Depuis le printemps, la Ville de Niort crée une extension du cimetière naturel de Souché (79), arrivé à saturation. Ouvert en 2014, ce site pionnier en France est entièrement conçu et entretenu de façon écologique. Une vision libre de la nature qui favorise le retour de la biodiversité, tout en instaurant un climat de sérénité, propice à entretenir un rapport plus apaisé avec la mort. Interview d’Eve-Marie Ferrer, paysagiste à la mairie de Niort qui a imaginé le cimetière, et d’Amanda Clot, responsable du service municipal des cimetières et du crématorium.
Comment ce cimetière naturel entend-il rendre l’inhumation plus écologique ?
Eve-Marie Ferrer : Nous avons passé en revue toutes les étapes consécutives au décès, en nous interrogeant sur ce qui avait un impact sur l’environnement et comment nous pourrions le réduire. Nous demandons donc aux familles d’opter pour le cercueil le plus naturel possible, c’est-à-dire en carton ou en bois brut (non traité), sans poignée en métal ou peinture. À l’intérieur du cercueil, nous incitons à éviter les capitons en matière synthétique, et à ne laisser aucun objet à l’intérieur. Pour les urnes, c’est pareil : nous préconisons les matériaux biodégradables. Pour les défunts, nous encourageons le port de vêtements de fibres naturelles et l’absence de soins de conservation, qui sont très toxiques à la fois pour la personne qui les pratique et pour la terre, lorsque le corps commence petit à petit à se dégrader. Nous avons également cherché à éviter le béton, avec des inhumations qui se font en pleine terre, sans construction de caveau. Idem, sur le dessus de la tombe : les végétaux remplacent les pierres tombales, les plaques funéraires en granit et les fleurs artificielles. Une pierre en calcaire discrète sert à identifier la personne, au lieu du mémorial traditionnel. Toutes ces recommandations sont formalisées dans une charte d’utilisation que signent les familles.
Le cimetière met en avant une création et une gestion de site respectueuses de l’environnement et préservatrices de la biodiversité. En quoi est-ce le cas ?
EMF : L’idée, c’est de laisser la nature reprendre ses droits. Le lieu étant très sauvage à l’origine, nous avons fait en sorte de le préserver le plus possible. Par exemple, nous ne nous sommes pas contentés de conserver les arbres, mais avons aménagé le site en fonction d’eux. Idem, nous avons prélevé ce qui poussait déjà dans les friches municipales pour créer des haies sur tout le pourtour de la parcelle. Cela nous a évité de faire appel à des pépinières, qui proposent des végétaux souvent onéreux et en provenance de l’étranger, généralement de Belgique ou des Pays-Bas. Autre avantage : ces végétaux étant locaux, ils sont adaptés au terrain, et donc plus résistants. Au final, nous avons créé une “micro-forêt” sans le savoir ! Côté biodiversité, nous avons installé quelques nichoirs et hôtels à insectes. La Ligue pour la Protection des Oiseaux (LPO) et le CNRS suivent également le site, en ce qui concerne les populations d’oiseaux.
En somme, le cimetière est géré comme un jardin, avec quelques tailles de haies et des tontes uniquement sur les petites allées principales, et sans produits phytosanitaires. La “tolérance” est le maître-mot : les familles et les usagers acceptent la présence de feuilles et de “mauvaises herbes” par terre, dans les allées et sur les tombes. Cela représente une ouverture culturelle énorme, puisqu’en France, à force de vouloir rendre nos cimetières les plus “propres” possibles, nous avons fini par devenir intolérants à la moindre herbe, contrairement à nos voisins européens comme l’Angleterre ou l’Allemagne, très portés sur la végétalisation. Enfin, nous avons aussi tenté de mettre en place un système de gestion des déchets verts par composteur sur le site, mais le tri sélectif n’est pas une habitude encore suffisamment ancrée chez les usagers pour que cela se soit révélé concluant.
Trois modes de sépulture sont possibles : l’inhumation en cercueil, en urne, et la dispersion des cendres dans le Jardin du Souvenir ; un espace collectif agrémenté d’œuvres d’art. Les informations du défunt sont gravées sur une feuille de laiton, elle-même accrochée à une sculpture en forme d’arbre.
Pourquoi avoir choisi de créer ce cimetière alternatif à Niort ?
EMF : Dominique Bodin, responsable du service cimetière à l’époque, avait déjà commencé à enherber certaines allées, végétaliser et réduire petit à petit l’usage de produits phytosanitaires. Comme je travaillais dans le domaine de l’aménagement paysager et que nous partagions la même philosophie du vivant, il m’a proposé de créer un cimetière différent dans ce lieu déjà arboré qui jouxtait le cimetière traditionnel. L’équipe municipale a été tout de suite emballée et nous a donné carte blanche. C’était un projet assez visionnaire : le sujet était encore peu abordé, et nous manquions de documentation et de références en France.
