Que faire de sa combinaison usée par les nombreuses heures passées dans les vagues ? À La Rochelle l’entreprise Soöruz, fabricant d’équipement pour le surf, s’est lancé un défi de taille : établir le premier programme de recyclage de combinaisons en néoprène à grande échelle. Malgré les difficultés, le projet se concrétise. Décryptage avec Paul le Guen, chargé de projet recyclage

Soöruz a mis en place Second Life en 2019, le premier programme de recyclage de combinaison à grande échelle. Pour quelles raisons ?
Cela s’inscrit dans une démarche globale de l’entreprise. À l’origine, nous étions plutôt « surfwear », différents types de produits étaient fabriqués et distribués par la marque. Au début des années 2010, un changement stratégique s’est opéré, avec un focus sur la partie technique en néoprène. À ce moment-là, Soöruz est devenu spécialiste des combinaisons pour les « water sports ». L’objectif était de proposer des produits à la fois innovants, mais également plus respectueux de l’environnement. Cela passait par la maîtrise du cycle de vie complet, de la conception jusqu’à la fin de vie. Comme il n’y avait pas d’initiatives à grande échelle pour le recyclage des combinaisons, nous avions la volonté d’être un acteur précurseur, de trouver des solutions pour la fin de vie des produits que l’on fabrique.
Le néoprène, matériau synthétique issu de la pétrochimie, est la principale matière de ces équipements ?
C’était le cas pour les vieilles combinaisons, mais aujourd’hui les matériaux ont grandement évolué. Il y a plein de substituts à ces produits pétrosourcés, comme le calcaire ou la poudre de coquilles d’huîtres, comme nous l’avons développé à travers notre gamme Oysterpene. Aujourd’hui nous arrivons à faire des mousses qui sont entre 70 et 80% biosourcées. Mais les combinaisons que nous collectons sont souvent d’anciens modèles, effectivement principalement composées de néoprène.
J’ai une combinaison, une cagoule ou des chaussons usés. Concrètement, comment ça se passe ? Où puis-je les déposer pour leur offrir une nouvelle vie ?
Il est important de préciser que nous acceptons tout type de combinaison, y compris celles qui ne sont pas de notre marque. Il est possible de la déposer dans des bacs de collecte mis à disposition chez nos partenaires, qui sont principalement des magasins, des écoles de surf, de voile, ainsi que des « wake parks ». Il y a actuellement une centaine de points de collecte en France, une dizaine en Allemagne, et quelques-uns en Espagne et en Italie. Une carte est disponible sur notre site Internet pour les localiser. Pour les personnes qui n’ont pas de bac près de chez elles, il est possible d’acheter un timbre de recyclage, c’est un bon de transport qui permet de déposer sa combinaison dans un point de relais classique pour qu’elle arrive à notre centre de recyclage situé à Lagord (dans l’agglomération de La Rochelle, NDLR). Nous récupérons également des combinaisons auprès des professionnels comme les écoles de voile ou encore l’UCPA (Union nationale des centres sportifs de plein air).
Comment procédez-vous pour le recyclage ?
Il y a d’abord un tri qui est effectué car chacun a sa propre définition de ce qui est à jeter. Nous identifions les combinaisons qui sont encore en bon état ou avec des petites réparations. Si c’est le cas, nous les donnons à des associations pour le développement du surf ou des sports de glisse dans des pays défavorisés. Nous sommes par exemple en partenariat avec Surfeurs solidaires. Pour celles qui sont vraiment usées, nous commençons par enlever les zips avec des ciseaux électriques. Généralement ils sont en bon état, nous les stockons car nous n’avons pas encore trouvé de solution pour les réutiliser. Ensuite nous passons la combinaison dans deux machines successives. Une broyeuse, que nous avons acquise en 2020, qui va faire des petites lamelles. Ces lambeaux de néoprène vont ensuite dans la déchiqueteuse que nous avons depuis l’année dernière. Elle les réduit en petits copeaux pour obtenir un granulat de néoprène, avec différentes tailles possibles.
Le néoprène est trop élastique pour être utilisé seul. Que deviennent donc ces copeaux ?
Au départ nous les avons mélangés avec du liège pour créer des objets à usage décoratif, par exemple pour nos magasins. Nous avons aussi utilisé ce broyat pour rembourrer des coussins ou des sacs de boxe. Mais ce n’était pas forcément des solutions qui permettaient de recycler un maximum de matière. Donc depuis deux ans, nous axons nos efforts sur deux produits où le néoprène n’est pas mélangé avec du liège, mais avec d’autres matériaux souples. Pour le moment, je ne peux pas dire ce qu’il y a dans ces matériaux car il y a des dépôts de brevets en cours. Nous sommes à mi-chemin entre la phase de recherche et développement et l’industrialisation pour fabriquer une dalle de salle de sport (par exemple pour absorber les chocs en crossfit, NDLR) et un tapis de yoga.
Si personne ne recyclait le néoprène jusqu’ici, c’est parce que c’est compliqué. C’est un challenge pour vous ?
Oui, nous nous sommes lancés dans l’inconnu. Tout était à faire. D’où cette phase de recherche et développement qui est relativement longue parce que nous sommes partis d’une page blanche. Notre entreprise n’est pas spécialisée dans le recyclage, ce sont de nouveaux métiers à apprendre. Il faut aussi trouver les bons partenaires. Dans notre atelier de broyage, nous faisons appel aux services de l’ESAT (Etablissement et service d’accompagnement par le travail) de Marlonges, à Périgny (à proximité de La Rochelle, NDLR).
En 2019, votre objectif annoncé était de broyer autant de combinaisons que vous produisez. Est-il atteint ?
Aujourd’hui, pas encore. Pour la simple raison que pour le moment, nos produits ne sont pas encore en vente. Mais c’est toujours un objectif que nous gardons en ligne de mire. Nous recevons entre 10 et 15 tonnes de combinaisons par an.
Même si vous en êtes encore au stade expérimental, votre programme suscite de l’engouement.
Nous sommes un petit milieu et étant l’un des premiers acteurs à nous lancer vraiment là-dedans, ça fait parler. Nous avons également gagné deux prix « innovation » chez EuroSIMA, l’association européenne des entreprises des sports de glisse. Le premier en 2020 pour notre alternative au néoprène à base de poudre de coquilles d’huîtres et le second en 2024 pour notre programme de recyclage. C’est motivant !
Propos recueillis par : Amélia Blanchot
Photos : Amélia Blanchot