « tourisme populaire ». La notion de tourisme solidaire, elle, a émergé de plus tard, lorsque des organisations humanitaires ont commencé à considérer le voyage comme une solution, pour financer leurs programmes de développement locaux et de solidarité entre pays du Nord et pays du Sud.
De notre côté, c’est à partir de 2006 environ que nous avons commencé à remettre en question nos pratiques, d’abord par l’entremise du tourisme équitable. À l’époque, on sentait une véritable émulation autour du sujet : l’Association pour le Tourisme Équitable et Solidaire (l’ATES) venait d’être co-créée par l’UNAT, l’Union Nationale des Associations de Tourisme et de plein air, la structure qui regroupe toutes les associations de tourisme social en France.
Pour mieux prendre en compte ces enjeux, nous avons d’abord proposé à des étudiants venus réaliser leur stage de master avec nous d’effectuer un travail de recherche et de développement autour de la question du voyage équitable. C’est l’origine du nom “Ekitour”. Ce travail nous a ensuite permis de construire Nouveau Regard, un catalogue de séjours engagés, pour inciter les voyageurs à pratiquer un tourisme plus respectueux des territoires et des populations locales.
Pour garantir cette dimension équitable, nous nous appuyons sur un réseau de guides et d’agences locales. Concrètement, nous fonctionnons toujours avec deux interlocuteurs de terrain : un partenaire classique, qui nous reçoit sur place, gère les hébergements et les activités ; et un second, qui mène un programme de développement local. Il s’agit par exemple d’une école de musique à Ramallah, en Palestine ; d’une ferme pédagogique au Burkina Faso, ou encore d’une école en Moldavie. Une part du voyage (entre 20 et 25 euros environ) sert à financer cette structure locale. Si nous n’imposons rien à nos voyageurs et à nos partenaires, nous avons établi des chartes éthiques. L’idée, c’est notamment de privilégier les hébergements chez l’habitant, dans de petits hôtels familiaux ou encore dans des lieux associatifs, plutôt que dans les grandes chaînes hôtelières.
L’objectif de ces voyages, c’est d’avoir des retombées positives sur les territoires visités et ses résidents, avec des conditions de travail et de rémunérations correctes pour les acteurs de terrain. C’est une manière de prendre le contre-pied du tourisme « hors-sol », dans tout ce qu’il peut avoir de prédateur sur le plan économique, sociologique et environnemental.

Ekitour promeut aussi un tourisme plus responsable d’un point de vue environnemental. C’est récent ?

Quand j’ai commencé ce métier, en 1981, ce n’était pas du tout un sujet de préoccupation ! La structure a été créée en 1973, à la fin des Trente Glorieuses, quand l’écologie n’était pas à l’ordre du jour. On ne parlait pas du tout de l’impact du trafic aérien ou des stations de ski sur l’environnement. À l’époque, notre ambition était plutôt de faire du tourisme social, de rendre le voyage accessible à tous. Nous nous sommes même battus pour que des vacanciers puissent prendre l’avion et aller à la neige ! Notre but était vraiment de décloisonner ce type de vacances pour qu’il ne soit plus seulement réservé à une élite. Il faut dire que les compagnies aériennes low-cost ont complètement rebattu les cartes, en concurrençant les compagnies nationales. L’amplification de leurs offres à bas coût nous a permis de faire partir davantage de vacanciers. Mais on sait aujourd’hui que si ces compagnies proposent des prix si bas, c’est parce qu’elles exercent une pression financière sur leurs personnels et leurs équipements.
L’aspect environnemental ne nous est donc venu que beaucoup plus récemment, il y a quatre ou cinq ans, avec la question des transports ; un secteur qui pèse extrêmement lourd, dans nos émissions de gaz à effet de serre. Alors que la pandémie portait l’espoir d’un changement des habitudes de consommation et de déplacement, les gens se précipitent de nouveau vers l’avion, de la même façon qu’ils ont cessé de consommer local une fois les confinements achevés. Il nous semble donc d’autant plus important d’agir en faveur de mobilités plus durables et de sensibiliser les publics à leur usage.

Quelles actions concrètes mettez-vous en place pour limiter l’impact environnemental des voyages ?

En termes de mobilités, nous réfléchissons à des alternatives à l’avion et nous sommes engagés à ne pas proposer de croisières maritimes, un type de voyage extrêmement polluant.
Nous travaillons sérieusement sur le train. En 2023, nous avons notamment pour objectif de développer “Incitations TER”, une offre de séjours en Nouvelle-Aquitaine. Nous l’avons co-construite à partir d’ateliers réalisés avec des publics variés, pour recueillir leurs envies en termes de déplacement. C’est tout un travail de réinvention qui est nécessaire, puisqu’il faut prévoir les visites et les hébergements du circuit en fonction des lignes ferroviaires et envisager des synergies avec le vélo ou l’autocar, pour se déplacer une fois arrivé en gare.

Si on regarde vers l’avenir, quels défis majeurs attendent le secteur du tourisme ?

La mobilité, c’est l’enjeu numéro un. Il faut évidemment commencer par travailler sur le recours à l’avion. Une solution envisageable pourrait être, par exemple, d’imposer un quota de kilomètres par personne. Compte tenu des modes de consommation actuels, en particulier l’impact des hyper riches volant en jet privé, il me semble qu’un tel changement ne pourra passer que par la contrainte. Ce sont ces grandes fortunes qui mènent la danse. Pourtant, alors qu’Elon Musk et compagnie envisagent le voyage vers d’autres planètes, il faudrait d’abord se concentrer sur la préservation de la nôtre !
Un travail sur la démocratisation du train semble donc indispensable, surtout compte tenu de la situation assez catastrophique où il se trouve actuellement. L’offre de la SNCF est inférieure à la demande, elle affiche des prix élevés. Et pour nous, c’est devenu très difficile de proposer des voyages de groupe car le métier de correspondant groupe a disparu. C’est une personne que nous pouvions avoir comme interlocuteur au lieu d’une interface numérique. Le train de nuit pourrait également constituer une belle solution. Il est relancé actuellement, mais avec un matériel insuffisant.
Sur l’aspect communication, il serait intéressant d’avoir un réseau d’influenceurs mettant en avant des façons de voyager plus éthiques.
Enfin, s’il est important de prôner le voyage en France ou en Europe proche, il faudrait aussi mener une réflexion sur la durée du voyage. Cela pourrait consister à éviter les voyages à l’étranger le temps d’un week-end, ou partir trois semaines plutôt qu’une ; même s’il est évidemment difficile d’obtenir autant de congés suivis. De manière générale, un des enjeux primordiaux, c’est de remettre du sens dans les déplacements effectués.


Propos recueillis par : Hildegard Leloué
Photos : Hildegard Leloué

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