Installé en bord de mer à Fouras (Charente-Maritime), Jérôme Tropini s’est reconverti en berger. Avec ses moutons de races patrimoniales, il développe l’écopâturage auprès d’institutions et d’entreprises. Celles qui jouent le jeu n’y trouvent que des avantages
Le grand portail vert est fermé par une chaîne cadenassée, matérialisant la zone interdite au public. L’utilitaire s’arrête, l’homme descend. Un tour de clé plus tard, la réserve naturelle du marais d’Yves (Charente-Maritime) s’ouvre. Ce sanctuaire prisé des volatiles est niché entre la rocade et l’océan, à une vingtaine de kilomètres de La Rochelle. Des promeneurs regardent la scène avec envie. « Vous êtes de la LPO (Ligue pour la protection des oiseaux, NDLR) ? » interroge un curieux. « Non, je suis le berger ! », sourit Jérôme Tropini. Cet ancien chauffagiste spécialisé dans les chaudières à granulés s’est reconverti en Berger maritime, du nom de son entreprise d’écopâturage fondée au printemps 2023.
A 53 ans, ce naturaliste passionné gère un cheptel de 180 moutons issus de son élevage. « Entre 80 et 100 naissances sont prévues cette année, » précise le néo-agriculteur. Dans la réserve, il vient rendre visite à dix moutons landais, une race d’Aquitaine en plan de sauvegarde. Des rustiques, qui vivent dehors à l’année. « Je n’ai pas de bâtiment, juste une petite infirmerie pour dépanner. Je ne traite pas systématiquement, je réalise d’abord des coproscopies (analyse des selles, NDLR), je les change de pré régulièrement pour qu’ils aient une alimentation variée. Je veille au bien-être de mes animaux avant tout, » assure-t-il. En ce lundi ensoleillé du mois de février, tout ce petit monde chargé de l’entretien des lieux se porte bien. Talik, border collie à poils courts, a bondi de la voiture et surveille le troupeau.

Convaincre les décideurs
Attaché aux « bonnes pratiques, » Jérôme Tropini accueille une seconde race dans son élevage : les moutons d’Ouessant, « les plus petits du monde. C’est important de conserver les gènes de ces races anciennes, » estime-t-il. Porté par « l’envie de protéger la nature, » ce berger installé à Fouras, commune littorale, s’est tourné vers l’écopâturage pour ses nombreux atouts :
Les bêtes entretiennent des espaces naturels difficiles d’accès, évitent la pollution sonore, l’émission de CO2 généré par des machines, l’utilisation d’herbicides… Elles créent du lien social, peuvent produire de la viande, sans oublier la sauvegarde de races qui avaient presque disparu. Enfin, les moutons amendent le sol, ce qui attire les insectes, les oiseaux, etc. Je produis de la biodiversité.
Jérôme Tropini, berger maritime
Les collectivités, les entreprises et les particuliers peuvent faire appel à ses services, à condition que le terrain s’étende sur une surface minimale de 1 500 mètres carrés. Le berger intervient ainsi dans les Espaces naturels sensibles (ENS) gérés par le Conseil départemental de Charente-Maritime, au centre hospitalier de Saintes, au sein d’une école à Aigrefeuille-d’Aunis, à l’Ehpad et au camping Azureva de Fouras, sur les berges du canal de Charras… entre autres exemples. « Il y a des acteurs qui m’ont fait un pont d’or, d’autres n’ont pas cette sensibilité. Il faut réussir à convaincre les décideurs de s’investir dans une action favorable à la biodiversité. Certains ont peur que ça enlève du travail au personnel des espaces verts. Or ce n’est pas le cas, » considère l’éleveur. Qui regrette de ne pas encore travailler pour sa commune, malgré son démarchage. « L’entretien de nos espaces verts est assuré par les Brigades vertes de l’association AI17 (Association pour l’insertion en Charente-Maritime, NDLR). L’insertion par l’économie est un axe de notre politique de développement durable, nous souhaitons assumer notre rôle social. A l’année, faire appel aux services de Jérôme Tropini nous coûtait 1000 euros plus cher. Nous n’avons pas réussi à trouver le bon compromis. C’est terrible, mais il faut faire des choix et nous avons décidé de garder le partenariat avec AI17, » justifie Florence Chartier-Loman, première adjointe au maire de Fouras.

