Aux Trois-Cités, quartier prioritaire à Poitiers, une dizaine de jeunes de 16 à 20 ans ont monté une coopérative jeunesse, en réponse à des faits de délinquance. La Boîte à jobs est active depuis cet été. Le fonctionnement est collaboratif, les jeunes sont responsables de leur entreprise et peuvent exercer des activités rémunérées. Autonomie, esprit d’initiative et premières expériences de travail à ajouter sur le curriculum.
Une solution pour les jeunes du quartier
Été 2018, quartier des Trois-Cités à Poitiers. Des mères sont inquiètes : leurs ados traînent beaucoup dans la rue et des faits de délinquances sont constatés. Elles interpellent alors le centre socioculturel du secteur, qui convoque une grande réunion avec les autres acteurs en lien avec la jeunesse, l’équipe de prévention de l’ADSEA (Association Départementale pour la Sauvegarde de l’Enfant à l’Adulte), la Mission Locale d’Insertion et la médiathèque. Des rendez-vous sont également organisés chaque mercredi après-midi avec une quinzaine de familles. Guidées par le principe du « pouvoir d’agir » , ces rencontres offrent aux personnes concernées la possibilité d’effectuer elles-mêmes le changement voulu. « À ce moment-là, l’idée de donner du travail aux jeunes a émergé. Restait à voir sous quelle forme, » raconte Nicolas Petitjean, responsable jeunesse de la maison de quartier des Trois-Cités. Travailler pour ne pas être tenté par l’argent facile et occuper le temps libre, mais également pour faire changer le regard de la ville sur ces jeunes du quartier. Le projet se construit au fil des mois et s’affine autour de la création d’une Coopérative Jeunesse de Services. Ce type de structure, accessible à partir de 16 ans, a la particularité de positionner les jeunes en créateurs et créatrices de leur propre activité et de les former à l’entrepreneuriat coopératif. Loin d’être de simples salarié.es, ils et elles prennent conscience de leur capacité d’agir, développent leur esprit d’initiative et s’initient au fonctionnement d’une entreprise partagée. « En travaillant à la coopérative, je trouve qu’on a moins de pression qu’avec un emploi classique, on s’organise entre nous, » témoigne Karamba, 17 ans, qui a rejoint l’aventure.
Pour s’inspirer, une petite équipe de « mamans » des Trois-Cités part à La Rochelle à l’été 2019 et visite la coopérative jeunesse Les Coopains à bord. Cette dernière est active depuis 2017 et voit passer chaque année une quarantaine de jeunes, pour des contrats de 2 à 12 mois. « Les jeunes qui s’engagent se réunissent tous les mercredis après-midi, ils étudient les demandes des clients, en démarchent de nouveaux, apportent des idées, et ils suivent des formations pendant les vacances scolaires, explique Florine Jollivet, encadrante des Coopains à bord. Dans cette coopérative les missions sont multi-projets, mais concernent souvent le domaine de l’événementiel. »
Vers l’autonomie des jeunes
Après quelques reports liés à la crise sanitaire, les neuf premiers jeunes des Trois-Cités engagé.es dans le projet ont signé en juin dernier le contrat d’un an les liant à la coopérative. Ils et elles sont trois garçons et six filles entre 16 et 20 ans, lycéen.nes, étudiant.es ou sans emploi. Durant les mois de préparation ils ont suivi des formations (réaliser une carte de compétences, écrire son CV, savoir communiquer…), et l’un des premiers chantiers collectifs a été de trouver un nom pour leur entreprise. Ce sera La Boîte à Jobs. Été 2021, les jeunes mènent leur première mission, une mise sous pli de 2 000 tracts pour l’association Initiative Développement. En octobre, c’est au tour d’une association du quartier de faire appel à la coopérative jeunesse pour assurer le service et la plonge lors d’un événement. « On est payé 8€52 de l’heure, une partie de la prestation ira dans la caisse commune, une autre partie paiera les charges, » détaille Karamba.
“ Ca fait une expérience pour plus tard. Je voudrais devenir agent de maintenance. Pour l’instant je suis en recherche d’emploi après avoir quitté le lycée l’an dernier.”
Omar, 17 ans, coopérant
La Boîte à Jobs est accompagnée par des professionnel.les mais a pour vocation d’être gérée en autonomie. Trois comités se répartissent les fonctions support : le comité ressources humaines qui élabore notamment les plannings ; le comité marketing qui gère le lien avec l’extérieur, la communication, la réponse aux sollicitations et la prospection ; enfin le comité finances qui s’occupe des contrats, des paies et de la comptabilité. Chacun est constitué de deux jeunes et peut compter sur le soutien de personnes ressources. Le comité finances est ainsi aidé par la comptable du centre social et par un adhérent bénévole.
L’esprit coopératif
Le fait de travailler dans une coopérative est un élément de motivation supplémentaire. Pas question de décevoir le groupe. Il s’agit d’être solidaires, par exemple en partageant les revenus entre les jeunes qui ont réalisé les missions et ceux qui ont eu un rôle dans les fonctions support. Les décisions sont prises ensemble, le projet est porté en collectif. Selon Nicolas Petitjean, la forme de gouvernance est un vrai plus. « Les décisions sont prises par consentement. Il faut apprendre à discuter ensemble, à trouver des terrains d’entente. La place de chacun est importante. » Le modèle économique aussi est important, car comme une vraie entreprise, il faut dégager des bénéfices. Lors d’une mission, les jeunes ont vendu des barbe-à-papa et se sont rendu compte après coup que l’argent gagné était faible par rapport au nombre d’heures travaillées. La prochaine fois, il faudra augmenter le prix de vente. Les coopérant.es espèrent maintenant se faire connaître davantage pour que les entreprises et les particuliers leur confient des missions.
Rédaction : Claire Marquis
Photos : Claire Marquis / CSC des Trois-Cités