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Village de l’eau : un oasis de résistance dans la lutte anti-bassines

par | 25 juillet 2024


Eaux armes citoyen⸱nes. La semaine dernière, la mobilisation internationale contre les « méga-bassines » a réuni environ 40 000 personnes au Village de l’eau, un camp autogéré à Melle (79). Le principe : six jours de lutte contre l’accaparement de la ressource en eau par l’agro-industrie, mêlant journées d’action et d’éducation populaire. Vivant s’y est rendu les 20 et 21 juillet. Photo-reportage.


Face à l’océan, le feu de la lutte

« No bassaran ! ». Dans l’atmosphère caniculaire de ce samedi 20 juillet à La Rochelle, des manifestant⸱es scandent, poings levés, leur opposition aux projets de « méga-bassines » qui se multiplient dans l’Hexagone. Une heure et demi après le début de la marche, un cordon de gendarmes et de CRS barre la route. Des grenades lacrymogènes pleuvent sur la foule, décrivant un arc au-dessus des poubelles en feu.

Plus de 3000 policiers et gendarmes ont été mobilisé⸱es

Selon les organisateur⸱ices, près de 10 000 personnes ont répondu à l’appel des collectifs Soulèvements de la terre et Bassines non merci pour déferler dans les rues de la Ville blanche. Y accéder n’était pas une mince affaire, la préfecture de Charente-Maritime ayant interdit la manifestation et les forces de l’ordre déployé un impressionnant dispositif de contrôle sur les axes routiers environnants.
L’objectif de cette mobilisation : bloquer le terminal agro-industriel du port de La Pallice, considéré comme un maillon clé de la chaîne de l’accaparement de l’eau. Pour cause, il s’agit du deuxième port d’exportation céréalière en France. L’opération a réussi le matin même grâce à un groupe d’environ 200 d’agriculteur⸱ices et militant⸱es, venu⸱es dès l’aube pour un blocage surprise de la coopérative céréalière Soufflet. Une occupation d’environ cinq heures, que les milliers d’autres activistes échoueront à rallier.

Visibiliser pour sensibiliser

« Au Port de La Pallice, on importe la richesse des nations du Sud et on exporte la pauvreté, les pesticides et des matières premières qui accentuent la dépendance des peuples », commente Beatriz Luz, militante du Mouvement des travailleurs ruraux sans terre, venue spécialement du Brésil.

Des dizaines d’agriculteur⸱ices ont rejoint la lutte au volant de leur tracteur. Certains clowns en ont profité pour se donner en spectacle


Alors que les précédentes manifestations anti-bassines se déroulaient exclusivement en zones rurales, l’ambition de celle-ci était d’étendre la lutte à d’autres publics. L’enjeu : sensibiliser les urbain⸱es à la monopolisation de la ressource en eau perpétrée par un minorité d’agriculteur⸱ices favorables à l’irrigation intensive, via le modèle des réserves de substitution (surnommées « méga-bassines » par ses détracteur⸱ices).

Des enjeux écologiques et démocratiques qui ne constituent pas toujours la priorité des Rochelais sur la trajectoire de la marche. « Mon fils vient de revenir de Suisse, j’espère qu’il n’est rien arrivé à sa voiture de sport rouge ! », s’inquiète un homme depuis son jardin, pendant que les manifestant⸱es fuient les charges des forces de l’ordre, qui ont multiplié les coups de matraque à la fin du cortège venu investir le centre-ville.

Après la furie, l’euphorie

Plusieurs affrontements ont éclaté, marqués par des nasses violentes. Quatre personnes ont été hospitalisées et sept interpellées. En dehors de ces heurts, une allégresse surprenante imprégnait la marche. Tubas, bouées gonflables, planches de surfs et déguisements carnavalesques insufflaient une touche de légèreté dans ce maelstrom de violence. Une fanfare accompagnait même le groupe, à grands renforts de tambours. Après sept heures de manifestation, musicien⸱nes et militant⸱es ont conclu la journée par une baignade magistrale. Une centaine ont fait tomber banderoles et k-ways pour tourbillonner dans l’Atlantique, dans des effusions de rires et de chansons engagées. Si les activistes n’ont pas réussi à prendre le port, qu’à cela ne tienne : ils et elles prendront l’océan.