« Tout le monde est gagnant »
A Marennes, l’équipe municipale a d’emblée été emballée par cette solution alternative. Les moutons sont répartis dans quatre endroits.
Seule la question du coût pouvait bloquer. Nous avons donc calculé combien coûtait l’équivalent de temps d’agent consacré à la tonte. En l’occurrence, c’est 10 000 euros par an. Nous sommes donc mis d’accord avec Jérôme pour rester sur ce tarif. Tout le monde est gagnant ! Au départ, quelques agents étaient un peu réticents. Mais ils reconnaissent que la tonte n’est pas ce qu’il y a de plus amusant. Ils peuvent se consacrer davantage à la taille des arbres, au fleurissement. Finalement ils se sont appropriés les animaux. Il va bientôt avoir des mise-bas et ça créé de l’émulsion.
Alain Bompard, adjoint au maire de Marennes, chargé notamment des espaces verts.
« Et ça fait l’unanimité au sein de la population. Nos concitoyens préfèrent les moutons aux bruits des tondeuses, » ajoute l’élu, qui projette également de récupérer la laine « pour la mettre au pied des arbres car cela permet de garder de la fraîcheur. Nous pourrions faire venir les écoliers au moment de la tonte. C’est que du positif ! » Même enthousiasme partagé par Jean-François Pailler, le directeur de MétalNéo, une entreprise de Rochefort spécialisée dans la création et la rénovation d’ouvrages métalliques. Les moutons ont pris leurs quartiers dans leurs 4 000 mètres carrés de verdure. « A la suite de notre bilan carbone et de la crise Covid, nous avons voulu nous inscrire dans une logique plus durable. C’est super pour la biodiversité mais aussi pour nos salariés. »

L’esthétisme n’est pas une priorité
Pour développer son activité, Jérôme Tropini a « besoin de 10 hectares de terres supplémentaires. Mais c’est très difficile d’acquérir du foncier agricole ici, en particulier quand on n’est pas du milieu, » regrette-t-il. Sur ses parcelles existantes, il a déjà planté des haies et des arbres fruitiers. Certains de ses moutons y paissent tranquillement, dans l’attente d’un agneau ou d’un transit vers une nouvelle zone d’écopâturage. « Comme un paysagiste, l’écopâtureur entretient les espaces verts mais avec une attention particulière pour la santé de l’environnement et des animaux. La priorité n’est pas l’esthétisme mais l’enrichissement de la biodiversité, l’idée n’est pas que le site soit parfait, » définit celui qui a été accompagnateur en montagne durant dix ans avant d’arriver en Charente-Maritime en 2006.
Une tondeuse professionnelle vient épauler le berger maritime. « C’est une indépendante, elle vient s’occuper de la tonte des moutons une journée par semaine. Mais je fais attention à ne pas trop grossir, à la fois pour ne pas m’éparpiller et pour avoir la possibilité, quand c’est possible, de pouvoir ‘‘prendre un break’’ durant quelques jours, » fait-il remarquer. Avec ses bêtes réparties dans le département, l’homme ne s’ennuie pas. Afin de conjuguer traçabilité et organisation, il a fait développer une application pour son smartphone entièrement dédiée au suivi des animaux. « Mes moutons ont tous des boucles avec des numéros, je les entre dans mon logiciel qui comprend un carnet de pâturage. Je sais où ils sont, quand faire les vaccins, couper les onglons, etc. C’est très pratique, » juge ce professionnel ravi d’exercer ce métier historique, qu’il pratique à l’heure des nouvelles technologies.
Rédaction et photos : Amélia Blanchot