L’idée, c’était aussi de créer un cadre dans lequel on puisse se sentir bien. Le fait de se trouver en pleine nature, de venir entretenir un petit jardin sur la tombe d’un proche, cela fait que les usagers ont globalement le sourire, on les sent heureux d’être là. Ce n’est pas glacial comme un cimetière traditionnel, où l’on repart le plus vite possible. Le lieu attire même parfois des randonneurs du quartier, qui font une escale ici, car c’est un espace ouvert à tous, non uniquement aux personnes qui ont des défunts ici.
Amanda Clot : Un commentaire qui revient souvent, c’est l’apaisement que procure le site : on peut s’asseoir à l’ombre, sur un banc ou sur l’herbe, entendre le chant des oiseaux, croiser un écureuil ou un hérisson si l’on a de la chance… On oublie vite que l’on se trouve dans un cimetière, certaines personnes viennent même pique-niquer à la belle-saison ! Cette cohabitation entre les promeneurs et les personnes qui viennent rendre visite à un défunt se passe bien, car elle s’effectue dans le respect ; en tous cas nous n’avons jamais eu de retours négatifs des familles. Je trouve personnellement cette mixité merveilleuse : c’est comme si le végétal, par son aspect apaisant, permettait de créer une passerelle entre le monde des vivants et celui des morts. C’est la symbolique de la vie qui continue.
Qui sont les personnes qui décident de se tourner vers ce type de cimetière?
AC : On pourrait imaginer, derrière cette question, se dessiner un profil un peu “bobo-écolo”, ou de jeune fortement sensibilisé à la cause environnementale. Pourtant, il n’existe pas du tout de profil type ! On retrouve des défunts de tous les âges et catégories socioprofessionnelles. Un point commun les rapproche néanmoins : quand on interroge leurs proches sur le choix du cimetière naturel, ils décrivent une personne qui adorait la nature, ou le soulagement qu’ils ressentent à l’idée de le voir reposer dans un endroit pareil, moins anxiogène qu’un cimetière traditionnel. Autre point : je mets quiconque au défi, en regardant les sépultures, de différencier les niveaux de vies qu’ont pu avoir les défunts. Ici, en absence de distinction, tout le monde est à égalité. Au pire, on peut déterminer qu’une famille à la main plus verte qu’une autre ! (rires).
Être inhumé dans un cimetière naturel, c’est un luxe ?
EMF : Non, au contraire. L’absence de cercueil haut de gamme, de caveau béton et de dessus en granit représente des économies considérables : moins 30% du prix moyen, selon nos estimations. Ce n’est cependant pas une statistique très précise, puisque les tarifs pratiqués par les pompes funèbres pour l’inhumation varient d’une région à l’autre, rendant difficile l’évaluation des coûts globaux.
AC : Le prix de la concession est le même que dans tous les cimetières de la commune : creuser une fosse coûtera autant ici que dans le cimetière traditionnel juste à côté. En revanche, comme l’inhumation s’effectue forcément en pleine terre, souvent dans des cercueils simples, et sans caveau béton ni monument de surface ; les dépenses sont moindres. Je précise qu’une famille pourrait tout à fait choisir d’organiser des obsèques identiques dans un cimetière classique, même si cela serait sans doute plus stigmatisant. Une sépulture végétalisée sans monument au milieu de monuments en granit, ça dénote. Des familles n’osent probablement pas franchir le pas, par crainte qu’on les suspecte de négliger leur défunt.
La création du cimetière naturel a-t-elle posé problème, d’un point de vue administratif ou législatif ?
AC : Pas du tout. Nous avons appliqué la même réglementation que pour les cimetières traditionnels, en termes d’analyses à conduire, de conformité aux normes pour la profondeur des fosses… En revanche, il est “hors la loi” dans le sens où il est plus restrictif sur les modes d’inhumation et les matériaux utilisés que ce que prévoit normalement la réglementation funéraire. Toutefois, on ne nous le reproche pas car l’inhumation en cimetière naturel relève et relèvera toujours du choix. Il s’agit d’une alternative aux cimetières traditionnels, une option pour laquelle peuvent opter les Niortais qui apprécient ce lieu et sa philosophie, en rien une obligation.
L’espace actuel étant arrivé à saturation avec quelque 300 défunts, la mairie a amorcé la création d’une extension début mars. Le site devrait être prêt à accueillir de nouveaux défunts d’ici à la fin d’année.
Photos et propos recueillis par : Hildegard Leloué