Une action qui a de l’intérêt tant pour les scientifiques que pour les jardiniers. Chaque année, le CPIE Marennes-Oléron collecte les capsules de raies échouées sur les plages de l’île d’Oléron (17) que des habitant.es et des bénévoles leur apportent. Une fois analysées dans le cadre du programme national de recherche CapOeRa, elles sont broyées pour devenir de la “poussière de capsules”, un fertilisant naturel. Reportage à l’occasion d’une journée de récolte participative.
On les dirait sorties d’un autre monde, avec leur coque noirâtre en forme de scarabée, surmontée de quatre pointes émaciées. Souvent mêlées aux algues ou aux touffes de végétation bordant les dunes, les capsules de raies échouées sur la plage de Matha, à l’Île d’Oléron, ne s’offrent qu’aux regards attentifs. “Les raies pondent sous l’eau et fixent leurs œufs dans le sable, entourés de cette sorte de capsule protectrice. Une fois l’œuf éclos, la capsule se détache et elle est charriée par la mer sur le rivage”, expose Brigitte, retraitée au regard espiègle, sous son cache-oreille imprimé léopard. Elle et son amie de longue date Françoise, 64 ans, bravent les températures hivernales pour participer à une opération collective de récolte de capsules. “C’était dimanche foot à la maison, alors j’ai eu besoin de prendre l’air”, plaisante Françoise avant d’ajouter, plus sérieuse : “On est des amoureuses du territoire, alors cet environnement, on a envie de le protéger, d’aider à valoriser ce qui peut l’être”.
Capsules de raies et sciences participatives
Cette collecte est organisée par le CPIE Marennes-Oléron, qui a attribué un parcours précis à chaque équipe de volontaires. Après environ deux heures de récolte, la trentaine de participant·es achemine son butin aux locaux de l’association. “On fait des tas de dix pour compter et contrôler plus facilement les capsules, explique Perrine Bergossi, chargée de mission Estran et projets territoires au CPIE. On identifie la raie parmi les huit espèces les plus communes sur le territoire, puis on note le nombre de capsules normales, prédatées et embryonnées.” Bilan du jour : près de 4 550 capsules récoltées.
Ces données sont ensuite transférées à l’Association pour l’Étude et la conservation des sélaciens (APECS), qui mène des programmes scientifiques et éducatifs autour des raies, des requins et des poissons cartilagineux. C’est à cette association que l’on doit la création de CapOeRa (Capsules d’œufs de Raies) en 2008, le programme national dont le CPIE est partenaire, consistant à suivre la présence des raies et leur évolution le long des côtes françaises, en recensant les échouages de capsules. Quel intérêt ? Ces analyses permettent notamment de mieux connaître la répartition et les périodes de reproduction des espèces vivant autour de l’île. Depuis le début du programme, plus d’un million de capsules ont été ramassées à l’échelle nationale, dont environ 750 000 sur l’île d’Oléron.
De la mer à la terre, les capsules comme fertilisants
En plus de servir à alimenter la recherche, les capsules de raies nourrissent les potagers des particuliers, une fois converties en fertilisant naturel. C’est Ovive, une entreprise spécialisée dans la revalorisation de matière première à Périgny, près de La Rochelle, qui se charge de broyer les capsules. Le résidu est ensuite mélangé à du terreau de façon à former la “poussière de capsule” commercialisée par le CPIE et plusieurs commerces locaux partenaires, au prix de cinq euros les 500 grammes.
“Au fil des années, nous nous sommes retrouvés avec un garage entièrement rempli de capsules, on en avait accumulé près de 500 000 !”, se souvient Jean-Baptiste Bonnin, ancien coordinateur de l’association venu prêter main forte. Avant la création du fertilisant en 2021, les membres du CPIE se servaient des capsules ramassées à des fins scientifiques pour faire de la pédagogie sur leurs stands, fabriquer des guirlandes et même des “capsulophones”, des sortes de carillons. “Et puis on s’est rendu compte que ces capsules sont en majorité composées de kératine, ce qui les rend riches en protéine, mais aussi en azote et en potassium ; autant d’éléments bénéfiques aux sols,” synthétise l’ex-coordinateur. De quoi désencombrer les locaux du CPIE, tout en offrant une seconde vie à ces capsules… en les enterrant.
En 2023, l’association compte proposer à des maraîchers de tester ce produit dans leurs cultures, pour pouvoir en mesurer précisément les effets. Et la poussière n’a pas encore révélé tout son potentiel : une entreprise spécialisée dans les bioplastiques a indiqué au CPIE que ce broyat de capsules pourrait partiellement remplacer le pétrole, dans la fabrication d’objets plastiques. De quoi raie-ver à des objets du quotidien plus durables.
Comment participer ?
Le CPIE organise deux récoltes collectives par an, courant mars/avril et novembre/décembre ; deux périodes correspondant aux “pics d’échouage” des capsules sur l’île. En dehors de ces sessions, il est possible de déposer les capsules trouvées dans les cinq bacs prévus à cet effet sur les plages de Saint-Georges d’Oléron (L’Ileau, Les Sables-Vignier, Domino grande plage et petite plage et Chaucre).
Rédaction et photos : Hildegard Leloué