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Bigger Than Us, portrait d’une génération qui répare le monde

par | 4 mai 2023


Porter à l’écran les voix et les voies du changement. Ce 9 mai à Poitiers, l’Inter-Association des Métiers de l’Entreprise (IAME) organise une projection-débat du documentaire Bigger Than Us. Du Brésil au Malawi en passant par les États-Unis, le film dresse le portrait de sept jeunes activistes qui dédient leur existence à la préservation du vivant. Une manière d’inspirer et d’inviter à l’action, tout en redéfinissant l’engagement comme norme culturelle. Interview de Flore Vasseur, la réalisatrice.


Comment est née l’envie de réaliser ce film documentaire ?

Le premier élément qui m’a poussée à réaliser Bigger Than Us, c’est un sentiment d’impuissance. En vivant le 11 septembre à New-York, j’ai compris que le système sur lequel nous étions assis allait s’effondrer, et nous avec. J’ai donc tenté de prévenir mes contemporains – au travers de livres, de chroniques et de films documentaires – sur la nature de ce qui est train de nous arriver : l’effondrement de tous nos systèmes, qu’ils soient d’ordres écologiques, psychologiques, économiques, sociaux ou politiques. Puis vers 2016-2017, je me suis rendue compte que malgré une production assez importante, cela ne servait à rien. Ma génération, ceux qu’on appelle les “adultes”, ou du moins les personnes “installées” dans un certain confort, n’avaient pas la volonté de changer.

La deuxième force qui m’a motivé à faire ce film, c’est mon fils. Il avait sept ans, lorsqu’il m’a demandé : “Maman, ça veut dire quoi “la planète va mourir” ?” et “Qu’est-ce que je peux faire, moi, pour qu’elle ne meure pas ?”. Je me suis alors rendue compte que j’étais incapable de répondre avec autre chose que des données anxiogènes. Il faut dire qu’à l’époque, personne ne s’adressait à sa génération, hormis des marques, des influenceurs, des partis d’extrême droite et quelques profs courageux. Il n’y avait pas de discours construit sur l’injustice et l’écologie. Bigger Than Us vise donc à formuler une réponse à la question de mon fils, pour que lui et ceux qui partagent cette interrogation trouvent leur place dans le monde.

Enfin, la dernière force motrice, c’est le suicide d’Aaron Swartz. J’ai été énormément impactée par ce jeune qui a décidé d’en finir faute d’être entendu, alors qu’il nous prévenait, avec 10-15 ans d’avance, de ce que les Gafam allaient nous faire en termes de privation de libertés.

Pourquoi avoir choisi de vous focaliser sur des initiatives émanant de la jeunesse à l’échelle mondiale ?

Je voulais donner la preuve que la jeunesse se situe aux avant-postes des combats contre l’injustice. En effet, il y a beaucoup de pays dans lesquels les systèmes se sont déjà effondrés, et où la jeunesse reconstruit ou répare le monde en dépit de l’absence des adultes et des gouvernements ; voire en allant à l’encontre de ces derniers. Concernant le choix d’échelle du documentaire, il faut bien avoir en tête que 80% de la jeunesse mondiale n’habite pas en Occident. Je voulais donc montrer cette réalité d’un engagement pluriel, que l’ethnocentrisme peut faire oublier. Dans cette même idée, j’ai également voulu effacer le regard et la voix de l’adulte : je n’apparais pas à l’écran et on ne m’entend pas. C’est Melati Wijsen, une jeune femme qui lutte contre la pollution plastique depuis ses 12 ans sur l’île de Bali, en Indonésie, qui part à la rencontre des autres activistes.

Comment avez-vous choisi les activistes dont vous avez documenté l’engagement ?

Ce qui m’intéresse, c’est le cœur des gens. Leur âme. L’ensommeillement de cette part de nous qui a envie de résister, et les moyens de la réveiller. Pour Bigger Than Us nous n’avons pas fait de casting, un terme qui convient mieux aux acteurs ; nous avons suivi de vraies personnes : c’est leur vie, leur histoire, leurs larmes et leurs doutes dont il s’agit. Pour découvrir ces activistes, nous avons lancé une grande enquête, d’abord sur internet, puis en appelant des associations afin d’identifier qui amorçait des projets à tel endroit. Nous avons ensuite croisé les résultats avec les 17 objectifs du développement durable, et réfléchi à ce qu’il pourrait être intéressant de montrer à l’image. L’important, avec ces portraits, c’était vraiment de montrer la pluralité des causes et des moyens d’actions ; les marches pour le climat et les ZAD ne sont pas les seules solutions existantes. Le message central du film, c’est que la seule façon de se positionner par rapport à ce qui nous arrive, c’est d’agir.

Vous avez beaucoup travaillé sur les parcours de lanceurs d’alertes liés à des questions de démocratie (Edward Snowden, Lawrence Lessig, Aaron Swartz) dans votre carrière. Comment Bigger Than Us s’inscrit-il dans cette continuité ?

Edward Snowden m’a amené à m’intéresser à Aaron Swartz, qui m’a lui-même conduit vers Bigger Than Us. En fait, tous ces profils s’inscrivent dans une même mouvance : il s’agit de rapporter les combats de grands humanistes, de personnes qui mettent leurs corps en travers de la route au nom de quelque chose de plus grand qu’eux. Malheureusement, Snowden n’a pas généré un mouvement d’adhésion autour de lui. C’est justement après avoir écrit et réalisé Meeting Snowden que je me suis rendue compte que les adultes ne bougeraient pas. Ils me disaient : “Il a raison, il est magnifique, il est stellaire, on devrait tous être derrière ! Mais tu sais, moi, je ne vais pas changer, parce que je ne suis pas comme lui”. Je crois que Snowden était tellement impressionnant que les adultes n’arrivaient pas à se projeter en lui. C’est pourquoi il m’a semblé que filmer des enfants rendrait le changement irrésistible. Quand vous voyez des jeunes comme Memory Banda, qui a fait modifier la Constitution du Malawi pour lutter contre le mariage des enfants ; ou comme Mohamad Al Jounde, qui a construit une école pour les réfugiés syriens à 12 ans – quand vous voyez des enfants faire tout cela et que vous ne faites rien, l’inaction devient une posture vraiment compliquée à tenir.