Dans une atmosphère de liesse populaire, les manifestant⸱es entonnent des chants sur la plage de la Concurrence, dont l’entêtant : « J’ai deux passions : la fanfare et la révolution, vive les blocages, les sabotages, les ZAD et les manifs sauvages »

« Les Bassines, c’est un sujet dense, complexe et anxiogène, mais qu’on traite ici dans la joie et la bonne humeur », se réjouit Kathleen, militante d’une trentaine d’années travaillant dans le domaine de l’environnement. « On peut dresser un état des lieux réaliste de la gravité des choses et en même temps créer un récit désirable pour motiver la lutte », avance-t-elle avec espoir, malgré le choc de la manifestation, pendant laquelle elle a dû se terrer plusieurs heures dans un buisson pour éviter les charges policières.

Derrière le front, le village de tous les possibles

« Si on vous prend votre téléphone portable, assurez-vous d’avoir mis un code à douze chiffres, les forces de l’ordre ne devraient pas arriver à le craquer pendant vos 48h de garde à vue ». Les conseils se multiplient sous le chapiteau Libellule du Village de l’eau, à l’occasion d’une formation pour contrer la répression policière. Table-rondes, expositions, balades naturalistes, projections de films, concerts, drag shows… Plus de 120 organisations écologistes, paysannes et syndicales sont présentes, dans la vallée de l’Argentière en pleine effervescence.

La ferme communale de la Genellerie accueille le Village de l’eau sur ses terres

En marge des lieux de formation et d’information, la « méga-cantine » tourne à plein régime, fruit de la collaboration d’une dizaine de cantines en provenance de toute l’Europe. A côté, des militant⸱es s’adonnent à la « tekno plonge », essuyant les assiettes au rythme effréné de la musique. Une ambiance enjouée et festive infuse le camp, néanmoins perturbée par les vrombissements de l’hélicoptère des forces de l’ordre qui le survole jour et nuit.
« C’est une lutte essentielle au niveau local et international. Lutter pour l’accès à l’eau, c’est lutter pour la vie même », argumente Charlotte, vigneronne originaire du Maine-et-Loire. La dimension mondiale est bien présente au Village de l’eau, qui accueille des délégations en provenance de 15 pays européens et 30 non-européens. À ce titre, plusieurs échanges publics sur les luttes pour l’eau en France et dans le monde ont eu lieu, dans le but de créer des alliances internationales pour la justice sociale et climatique.

Pour une dém-eau-cratie globale

Dimanche, une dernière table-ronde a permis de passer de la dénonciation à la recherche de solutions. L’enjeu est de donner des pistes pour développer une agriculture paysanne, nourricière et durable. Parmi les idées avancées, ressort surtout le projet de démocratiser une sécurité sociale de l’alimentation. Il s’agit de décorréler la quantité de nourriture produite de la rémunération des agriculteur⸱ices, de façon à collectiviser les risques, pour que ce ne soient plus seulement aux paysan⸱nes de subir l’incertitude de récoltes variables.

Le Village de l’eau a accueilli environ 40 000 personnes au total, avec des pics de 15 000 visiteur⸱euses par jour, selon les organisateur⸱ices

Autre idée : ouvrir les chambres d’agriculture à l’ensemble des citoyen⸱nes, puisque « l’agriculture, ça ne doit pas être qu’une affaire d’agriculteurs », d’après Jean-François Périgné, ancien secrétaire national de la Confédération paysanne. Selon la régie Publique de l’eau d’Île de France, il est capital de sanctuariser les points de captage de l’eau potable en les préservant des pesticides et des nitrates. Enfin, la coopérative d’autoconstruction L’atelier Paysan propose aux travailleur⸱euses de la terre de retrouver une « souveraineté technique », en diffusant librement des plans pour fabriquer ses propres outils agricoles en autonomie.
En attendant la concrétisation ou la généralisation de ces solutions, la suite des opérations coule de source pour Bassines non merci : le collectif ne s’arrêtera pas avant d’avoir obtenu un moratoire pour la cessation immédiate de tous les projets de stockage de l’eau à des fins agricoles.


Reportage et photos : Hildegard Leloué

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