N’y a-t-il pas un risque, en montrant des parcours de jeunes à l’engagement si précoce et couronné de résultats si impressionnants, de suggérer que le changement relève uniquement de la jeune génération ?

Si un spectateur sort du film en pensant “c’est merveilleux, ces jeunes qui vont tout changer !”, alors j’aurai manqué ma cible. Je cherche plutôt à inciter les adultes à agir eux aussi, pour que cette jeunesse ait le temps de développer ses idées et son énergie en coopération avec eux. Plus que de conflits, ce dont nous avons besoin, c’est d’une alliance intergénérationnelle. Car les solutions sont partout, et elles sont connues. Ce qui manque, en revanche, c’est la culture : un système de valorisation qui récompenserait les gens qui ont envie d’agir, qui promeuve cet élan de vie en eux. C’est pour cela que nous effectuons un énorme travail avec les scolaires. Nous leur expliquons systématiquement que changer la conversation dans la cour de récréation, c’est la changer dans toute la société. Ainsi, si on redéfinit ce que cela signifie que d’être “cool”, qu’il ne s’agit pas de posséder la dernière paire de baskets, mais de faire comme les activistes du film ou de les soutenir, on redéfinit une norme culturelle.

Bigger Than Us se veut être un film à impact. Quelles actions menez-vous auprès du public ?

Pour le faire vivre, nous avons toute une équipe dédiée à l’organisation de projections-débats, et essayons de répondre présent au maximum de demandes. J’ai en tête l’exemple d’une jeune fille de cinquième, à Annecy, qui m’a écrit car elle voulait organiser une projection dans son collège. Aucune date ne concordait, mais elle ne s’est pas découragée pour autant : elle a fédéré cinq associations pour le débat, et organisé l’événement en toute autonomie ! C’est une appropriation du documentaire et de ses enjeux que je trouve formidable. Nous avons fait le bilan : plus de 4000 projections citoyennes ont été organisées en moins d’un an, à 95% dans le milieu scolaire, c’est-à-dire de l’entrée au collège jusqu’au post-Bac. Nous venons même de signer une convention avec le Ministère de l’Enseignement Supérieur pour que le film soit diffusé dans toutes les facs de France. À l’issue de ces projections, les étudiants qui le souhaitent pourront candidater à Ça commence avec toi. Cette opération permettra aux sélectionnés d’intégrer temporairement l’équipe, pour de prochains tournages traitant de la jeunesse engagée.

Toujours dans cet objectif d’éducation et de sensibilisation, nous avons développé des kits pédagogiques, à destination des enseignants, des élèves, et plus généralement de toutes les personnes qui souhaitent en savoir plus sur les enjeux couverts par le film. Cela permet de faire de Bigger Than Us un support d’enseignement. De plus, en prenant appui sur tout ce qu’elle a appris et vécu pendant le tournage, Melati propose de nombreuses masterclass sur l’activisme. Concernant les protagonistes, nous organisons aussi des tournées de conférences pour leur permettre de partager leur expérience, à l’occasion de leurs passages en France.

Enfin, le film n’incite pas que les jeunes à l’action. Une entreprise a, par exemple, décidé d’envoyer du matériel scolaire au Liban, dans l’école de Mohamad, quand d’autres se sont engagées à arrêter de recourir aux services d’Amazon.

Quel rôle le cinéma peut-il jouer dans la transition écologique et sociale ?

Un rôle très important selon moi, puisque comme je le disais, le changement ne relève pas d’un manque de solution, mais de culture. Or, qui fait la culture ? Le cinéma y participe, en façonnant nos représentations du monde. Selon ce que nous mettons dans nos films et la matière dont nous choisissons de le raconter, on peut changer l’histoire. Or, à quelques exceptions près (Soleil vert ; Va, vis et deviens ; Farenheit 9/11), le septième art est entièrement dédié à l’entretien du système. En plus de colporter des idéaux consuméristes, souvent machistes et paternalistes, il dépeint la jeunesse occidentale comme étant la plus importante numériquement. Alors que le cinéma a le pouvoir de transmettre des messages qui aident à vivre, je ne comprends pas qu’on produise autant de films qui ne servent à rien. Il me semble pourtant que la question du siècle, c’est celle du sens de notre présence sur Terre. Soit on se dit qu’on ne sert à rien et qu’il n’y a plus qu’à se laisser mourir de chaud ou d’une autre conséquence du dérèglement climatique, soit on se dit qu’on est pas en vie pour rien, et on passe à l’action.

De notre côté, notre engagement se poursuit autour des protagonistes du film. Nous avons créé l’association Bigger Than Us Support pour les soutenir sur le long-terme, aussi bien sur le plan financier et juridique que psychologique. Pourquoi faisons-nous cela ? Un film, ce n’est pas seulement un film : c’est des équipes, des protagonistes. Aller au bout du monde pour filmer des histoires, revenir en France (ou dans son pays occidental), accompagner le film à Cannes et à sa sortie au cinéma puis passer à autre chose, c’est juste obscène. Au-delà de raconter les histoires différemment, je pense qu’il faut s’engager pour les films que l’on fait.


Propos recueillis par : Hildegard Leloué
Photos : Capture d’écran d’une scène du film / Hannah Assouline

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